Anne Francotte collabore avec différents médias, mais ce podcast, elle l’a lancé toute seule, avec les moyens du bord. Un projet personnel né à la suite d’un événement extrêmement douloureux : la perte, en début de grossesse de ses triplés.
"Il y a quatre ans, j’avais 39 ans, je suis tombée enceinte de triplés de manière naturelle. J’ai fait une fausse couche que j’ai très mal vécue. C’est assez récent le fait que je sois capable d’en parler sans pleurer." À la suite de cette épreuve, elle commence un parcours de PMA pour retomber enceinte. Face au manque d’informations et de littérature sur le sujet, au silence et au malaise environnant, elle décide de partager son récit, mais aussi de donner la parole aux personnes qui comme elles ont vécu et vivent des expériences complexes.
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"Il fallait que je le fasse. Cela a pris quatre ans pour que je sorte le projet, j’avais besoin d’être assez loin dans le processus d’acceptation. Je n’aurais pas été capable de le faire avant, il y aurait eu beaucoup trop d’émotions. Au début je ne voulais aborder que les fausses couches, mais, il y a tellement de cas de figure différents que j’ai ouvert au désir d’enfant sous toutes ses formes."
Dans chaque épisode, à travers les témoignages de différentes personnes, elle aborde une thématique bien précise : congélation d’ovocyte, fausse couche, procréation médicalement assistée, fécondation in vitro, interruption médicale de grossesse... À chaque fois, les histoires sont fortes et intimes.
Cela a pris quatre ans pour que je sorte le projet
Les montagnes russes
"Beaucoup de femmes que j’ai rencontrées m’ont confié avoir dépassé une fausse couche en retombant enceintes. C’est vraiment compliqué ce processus d’arrêt de la grossesse et retomber enceinte peut-être une solution. Après ma fausse couche, la gynéco m’a dit : ‘vous êtes préménopausée, donc si vous voulez un enfant ce n’est pas dans six mois, c’est maintenant.’"
C’est comme ça qu’Anne Francotte s’est lancée dans un parcours de PMA. "La particularité c’est que je l’ai faite seule, et ça, c’est aussi un grand tabou dans notre société. Ma vie était rythmée par la PMA : les rendez-vous gynéco, les prises de sang, les piqures, les moments d’attente... Il y avait tellement d’étapes et de stress."
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Pendant son parcours, elle a recours à une insémination artificielle et trois fécondations in vitro, des "FIV", un acronyme que toutes les personnes passées par là ne connaissent que trop bien. "On manque d'un accompagnement psychologique par rapport à toutes les montagnes russes qu'il faut traverser."
Libérer la parole
Avec son podcast, Anne Francotte libère la parole des femmes. En plus d’être journaliste, notre interlocutrice est coach et praticienne en neurocognitivisme. "Le journalisme et le coaching, c’est le même processus de questionnement et d’écoute pour faire accoucher de soi-même, mais avec une finalité différente." En partageant sa propre expérience dans les premiers épisodes, elle a installé un climat de confiance. "De ce fait, les personnes sont à l’aise de vider leur sac sans tabou ni pudeur."
La journaliste reçoit régulièrement des messages de femmes qui veulent témoigner. Elle leur permet de trouver un espace pour partager un événement traumatique souvent vécu dans le silence. "Il y a un tabou immense. Quand j’ai sorti le podcast, beaucoup de gens m’ont dit : ‘je suis désolée, je ne suis même pas venu te parler, je pensais qu’il ne valait mieux pas.’" Elle ajoute : "En fait le silence c’est toujours le pire, il faut parler, mais sans minimiser."
La podcasteuse explique qu’il est important de reconnaitre et respecter les émotions suscitées par la perte. "Beaucoup de femmes me disent qu’à cause de cette règle de trois mois, il y a une minimisation des complications." En effet, comme le rappelle l’autrice Judith Aquien dans l’ouvrage qui vient de sortir aux éditions Payot Trois mois sous silence, le tabou de la condition des femmes en début de grossesse, au cours des trois premiers mois, il y a près de 20% de risques de fausse couche. Le livre dénonce la non-prise en charge des femmes au niveau RH, médical et psychologique pendant ce tiers de leur grossesse et les injonctions au silence.
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"Ce silence est paradoxal puisqu’on sait que les trois premiers mois sont ceux où on a le plus de symptômes. C’est comme si on forçait les femmes au silence et qu’elles n’avaient pas le droit de se plaindre ou d’en parler parce que tout le monde sait que les trois mois il y a des risques", continue Anne Francotte.
Briser les tabous autour de l’infertilité
En abordant la question du désir de grossesse, elle met en lumière les questions d’infertilité. On estime à 1 sur 6, la proportion de couples qui, en Belgique, consultent parce qu’ils et elles n’arrivent pas à concevoir un enfant après un an. "Si c’est aussi tabou, c’est parce que ça touche à la sexualité. En PMA, dans les salles d’attente, j’ai l’impression qu’il y a accord tacite, tout le monde respecte le silence. Pourtant c’est important qu’on en discute. Dans mon travail de journaliste, c’est ça que j’aime, parler de la vraie vie."
Il y a un tabou immense
Bonne nouvelle, les lignes sont en train de bouger. De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le silence autour du sujet, à l’instar de notre invité du jour ou de Marie Dubois qui a publié récemment une excellente bande dessinée sur l’infertilité Un bébé si je peux.
Aujourd’hui, après les vingt premiers épisodes, Anne Francotte se dit heureuse de découvrir que son podcast est bénéfique et vient en aide à de nombreuses personnes. Cependant, si les femmes sont nombreuses à témoigner de leurs expériences de fausse couche, les hommes restent jusqu’à présent silencieux. Une réticence liée à la construction genrée du rapport aux émotions ?
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En attendant, Anne Francotte continue de rencontrer des femmes qu’elle interviewe dans un esprit de sororité. "Les personnes qui ont vécu ces difficultés ont une sagesse pas possible.... Quand tu traverses des épreuves comme ça, ton regard sur la vie change. De mon côté, j’étais déjà un peu marginale, mais là ça m’a donné une grande liberté. Je n’ai plus de comptes à rendre à personne, si j’ai envie d’avoir une vie un peu folklo à 43 ans je m’en fous", conclut-elle en riant.
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