C'est une bâtisse imposante à quelques encablures de Namur, dans l'entité verdoyante de Profondeville. Entourée d'une trentaine d'hectares de prairies et de terres cultivées, la Ferme des Arondes a tapé dans l'œil d'un groupe de six jeunes agriculteurs namurois qui, ensemble, se verraient bien en reprendre l'exploitation. Le hic ? Le prix ! N'ayant pas la capacité de l'acheter par eux-mêmes, ils ont lancé, par le biais de la coopérative Terre en Vue, une levée de fonds dans l'espoir de rassembler 1 million 800 000 euros d'ici à la fin du mois de mai. À travers leur démarche, ils ambitionnent de proposer une alimentation de qualité, plus respectueuse de l'environnement et directement disponible pour les habitants des environs. Entretien avec Floriane Heyden, responsable communication du collectif paysan des Arondes.
Pourquoi vouloir racheter cette ferme ? En quoi consiste exactement votre projet ?
Nous avons l'intention d'y installer une ferme collective. Ce qu'on entend par là c'est que plusieurs producteurs vont s'y installer et avoir chacun leur activité de production. On aura du maraichage (donc des fruits et des légumes), une personne qui fait de l'élevage de brebis et de chèvres pour ensuite faire du fromage, on aura une production de céréales qui sera transformée en farine et puis en pain directement à la ferme, il y aura aussi de la production et de la transformation de champignons. C'est très important quand on est consommateur de savoir qui a préparé son alimentation, un projet comme celui là permet aussi d'être moins dépendants des instabilités mondiales comme on peut le voir actuellement (ndlr: les tensions sur les prix de certaines denrées alimentaires liées à la guerre en Ukraine), ça permet de soutenir l'emploi local et le développement de la région dans laquelle on s'installe.
N'auriez-vous pas pu en faire l'acquisition autrement qu'en faisant appel à un financement citoyen ?
Non. On y a pensé, mais diviser 1 800 000 euros en six parts, ajouter à cela la rénovation des anciens bâtiments et la construction de nouveaux, l'achat de matériel, tout ça avec un revenu d'agriculteur qui n'est pas mirobolant (ce n'est pas en vendant des carottes ou du pain qu'on a un salaire conséquent), donc ce n'est pas possible pour nous d'acheter la terre à ce prix là pour produire finalement ce qui nourrit les gens tous les jours.
Comment expliquer qu'il soit devenu si compliqué d'acheter des terrains agricoles aujourd'hui ?
C'est en grande partie dû à la spéculation foncière. Cela veut dire que des personnes qui, souvent, ne font pas de l'agriculture sur les terres, donc qui ne vivent pas d'un revenu agricole, se permettent d'acheter ces terres pour placer leur argent, pour faire d'autres activités comme de l'élevage de chevaux, de la plantation de sapins de Noël ou des agro-carburants. Donc ce sont des activités qui ne sont pas liées à la production alimentaire et ce sont surtout des personnes qui ont un pouvoir d'achat vraiment plus important qu'un agriculteur et qui peuvent se permettre d'acheter la terre toujours plus cher, qui peuvent placer une partie de leur épargne dans du foncier, ça installe finalement une concurrence sur l'achat des terres. C'est comme ça que pour un agriculteur, il devient de plus en plus difficile de devenir propriétaire de ses propres terres.
Quel retour les investisseurs potentiels peuvent-ils espérer ? Deviendront-ils copropriétaires de la ferme des Arondes ?
On peut dire que c'est une forme de copropriété via la coopérative Terre en Vue. Il y a en fait deux façons d'aider notre projet. Soit en prenant des parts dans la coopérative, donc on devient propriétaire de ces parts, soit en faisant des dons ce qui donne droit à un avantage fiscal. Après, le retour il est surtout d'ordre social et environnemental par le projet qu'on va pouvoir développer sur cette ferme. On invitera aussi régulièrement les coopérateurs à des évènements sur place, à des moments de dégustation, à des visites pour qu'ils puissent voir concrètement à quoi aura servi leur argent.
En quoi le modèle agricole dominant dysfonctionne t-il, selon vous ?
Par rapport à notre projet, il y a trois éléments qui se sont avérés déterminants. Le premier, c'est la disparition des exploitations agricoles depuis quarante ans. Il y a eu une grosse diminution, d'années en années, du nombre d'exploitations en Wallonie. Le deuxième constat, c'est qu'il y a beaucoup d'agriculteurs aujourd'hui qui n'ont pas de repreneur. Ils n'ont pas un autre agriculteur dans leur famille ou leur entourage qui pourrait reprendre leur ferme et donc la question est : qui va produire de l'alimentation demain si tous les agriculteurs partent à la retraite ? Enfin, le troisième élément c'est le changement climatique, les crises liées à l'instabilité climatique qui poussent à repenser notre modèle.
Des projets comme le vôtre pourraient-ils contribuer à améliorer les choses ?
Modestement, notre projet apporte une piste de solution, il en faudra d'autres évidemment, mais nous pensons qu'il faut développer un nouveau modèle plus collectif d'acquisition et de production. Nous croyons que l'avenir de l'agriculture en Wallonie passera nécessairement par des projets comme le nôtre, des projets qui travaillent en circuit-court, qui produisent de manière agroécologique, de façon durable et qui favorisent la biodiversité. L'idée derrière notre projet c'est vraiment de recréer de l'emploi agricole local, de créer ici un modèle de ferme collective qui pourrait être répliqué par d'autres et peut-être leur donner l'envie de se réinstaller en agriculture. J'espère sincèrement que l'avenir de l'agriculture se fera dans cette direction là.