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Il y a deux ans, un coup d’Etat éclatait en Birmanie : que s’est-il passé depuis ?

Un manifestant tient une pancarte avec une photo d’Aung San Suu Kyi pendant une manifestation contre le coup d’État militaire près de la pagode Sule dans le centre de Yangon, au Myanmar, le 22 février 2021 (réédité le 23 juin 2022). La junte a confirmé au

© STR/NurPhoto via Getty Images

Après une décennie de quasi-démocratie, le pouvoir birman est retombé aux mains de l’armée le 1er février 2021. Deux ans plus tard, au moins 2900 personnes ont été tuées et près de 15.000 détenues pour avoir résisté à ce régime sanguinaire. Et les élections prévues cette année ne présagent pas de retour au calme, ni à la démocratie.

Le 1er février 2021, le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi est renversé par un coup d’État. Près de deux ans après, la Birmanie a "profondément régressé dans tous les domaines des droits de l’homme", a déclaré Volker Turk, le 27 janvier 2023.

Le Haut-Commissaire des Nations unies (ONU) aux droits de l’homme s’inquiète tout particulièrement du sort des civils, "devenus de véritables cibles", à mesure que les mois avancent. Au moins 2890 personnes seraient mortes des mains de l’armée et de ses alliés depuis le coup d’État, dont 767 en détention.

Les chiffres terribles de cette répression seraient pourtant sous-estimés, estime M. Turk.

Comment la Birmanie – aussi appelée Myanmar par la junte militaire depuis 1989 - en est-elle arrivée là ?

Un régime totalitaire à durée indéterminée

Le coup d’État du 1er février 2021 a donné les pleins pouvoirs au chef de l’armée, Min Aung Hlaing. Cet ancien commandant en chef des Forces armées avait appelé quelques jours plus tôt à une vérification des listes électorales. Selon lui, les résultats des élections législatives de novembre 2020, qui avaient donné la victoire à la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, étaient frauduleux.

Un prétexte qui lui permet de s’approprier le pouvoir le 1er février et de proclamer l’état d’urgence pour une période d’un an (qui sera renouvelé jusqu’à aujourd’hui). A l’aube du 1er février 2021, la Première ministre nouvellement élue, Aung San Suu Kyi, est arrêtée pour incitation aux troubles publics et violation des règles sanitaires liées au Covid-19. Dans les heures qui suivent, c’est au tour du président birman, Win Myint, et de plusieurs hauts représentants du parti au pouvoir d’être interpellés par la junte.

Des réfugiés chin du Myanmar crient des slogans alors qu’ils brûlent des cercueils symboliques du commandant en chef du Myanmar, Min Aung Hlaing, et du président chinois Xi Jinping lors d’une manifestation contre le coup d’État militaire au Myanmar, à New

La résistance que les militaires n’attendaient pas

Pourtant, dès le lendemain du coup d’Etat militaire, le peuple birman ne l’entend pas de cette oreille. La population civile, "pour la plupart des très jeunes" selon Sophie Brondel, coordinatrice de l’ONG Info Birmanie, est massivement descendue dans la rue pour protester contre le vol des élections.

Malgré la multiplication des arrestations et l’explosion du nombre de manifestants tués, les mouvements de contestation se sont solidement organisés en l’espace de deux ans.

Mouvement inédit d’unification de la résistance.

Sophie Brondel, coordinatrice de l’ONG Info Birmanie

Au printemps 2021, sont apparues les forces de défense du peuple (PDF) "dans l’idée de pouvoir se défendre face à une répression arbitraire, d’être armés et riposter au besoin", souligne Sophie Brondel.

Un Gouvernement d’Unité Nationale (NUG) est aussi créé, clandestinement et en exil, en avril 2021. Constitué majoritairement d’anciens membres du gouvernement d’Aung San Suu Kyi, le NUG a notamment pour mission l’unification de la résistance à l’échelle nationale.

Cette unification est sans précédent dans un pays où cohabitent des dizaines de minorités avec la communauté majoritaire des Barmars bouddhistes, parfois et encore de manière conflictuelle. "Il y a aujourd’hui un mouvement inédit dans la durée et dans l’ampleur d’unification de la résistance entre les organisations ethniques armées et le gouvernement d’unité nationale", explique Sophie Brondel.

De jeunes manifestants tiennent une grande bannière sur laquelle on peut lire "Nous n’aurons jamais peur", lors d’une manifestation contre le coup d’État à Yangon, au Myanmar, le 25 juillet 2022.
De jeunes manifestants tiennent une grande bannière sur laquelle on peut lire "Nous n’aurons jamais peur", lors d’une manifestation contre le coup d’État à Yangon, au Myanmar, le 25 juillet 2022. © STR/NurPhoto via Getty Images

"En septembre 2021, poursuit Sophie Brondel, la résistance passe d’une lutte défensive à une lutte offensive". Et ce, pour faire face à la répression et l’insécurité intérieure qui se généralisent dans tout le pays.

Depuis, elle cohabite avec une résistance plus pacifique, des boycotts et des mouvements de désobéissance civile. Dès le début de la crise, des centaines de milliers de fonctionnaires ont, par exemple, refusé de travailler pendant quelques jours avec l’espoir de bloquer le pays.

La Birmanie, à feu et à sang

En réponse, la junte militaire ne lésine pas sur les moyens pour réprimer la résistance. Depuis deux ans, les interpellations massives d’opposants, les frappes aériennes et la politique de terre brûlée sévissent.

Les forces armées de la Tatmadaw sont désormais épaulées par des "groupes d’anciens détenus libérés par la junte qui sèment la terreur dans tout le pays", indiquait le 2 novembre dernier l’anthropologue François Robinne au micro de France Culture.

Conséquences directes : 65.000 habitations brûlées, 1,7 million de déplacés internes et 70.000 réfugiés hors du pays de février 2021, selon les chiffres de l’ONU. Ces flux migratoires exponentiels sont non seulement d’ordre politique mais aussi économique : l’inflation galopante pousse de nombreux Birmans à traverser la frontière pour trouver du travail en Inde ou en Thaïlande.

Derrière arme de terreur utilisée par la junte : faire taire les voix dissidentes. Plus de 70 journalistes seraient toujours derrière les barreaux. Selon la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH), "la Birmanie est le pays du monde qui emprisonne le plus les professionnels des médias".

Des enfants réfugiés karens se tiennent dans un camp de réfugiés le long de la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar. Le conflit entre l’armée du Myanmar (Tatmadaw) et le KNDO, la branche militaire de l’Union nationale karen (KNU), s’est intensifié d

Timides soutiens internationaux

Depuis deux ans, les pays occidentaux condamnent fermement les actions de la junte et ils ont pris position en faveur de la résistance birmane.

L’Union européenne a également pris des sanctions mais cela reste bien timide, estime Sophie Brondel citant le rapporteur spécial de l’ONU sur la Birmanie, Tom Andrews qui "déplore l’absence d’action concertée, coordonnée au niveau international pour cibler massivement les revenus de la junte".

Des revenus qui sont largement perçus par le biais d'alliances économiques de certains pays, dont la Russie et la Chine, avec la Birmanie. Moscou fournit des armes à la junte quand Pékin ne veut pas compromettre ses investissements publics, notamment gaziers et son projet de nouvelles routes de la soie.

Le régime de Xi Jinping préfère d’ailleurs que la question birmane soit traitée par l’Association des Pays d’Asie du Sud-Est. L’ASEAN brille pourtant par son absence ces deux dernières années, en ce qu'"elle préfère se cantonner aux missions économiques sans se prononcer sur les questions de politique interne", selon Sophie Brondel, "au grand désespoir du peuple birman".

Le chef du régime putschiste du Myanmar, le général Min Aung Hlaing, prend la parole lors de la 9e Conférence de Moscou sur la sécurité internationale à Moscou, en Russie, le 23 juin 2021.
Le chef du régime putschiste du Myanmar, le général Min Aung Hlaing, prend la parole lors de la 9e Conférence de Moscou sur la sécurité internationale à Moscou, en Russie, le 23 juin 2021. © Sefa Karacan/Anadolu Agency via Getty Images

Malgré ses alliés, et contrairement à ses voisins, la Birmanie restera en récession en 2023. "C’est un coup humiliant pour la junte", estime Thompson Chau, ancien rédacteur du Myanmar Times et directeur de la chambre de commerce de Yangon. "Deux ans après le coup d’État, les sombres perspectives économiques montrent que la plupart des entreprises ont perdu tout espoir d’amélioration tant que les généraux seront directement ou indirectement au pouvoir", ajoute-t-il.

Un simulacre électoral

Dernier rebondissement en date : l’annonce par la junte birmane, ce 4 janvier 2023, de l’organisation d’élections multipartites "libres et équitables", dans les prochains mois.

Déjà qualifiées d’impostures par les Occidentaux, "ces élections ne devraient même pas être nommées ainsi, elles ne sont qu’une mascarade électorale, dont personne n’est dupe, de la part de la junte pour asseoir sa légitimité", estime encore Sophie Brondel, coordinatrice de l’ONG Info Birmanie.

Et pour cause : la junte a littéralement et symboliquement mis à mort la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), principal parti d’opposition et vainqueur des dernières élections. Tous ses représentants ont été condamnés à de lourdes peines de prison, à commencer par son ancienne leader, Aung San Suu Kyi, condamnée à 33 ans de prison le 30 décembre 2022.

Pour tenter néanmoins de donner un semblant de légitimité institutionnelle au processus engagé, la junte a fixé des conditions très strictes pour que d’autres partis puissent concourir, sans préciser comment elles seront vérifiées. Chaque parti doit notamment promettre que "100.000 membres au moins seront mobilisés" dans les 90 jours suivant l’homologation, et ouvrir des bureaux dans au moins la moitié des districts du pays, sous 180 jours, sous peine de "perdre son statut".

Selon le journaliste Thompson Chau, le risque d’escalade de la violence post-élection est "immense". Un risque qui dépend notamment, selon lui, de la reconnaissance ou du rejet du futur scrutin par la communauté internationale, notamment du Japon et de certains pays de L’ASEAN.

Une mascarade électorale de la junte pour asseoir sa légitimité en perte de vitesse

Sophie Brondel, coordinatrice de l’ONG Info Birmanie

Avec une situation humanitaire et sécuritaire qui ne cesse de se dégrader, et une junte fermement installée au pouvoir, l’espoir d’un retour au calme et à la démocratie s’éloigne jour après jour. De quoi s’interroger, et s’inquiéter, de la possibilité que la Birmanie puisse, un jour, sortir de cette impasse.

Archive du JT du 01/02/2021

Coup d Etat en Birmanie

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