Le 7 août 2022
Axelle Thiry vous propose une émission autour de la joie.
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Le 7 août 2022
Axelle Thiry vous propose une émission autour de la joie.
Selon Carl Reysz, "la joie est le soleil des âmes ; elle illumine celui qui la possède et réchauffe tous ceux qui en reçoivent les rayons".
La joie se marie particulièrement avec des moments d’amitié. Dans les années 1830 à Paris, de formidables artistes se rencontrent. C’est le cas par exemple de Frédéric Chopin, Felix Mendelssohn, Franz Liszt et Ferdinand Hiller.
Le 26 février 1832. Frédéric Chopin donne son premier concert à Paris. Quand les mains de Chopin quittent le clavier, Mendelssohn et Liszt se lèvent dans un même élan d’enthousiasme. Ils applaudissent à tout rompre. Avec Ferdinand Hiller, ils adorent se retrouver à une terrasse pour bavarder. La conversation est animée. Parfois, ils s’amusent aussi un peu aux dépens des autres.
Un jour, la digne silhouette de Kalkbrenner s’avance dans leur direction. Les quatre jeunes gens se lèvent, l’encadrent et l’assaillent de bruyantes plaisanteries. Kalkbrenner presse le pas pour leur échapper, pendant qu’ils éclatent de rire. Hiller commente : Il faut que jeunesse se passe.
Hiller, Chopin et Liszt fréquentent aussi les salons, et notamment celui de la comtesse Pauline Plater. Et cette fois, c’est elle qui s’amuse, quand on demande à la jeune femme de comparer les mérites respectifs de ces trois pianistes, elle répond : "Je choisirais Hiller comme ami, Chopin comme mari et Liszt comme amant." Il arrive aussi aux trois amis de monter ensemble sur scène, par exemple pour jouer l’Allegro du Concerto pour trois pianos de Jean-Sébastien Bach.
Henri Miller disait : "La joie est pareille à un fleuve : rien n’arrête son cours."
Les schubertiades sont de grands moments de joie. Ce sont des soirées où Franz Schubert est entouré de ses amis poètes, peintres, musiciens. On joue de la musique, on chante, on discute. Schubert chante ses lieder magnifiques en s’accompagnant lui-même. Plus les heures passent, plus l’ambiance est gaie. Il y a aussi les plaisirs du vin, des chansons populaires, des jeux de société, des blagues. On ne parvient à se séparer que tard dans la nuit.
Ces soirées sont aussi un bouillonnement d’énergie et d’émulation intellectuelle. Voici comment Schubert en parle : "Ce temps où nous étions ensemble si intimes et où chacun apportait aux autres avec une timidité maternelle l’enfant de son art, attendant, non sans quelque appréhension, leurs jugements affectueux et sincères, ce temps où, nous exaltant les uns les autres, une même aspiration vers la beauté nous animait tous." C’est Schubert qui a su traduire leur aspiration commune, et les amis savaient le reconnaître, lui qu’ils appelaient : "Le Voyant".
On vous propose d’écouter une œuvre joyeuse et lumineuse de Schubert, son quintette en la majeur D 667. Pendant l’été 1819, Schubert rend visite à Sylvestre Paumgartner, un violoncelliste amateur. Il lui commande une œuvre et c’est sans doute lui qui choisit le thème : celui du lied "La Truite". Paumgartner chérit cette mélodie et cette histoire d’eau vive, avec ce poisson vif comme l’éclair et ce pêcheur plein d’astuces. Schubert, quant à lui, se laisse inspirer par la beauté de la campagne. Et il écrit une de ses œuvres les plus ensoleillées.
Wolfgang Amadeus Mozart et le librettiste Lorenzo Da Ponte rêvent de créer un opéra sur le Mariage de Figaro, mais le projet est un peu risqué. L’empereur a interdit à la troupe du théâtre allemand de représenter cette comédie de Beaumarchais. A ses yeux, elle est écrite trop librement pour pouvoir être jouée en public. Comme l’écrivent Jean et Brigitte Massin, c’est évidemment une partie assez osée que de composer au nez et à la barbe de l’empereur, un opéra sur une pièce qu’il vient d’interdire. Mais c’est aussi tellement tentant ! Et quelle joie il peut y avoir dans ce genre d’aventure clandestine ! C’est une petite conspiration amicale qui se trame.
On décide que les deux auteurs composeront l’opéra en entier dans le plus grand secret, et c’est à Da Ponte qu’est confiée la mission diplomatique de choisir le moment opportun pour obtenir, une fois l’ouvrage terminé, l’autorisation de Joseph II. Ils travaillent pendant les mois d’été, dans le silence ensoleillé de Vienne. Lorenzo da Ponte confie : " Je me mis à l’ouvrage et au fur et à mesure que j’écrivais les paroles, Mozart en faisait la musique. En six semaines, tout était terminé. "
Oh Gioia bella, qu’on pourrait traduire littéralement par ô ma Joie belle, mais qui ici est plutôt Viens, cher amant ! Peut-être que la joie et l’amour ne sont pas très lointains. Comme l’écrit Emmanuel Buenzod, dans ses opéras, "Mozart nous fait entendre un chant si beau, si juste, que la nappe de sérénité qui est en nous, ce coin d’enfance et de claire poésie se souviennent et se livrent au merveilleux enchantement”.
Samuel Barber vit à Mount Kisco, une petite ville dans l’État de New York, avec son compagnon Gian-Carlo Menotti, un compositeur et un librettiste italien. Ils habitent dans un beau chalet au milieu des bois. C’est la villa Capricorn. Elle devient un lieu de passage obligé pour tous les acteurs de la vie culturelle new-yorkaise.
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Ils reçoivent des musiciens, des écrivains, des comédiens de Broadway, des vedettes du grand écran, des peintres, des sculpteurs, des danseurs. Comme l’écrit Pierre Brévignon, la modeste gare de Mount Kisco n’a jamais vu débarquer autant de sommités. On imagine l’arrivée d’un Truman Kapote de velours vêtu, comme l’écrit William Goyen, descendant avec une lenteur affectée l’escalier de la passerelle comme s’il s’attendait à être accueilli par toute la presse. Chaque week-end, on fait la fête. Et quelles fêtes ! Elles sont débridées… On accueille l’actrice Tallulah Bankhead, nue sous son manteau de vison. Et aussi Alexander Calder, Vladimir Horowitz, Aaron Copland, Yehudi Menuhin, Rudolf Noureev. Leonard Bernstein. Les invités sont tous plus fascinants les uns que les autres. Ces fêtes sont aussi pleines d’effervescence. Avec parfois un peu de comédie quand Barber et Menotti soumettent leurs invités au jeu des questions embarrassantes : "Quel est votre pire défaut ? Quel est l’intrus de cette fête ? Avez-vous des secrets honteux ?"
Ils lancent aussi un concours pour réaliser la pire carte de vœux de Noël. Selon Paul Bowles, Barber et Menotti sont des hôtes charmants. Et aussi, très différents l’un de l’autre, Gian Carlo a un tempérament plus extraverti, il aime les coups de théâtre, Samuel, quant à lui, a un tempérament plus romantique.
Il y a des œuvres qui respirent la joie. En janvier 1924, le directeur musical Paul Whiteman, annonce dans un journal, un concert intitulé What is American Music ?, avec la composition d’un concerto jazz par George Gerswhin pour l’occasion. Gershwin est dépourvu. C’est lui qui avait suggéré cette idée à Whiteman, deux ans plus tôt, mais il n’avait pas encore écrit la moindre note de cette œuvre, et le concert était fixé cinq semaines plus tard !
George Gershwin présente ses excuses à Whiteman mais celui-ci réussit à le convaincre qu’il est capable d’écrire un concerto formidable dans ce délai. Gershwin doit faire un aller-retour en chemin de fer en ce même mois de janvier. Il raconte : "J’étais dans le train, avec son rythme d’acier, son bruit cliquetant, si stimulant pour un compositeur (j’entends souvent de la musique au cœur même du bruit) lorsque j’entendis soudain – je la vis même sur le papier — toute la construction de la rhapsodie du début jusqu’à la fin. Aucun nouveau thème ne m’est venu à l’esprit, mais j’ai travaillé sur le matériau thématique que j’avais en tête, en essayant de concevoir cette composition comme un tout. Je l’ai entendu comme une sorte de kaléidoscope musical de l’Amérique, de notre vaste melting-pot, de notre indéfectible enthousiasme national et de notre folie métropolitaine. En arrivant à Boston, je possédais un plan précis de la partition, sinon sa substance réelle. Le thème principal est venu s’ajouter par la suite. C’était chez un ami ; me mettre naturellement au piano au cours de réception est une de mes faiblesses. C’est ainsi que, sans penser le moins du monde à la rhapsodie, je me suis entendu jouer un thème qui devait être en moi et qui ne demandait qu’à émerger. A peine était-il tombé sous mes doigts que je me suis rendu compte que je venais de trouver un thème pour ma nouvelle partition. Une semaine après mon retour de boston, j’avais pratiquement terminé la composition de Rhapsodie in Blue."
Le 12 février 1924 on joue sa Rhapsody in Blue, sur la scène du Aeolian Hall. C’est Gerswhin qui interprète les solos du piano. L’œuvre connaît un succès monstre.
Un des amis de Beethoven raconte qu’il avait beaucoup d’humour. Que ses discours et ses gestes étaient une suite d’excentricités et qu’il était très drôle. Beethoven, quand il était jeune homme, rayonnait aussi, d’insouciance, d’une bonté d’enfant, d’une confiance spontanée en tous ceux qui l’approchaient. Parfois, à cause de pensées qu’il gardait secrètes, il éclatait soudain de rire… Les autres s’étonnaient, mais il ne donnait aucune explication. Et on ne le rencontrait jamais dans la rue sans son petit album de musique où il notait ses idées au vol. Quand on y faisait allusion, il parodiait les paroles de Jeanne d’Arc dans la Pucelle d’Orléans de Schiller : "Je ne peux marcher sans mon étendard."
Et parfois, il était délicieusement distrait, comme ce jour où Ferdinand Ries est venu lui dire bonjour après une longue absence. Beethoven était prêt à se raser, avec de la mousse jusqu’aux yeux mais en voyant son ami, il a couru pour l’embrasser, si affectueusement que toute la mousse de savon est passée sur les joues de Ferdinand Ries. Le tout s’est terminé par de grands éclats de rire. Beethoven avait gardé la spontanéité de l’enfance. Il aimait la liberté par-dessus tout.
L’été 1823, Ludwig est à Hetzendorf, chez un de ses admirateurs, le baron de Pronay, qui a mis une partie de sa magnifique demeure à sa disposition. Comme l’écrivent Jean et Brigitte Massin, un corps à corps avec la matière musicale va commencer là, pour achever la Neuvième Symphonie. Il est habité tout entier par son œuvre. Beethoven a envie de célébrer la joie, c’est un vieux rêve… Et il y met toutes ses forces, malgré les douleurs aux yeux, malgré la surdité qui empire, malgré les difficultés financières, malgré son épuisement, qui inquiète ses amis. Il accomplit un travail tellement gigantesque Beethoven confie : "Il n’y a rien de plus haut que de s’approcher de la divinité plus que les autres hommes – et de répandre de là les rayons de la divinité au sein du genre humain."
Beethoven se demande s’il va terminer la symphonie par un finale instrumental ou par l’ode à la Joie, et s’il choisit cette option-là, comment il l’introduirait…
Giuseppe VERDI - Libiamo ne'lieti calici extrait de la Traviata . Rolando Villazon, Anna Netrebko, Hélène Schneidermann, Herman Wallen, Salvatore Cordella. DG 4791171.
Jean-Sébastien BACH - L'Allegro du Concerto pour trois pianos BWV 1063 . Frank Braley, Stephen Prustman , Brian Ganz & Collegium Instrumentale Brugense . Gailly 87065.
Franz SCHUBERT - Le premier mouvement du Quintette en la majeur op 144 D 667 dit " La Truite " . Membres du Quatuor Hagen, Andras Schiff, Alois Posch . DECCA 411975-2 .
Wolfgang Amadeus MOZART - L'Ouverture des Noces de Figaro & Giunse alfin il momento. Deh vieni, non tardar. Concerto Köln dir° René Jacobs. Harmonia Mundi HMX 2961818.
Samuel BARBER - Molto adagio, extrait du Quatuor à cordes . Quatuor Modigliani . Mirare 4.
Antonio VIVALDI - Le Concerto en ré majeur RV 234 . Daniel Hope et Chamber Orchestra of Europe sous la direction de Lorenza Borrani . DG 00284777463.
Jean-Sébastien BACH - Choral "Jésus que ma joie demeure" extrait de la Cantate BWV 147 . Le Concerto Köln & le Chour Accentus sous la direction de Laurence Equilbey. Naïve 5216 .
George GERSHWIN - Rhapsodie in Blue. Jean-Yves Thibaudet et l'Orchestre symphonique de Baltimore sous la direction de Marin Alsop . DECCA 4782189.
Vincenzo BELLINI - Tutto è gioia, tutto è festa extrait de la Sonnambula. Gemma Bertagnolli & Chorus & Orchestra la Scintilla sous la direction d'Alessandro de Marchi. L'oiseau-Lyre 4781084 .
Vincenzo BELLINI - Ah non credea mirarti, extrait de la Sonnambula. Cecilia Bartoli, Juan Diego Florez et Orchestra La scintilla sous la direction d'Alessandro De Marchi . L'oiseau-Lyre 4781084 .
Robert SCHUMANN - Le dernier mouvement de la Fantaisie en ut majeur pour piano opus 17 . Alfred Brendel . Philips 4757188.
Ludwig van BEETHOVEN - Un extrait du quatrième mouvement de la Symphonie n°9 en ré mineur. Christiane Karg, Mihoko Fujimura, Michael Schade et Michael Volle et le Choeur & Orchestre symphonique de la radio bavaroise sous la direction de Mariss Jansons . DR Klassik 900139 .
Production et présentation : Axelle THIRY
Réalisation : Valentine GOURDANGE
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