Les éruptions volcaniques sous l'eau, ce n'est finalement pas si exceptionnel, mais celle-ci est particulière.
"A peu près 80% de l'activité volcanique dans le monde qui se manifeste par un volcanisme qui est sous les océans. C'est donc assez fréquent, mais ce qui est particulier ici, c'est que le sommet du cratère est juste sous la surface de la mer. On a fait des relevés bathymétriques de la morphologie du volcan et le sommet du cratère est à 150-200 mètres de profondeur. Quand ça se passe à très grande profondeur, au fond des océans, à 3000, 4000 ou 5000 mètres de profondeur, ce sont des éruptions sous marines qui passent totalement inaperçues. Mais quand c'est très proche de la surface, on a un phénomène qui est assez explosif et c'est assez unique de pouvoir observer ça. Maintenant qu'on a plein de satellites qui nous observent à partir de l'espace, c'est la première fois qu'on peut observer avec une grande précision le déroulement de cette éruption, et elle est quand même assez exceptionnelle de ce point de vue là. On peut le dire au sens propre, c'est du jamais vu."
Quand le volcan est en éruption, il y a donc du magma qui remonte et c'est ce contact entre le magma, qui est extrêmement chaud, et de l'eau salée qui fait alors cette éruption tout à fait exceptionnelle ?
"Oui, on peut dire que c'est le mariage de l'eau et du feu. En général, ça ne fait pas bon ménage. Et donc, quand les conditions sont remplies et qu'on a assez de magma qui arrive brutalement au contact de l'eau de mer, à ces profondeurs qui sont très faibles, il n'y a pas tellement de pression, on a une quantité énorme d'eau de mer qui est brutalement vaporisée. Ça prend quelques millisecondes et étant donné que l'eau qui est transformée en vapeur occupe un volume qui est beaucoup plus important que l'eau liquide, donc ça augmente très fort la pression. On a très rapidement le développement d'une onde de choc qui va à la fois briser, fragmenter un peu plus le magma, qui va permettre encore plus les échanges de chaleur — on parle de réaction en chaîne, donc c'est extrêmement rapide — et ça débouche très rapidement vers la surface et ça forme le phénomène qu'on a observé d'une onde de choc qui a été entendue…" Jusqu'en Alaska, à 8500km, selon des témoignages.
"Si vous regardez sur YouTube, il y a des enregistrements du bruit de cette éruption à relativement faible distance, dont les îles Fidji, qui sont quand même à plusieurs centaines de kilomètres de distance. Par exemple, on avait l'habitude dans le passé d'entendre des avions qui passaient le mur du son, et le " bam " du passage du mur du son est exactement la même chose. Et cette onde sonore a fait le tour de la Terre et elle est arrivée jusqu'en Belgique, en Angleterre…"
Est-ce une éruption que l'on a remarquée en Belgique aussi ?
"Oui, on ne l'entend pas, elle ne devient plus audible comme en Alaska, mais on l'enregistre très bien. Une onde sonore est une variation de pression atmosphérique et tous les baromètres du monde ont enregistré le passage de cette onde sonore. Ce n'est pas unique, mais c'est quand même exceptionnel. Ça fait quand même assez longtemps qu'on n'a plus entendu le passage d'une onde sonore qui fait le tour de la Terre. La dernière fois que ça a été reporté, c'était lors de l'éruption d'un volcan en Indonésie, le Krakatoa, en 1883, où là on a aussi des enregistrements de baromètres qui montrent que c'est une onde sonore qui s'est déplacée très loin."
Une onde qui a fait le tour de la Terre, donc très impressionnante. Mais il y a aussi toute l'énergie qui se dégage de ce volcan et de cette colonne qui a fait plusieurs kilomètres de haut. C'est donc une énergie phénoménale !
"Il y a un transfert de la chaleur qui est très rapide vers l'eau, puisque le magma est à peu près à 1 000 degrés. Cette chaleur se transfère dans la vapeur et ça permet d'alimenter une colonne éruptive. Une colonne éruptive, c'est le même principe qu'une montgolfière, c'est un ballon gonflé d'air chaud. Et c'est en fait la chaleur libérée par l'éruption, qui sort de la mer et qui se mélange à l'air atmosphérique, qui réchauffe cette colonne. Et simplement, l'air chaud est moins dense que l'air froid et peut monter à plusieurs dizaines de kilomètres dans l'atmosphère. Ça atteint la stratosphère, donc les couches supérieures de l'atmosphère. On n'a pas encore une évaluation très précise de l'altitude maximale atteinte par cette éruption, mais on parle de plus de 30 km d'altitude, ce qui est considérable. C'est unique pour une éruption aussi courte, puisque l'éruption a duré entre huit et dix minutes, pas plus, et cette colonne éruptive est montée très haut. Ça montre donc la quantité vraiment très importante d'énergie thermique qui a été libérée instantanément par ce contact entre le magma et l'eau de mer."