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Il y a 54 ans, le poing levé de Tommie Smith et John Carlos : un geste qui a ruiné leur carrière, pas la symbolique

L'oeil dans le rétro

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Il y a 54 ans, le 16 octobre 1968, une image fait le tour du monde : celle d’un podium olympique du 200 mètres masculin où un geste très fort est posé. Retour sur le point en l'air des américains Tommie Smith et John Carlos pour dénoncer la ségrégation raciale aux États-Unis.

Une finale entrée dans l'Histoire à plus d'un titre. Le 16 octobre, 1968, à Mexico, Tommie Smith établit un nouveau record du monde du 200 mètres, sous la barre mythique des 20 secondes : 19'83''. Il est félicité par son compatriote John Carlos, noir lui aussi qui termine troisième et entre les deux, c’est l’australien Peter Norman qui remporte la médaille d’argent. Lui est blanc et si on parle des couleurs de peau, c’est parce qu’elle est au cœur de cette histoire. Lors de la cérémonie, les trois athlètes se dirigent vers le podium et un œil attentif devrait se douter, à cet instant, qu’il se passe quelque chose d’insolite car les deux sprinters américains, Smith et Carlos ne portent pas de chaussures et marchent en chaussettes noires.

L’hymne américain retentit, les drapeaux s’élèvent dans le ciel et c’est alors que Smith et Carlos brandissent le poing vers le ciel tout en baissant la tête vers le sol. Le vainqueur Tommie Smith lève le poing droit et John Carlos le gauche et leurs poings sont couverts d’un gant noir. L’image est forte, l’action était évidemment préméditée.

Les coulisses d'un geste historique

Tommie Smith et John Carlos se partagent une paire de gants pour lever leur poing en guise de protestation face à la ségrégation raciale aux États-Unis.

Au départ, les deux hommes devaient chacun porter un gant à chaque main. Mais John Carlos oublie ses gants au village olympique avant de partir à la cérémonie. Le médaillé d’argent, l’australien Peter Norman, est pleinement solidaire : c’est lui qui suggère à Smith et Carlos de se partager leur seule paire de gants et c’est la raison pour laquelle l’un lève le poing gauche et l’autre le poing droit. 

Un geste qui est évidemment politique : les deux athlètes marquent ainsi leur défiance envers leur propre nation, les États-Unis d’Amérique. Un pays qui, à l’image de sa statue à l’entrée de New York, se présente comme le phare de la Liberté dans le monde. Et voilà qu’une paire de gants fait tomber le masque. Ces deux médaillés olympiques donnent une toute autre image de l’Amérique : celle d’un pays où la minorité noire se sent opprimée et où la ségrégation constitue toujours une réalité. Tommie Smith est on ne peut plus explicite sur la portée de son geste et ce après avoir envisagé le boycott, une idée finalement abandonnée : pourquoi devrait-on participer et se donner à 100% pour un pays où sont niés certains de nos droits légaux ?

Un geste aux lourdes conséquences pour leur carrière sportive

Ce poing levé est au plan médiatique une réussite complète pour Smith et Carlos mais ils le paieront cher. Oui parce qu’ils sont bannis du village olympique des jeux de Mexico de 1968 et surtout ils sont suspendus par leur fédération, autrement dit il leur a coûté leur carrière d’athlète. 

Il faut dire que 1968 symbolise deux choses radicalement différentes aux États-Unis : d’un côté c’est la fin de la ségrégation raciale au plan juridique avec le vote du Civil Right Act, de l’autre c’est la montée en puissance des Black Panthers, un mouvement protestataire plus radical que celui du pasteur Martin Luther King qui est d’ailleurs assassiné en 1968. Dans ce contexte explosif, le poing levé des deux athlètes noirs est vu comme une insulte envers leur pays. 

Et le troisième homme du podium, l’australien Peter Norman paiera cher, lui aussi, le geste de protestation des deux autres bien que lui n’ait pas levé le poing. On l'a souligné, le 2e du 200 mètres a été pleinement solidaire de l'action. Il arborait d’ailleurs le badge du projet olympique pour les droits humains. Quatre ans plus tard, ses résultats lui devraient de participer aux jeux de Munich, mais il n’est pas sélectionné par sa fédération. Et aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000, il ne sera même pas invité alors qu’il reste encore aujourd’hui détenteur du record d'Australie du 200 mètres.

À l’instar de Smith et Carlos, sa carrière sportive se trouvera ruinée par un geste qui liera à jamais les trois hommes. Ainsi, lorsque Norman meurt en 2006, Smith et Carlos viennent assister aux obsèques et portent son cercueil.

Ils ont ouvert la porte aux actes politiques dans le sport

Avec le temps, ce poing levé est entré dans l’Histoire avec un grand H et vaudra à Smith et Carlos d’être reçus à la Maison blanche en 2016 par Barack Obama.

Ils ont inauguré l’idée que les sportifs aussi pouvaient poser des actes politiques et ils sont donc les inspirateurs de Colin Kaepernick, ce joueur de foot américain qui a posé le genou en terre pour protester contre les violences policières et devenu très populaire après la mort de George Floyd, l’action a notamment été reprise par les Diables Rouges.

Poser des gestes de protestation sur les terrains de sports, le sujet est on ne peut plus d’actualité un peu plus d’un mois avant le début du très controversé mondial de foot au Qatar. Et sans ce podium de Mexico il y a tout juste 54 ans, peut-être n’en aurait-il jamais été question...

© EPU / AFP

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