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Il y a trois ans, le 17 mars 2020, la Belgique entrait en confinement : le personnel de première ligne se souvient

Il y a trois ans, le 17 mars 2020, la Belgique entrait en confinement : le personnel de première ligne se souvient

© Belga

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Par Marine Lambrecht

Le 17 mars 2020, elles étaient infirmière, dispatcheuse au 112 et photographe. Ce soir-là, le journal télévisé de la RTBF diffuse une édition spéciale. Sophie Wilmès, à l’époque Première ministre, annonce la nouvelle : la Belgique entre en confinement dès le lendemain, 12 heures. Cette soirée est restée ancrée dans la mémoire des Belges.

Trois ans plus tard, les semaines qui suivent ce 17 mars sont parfois nettement plus floues pour beaucoup d’entre nous. Pour certains, le souvenir de cette période est presque devenu agréable. Les années passent et la société belge est plongée dans d’autres crises. Pour le personnel en première ligne en revanche, le Covid-19 n’a pas complètement disparu. Ni de leur quotidien, ni de leur mémoire. Même si elles sont parfois enfouies profondément, les images des premières semaines n’ont pas disparu.

Coup d’œil dans le rétroviseur avec quatre Belges. Elles ont accepté de se replonger dans leurs souvenirs.

Vérane et Céline, les infirmières

Elles ne se connaissent pas mais elles ont de nombreux points communs. Toutes les deux trouvent du sens dans le contact humain et dans le don de soi. En mars 2020, Vérane Martin est une jeune infirmière. Elle travaille aux soins intensifs pédiatriques des cliniques Saint-Luc à Bruxelles depuis quelques mois à peine. Elle fait toujours partie de l’équipe aujourd’hui.

Céline Rihoux, quant à elle, est encore étudiante quand le confinement commence. Elle parfait son apprentissage des soins infirmiers et prête main-forte dans les hôpitaux et dans les maisons de retraite du pays. Aujourd’hui diplômée, elle enchaîne les intérims dans les hôpitaux bruxellois. Un statut qui lui permet de garder "sa liberté", comme elle dit.

Pour toutes les deux, la période leur paraît lointaine. Une fois ouverte par contre, la boîte à souvenirs est bien pleine. "J’ai l’impression de ne plus m’en souvenir, tant c’était épuisant physiquement et moralement", témoigne Vérane.

Dans son service, elle ne soigne que des enfants. Elle n'a donc pas travaillé en unité 100% Covid. Ça ne veut par contre pas dire qu’elle n’était pas confrontée au virus. "On prenait des mesures drastiques parce que les enfants en soins intensifs sont souvent immunodéprimés", se rappelle-t-elle. "On a eu des patients positifs au Covid, mais ils souffraient d’abord d’autres pathologies." Masques, charlottes, surblouses… Chaque jour, elle devait s’équiper de la tête aux pieds.

Au plus fort de la crise, Vérane et ses collègues ont été mobilisées pour aider les unités pour adultes. Elles ont renforcé tout le reste des soins intensifs, quand leurs collègues étaient réquisitionnées par les urgences Covid.

"Certaines infirmières dans mon service n’avaient plus soigné d’adultes depuis des années. On n’avait plus l’habitude. Ce n’est pas la même chose de soigner un patient de 10 kg ou de 150 kg", dit-elle.

C’est un bon souvenir au final parce qu’il y a vraiment eu une super entraide. Et les patients aimaient bien être chouchoutés par les infirmières pédiatriques.

L’entraide et le contact humain n’ont pas tout le temps été possibles. Céline se souvient de son stage dans une maison de repos du Brabant wallon. Elle garde en tête les personnes âgées seules et la distance forcée. "La maladie prenait le pas sur l’humanité. Les visites avec des plexiglas créaient beaucoup de confusion pour les résidents. Ils en ressortaient souvent très stressés. Parfois, le personnel était insensible à ça. Pour moi, c’était vraiment difficile. On fait ce boulot pour le rapport humain."

Toutes les mesures sanitaires ont aussi eu un impact sur les patients de Vérane. "Je me souviens d’une petite fille qui était arrivée pour une raison tout autre que le Covid. Mais à l’époque, on testait tous les patients. Au moment de faire son test PCR, elle nous a demandé si elle allait mourir. À quatre ou cinq ans, elle était vraiment marquée. Ça m’a vraiment choquée."

 

En mars 2023, Vérane espère qu’on a "appris de nos erreurs" pour l’avenir. "C’était la folie au niveau de l’approvisionnement du matériel. C’était tellement hors-norme. Si un jour on est à nouveau confronté à une situation similaire, je ne suis pas sûre de tenir sur du si long terme", confie-t-elle.

Céline, quant à elle, rêve de soleil et de chaleur. Elle veut continuer à soigner, mais ailleurs. En gardant ses limites. "Je veux continuer à passer ma vie personnelle avant. Plus tard, je veux continuer à être passionnée par mon métier. Pour ça, je pense que je ne pourrais pas être sur tous les fronts", explique-t-elle.

Sabrina, la dispatcheuse du 112

Sabrina est une de ces travailleuses de l’ombre. Elle préfère d’ailleurs se présenter uniquement par son prénom. Tous les jours, grâce à sa réactivité au début de la chaîne, elle contribue à sauver des vies. Depuis vingt-quatre ans, elle dispatche les ambulances et les pompiers du Hainaut et du Brabant wallon. Ceux qui appellent le 112 tomberont peut-être sur elle, sur sa voix rassurante.

Pendant le confinement, la charge du travail de son service a fortement augmenté. "Chaque ambulance qui transportait un patient Covid devait être désinfectée. Des ambulances, on n’en a pas autant qu’on veut. Quand un véhicule revenait après un cas Covid, il fallait au moins une demi-heure, une heure, pour qu’elle soit à nouveau disponible", se rappelle-t-elle.

C’était à elle et à son équipe de gérer le dispatching. Des aménagements ont été mis en place. "En temps normal, on prend toujours l’ambulance la plus proche. Pendant le confinement, on pouvait déroger des ambulances spéciales pour le Covid, même si elles venaient de plus loin. C’était possible quand l’état de santé du patient était stable bien sûr."

Comme le personnel soignant, pour Sabrina, impossible de faire du télétravail. "On est obligé d’être sur place. Il y a tout un programme particulier derrière la gestion de l’appel. Ce n’est pas une simple ligne de téléphone. On ne peut pas avoir ça chez soi", explique-t-elle. Dans l’urgence, chaque seconde compte et les informations doivent circuler. Pour cela, mieux vaut être rassemblé dans une même pièce.

A l’époque, il y a la crainte d’attraper le virus. "Je pense que mes enfants ont eu peur. Au travail, j’étais en contact avec d’autres", se souvient-elle.

Pour certaines personnes, ce n’était qu’une grippe. D’autres ont réagi nettement plus fort. Entendre tous les jours le nombre de morts, c’était difficile.

Trois ans plus tard, Sabrina a le sentiment que "les gens se sont rendu compte que la vie ne tient pas à grand-chose". "J’ai vraiment l’impression qu’il y a eu un avant-après Covid. Avant on était inconscient. Aujourd’hui, les gens sont plus méfiants de l’autre", estime-t-elle. Et puis aujourd’hui, n’importe où, n’importe quand, il faut prendre rendez-vous. "Pour aller refaire sa carte d’identité à la commune, il faut prendre rendez-vous. Avant, on attendait dans la salle d’attente. Pareil pour aller chez le médecin", regrette-t-elle.

Sophie, la photographe

Si on retient souvent le négatif du confinement, pour certains Belges, cette période a aussi été synonyme d’épanouissement et de réussite professionnelle. Sophie Lenoir n’était pas en première ligne avec les patients, mais elle a contribué à garder une trace de ce quotidien chamboulé. Elle est photographe. "Juste avant le confinement, j’ai décidé de passer en photographe indépendante. C’était un peu la panique au début car tout mon travail s’arrêtait : les mariages, les conférences, tous ces événements rassemblant du monde étaient annulés", raconte-t-elle.

"Ça a duré et j’ai commencé à prendre en photo les Bruxellois, dans ma commune à Schaerbeek pour continuer à créer du lien." Ses photos sont partagées et d’autres communes bruxelloises veulent aussi participer. Au bout du compte, elle rassemble 500 portraits. "C’était chouette à faire et mon quotidien était encore plus rempli qu’avant. En plus, je faisais du sport car je parcourais toute la ville à vélo pour réaliser mes photos."

Ce qui aurait pu être une mauvaise nouvelle s’est transformé en tremplin professionnel. "Quand les mariages et les événements ont repris, j’ai été contactée par plein de personnes. J’ai gagné en visibilité", se réjouit Sophie.

Derrière ses portraits, il y a chaque fois des histoires, comme celle-ci :

Je me souviens d’un couple qui voulait absolument se marier malgré le confinement. La séance photo a eu lieu devant la porte d’entrée.

Son seul regret ? Ne pas avoir publié de livre avec ses photos. "J’avais toujours dit que j’allais le faire, mais ça n’a pas été le cas. Maintenant, je pense que c’est trop tard", regrette-t-elle.

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