Monde Amérique du Nord

Il tire un bilan positif de sa première année : peut-on imaginer Joe Biden président jusqu’en 2028 ?

Par Philippe Antoine

Cela fait un an jour pour jour que Joe Biden a été investi en tant que 46e président des Etats-Unis. Douze mois plus tard, quel bilan peut-on faire de ce président qui a succédé à Donald Trump ? Sa cote de popularité a baissé ces derniers mois et Joe Biden semble lucide face aux déceptions engendrées par l’échec de certaines de ses initiatives, mais il assure que le travail n’est pas terminé.

Pour Serge Jaumain, professeur d’histoire contemporaine (Belgique/Amérique du Nord) à l’ULB et codirecteur d’AmericaS, le Centre interdisciplinaire d’étude des Amériques, il y a toute une série de points positifs et négatifs à relever au terme de cette première année à la Maison Blanche : "La première chose, c’est que si l’on compare Joe Biden à son prédécesseur, et pour certains éléments, on est bien obligés de faire cette comparaison, c’est clairement le jour et la nuit, dans le sens où l’on ne doit pas oublier que Joe Biden est arrivé dans un contexte extrêmement difficile, qui était lié à la présidence globale de Donald Trump mais aussi au fait qu’avant de partir, Trump lui a jeté quelques pelures de bananes sous les pieds, que ce soit au niveau international ou au niveau national et puis il y avait tout de même le Covid-19 qui faisait partie du contexte. Ce sont trois éléments qu’il faut avoir en tête pour examiner ces douze premiers mois du président américain".

Avant toute chose, Serge Jaumain souhaite dire un mot de l’équipe choisie par le président Biden : "Il a composé pour s’entourer une équipe plus diversifiée, à l’image de ce que sont les Etats-Unis, une équipe mixte sur les plans des genres homme/femme, avec des représentants des différentes minorités ainsi que des Afro-américains. C’est aussi une équipe beaucoup plus compétente que celle dont s’était entouré Donald Trump, sous lequel on a assisté à une véritable valse des collaborateurs qui ne restaient parfois que quelques mois. Joe Biden est arrivé avec une équipe à la fois très rodée et très solide".

Un capitaine dans le navire face à la pandémie

L’une des priorités absolues du nouveau président a été lutte contre le Covid-19. Hier soir, lors de sa conférence de presse, Joe Biden a expliqué que 210 millions d’Américains étaient désormais pleinement vaccinés, alors qu’il n’y en avait qu’un million lorsqu’il est arrivé à la Maison Blanche. "Si l’on envisage la gestion du Covid-19, on peut dire que globalement, il y avait, cette fois, un capitaine dans le navire, ce qui n’était pas le cas précédemment puisque la Maison Blanche laissait aux Etats et aux gouverneurs le soin de gérer la crise comme ils le sentaient".

L’expert des Etats-Unis estime qu’un deuxième élément positif pour Joe Biden au cours de sa première année se situe au chapitre international, avec le retour des Etats-Unis dans toutes une série d’organisations internationales, dont les Accords de Paris sur le climat ou encore la table des négociations sur le programme nucléaire iranien : "Il l’avait promis, et on a donc retrouvé une forme de diplomatie apaisée, loin des sautes d’humeur de Donald Trump, qui envoyait un tweet rageur après une négociation avec l’un ou l’autre. On a aussi ce que l’on pourrait appeler une diplomatie "prévisible" dans le sens où son prédécesseur était pour sa part totalement imprévisible, ce qui, pour les interlocuteurs avec lesquels il négociait, était tout de même très compliqué".

Des réformes ambitieuses

Serge Jaumain pointe encore un élément à mettre à l’actif de Joe Biden, sa volonté de faire bouger les choses : "Alors que beaucoup pensaient que l’on aurait un vieux président de transition", précise le professeur de l’ULB, "élu parce qu’il y avait Trump en face de lui et qu’il fallait quelqu’un qui fasse l’unité dans le parti démocrate, et il était le seul à pouvoir le faire, il est venu malgré cela avec des réformes extrêmement ambitieuses. Il y a d’abord eu le grand plan infrastructures, des infrastructures qui sont aux Etats-Unis dans un état déplorable, et ce plan-là, il a réussi à le faire passer. L’autre grand plan, le fameux " Build back better " ne passe pas parce qu’il ne parvient pas à convaincre tous les démocrates au Sénat, mais on peut tout de même accorder à Joe Biden le crédit qu’il est venu avec un projet réellement ambitieux alors que l’on ne l’attendait pas sur ce plan-là, et il a vraiment fait tout ce qu’il a pu pour essayer de le faire voter. Il n'y est pas arrivé, mais il n’est pas entièrement responsable de cela".

Une "touche de vert"

Pour Serge Jaumain, il faut encore accorder au président Biden la volonté de défendre une certaine transition écologique : "Il a voulu "mettre du vert" dans tous les grands plans d’investissements qu’il a faits, plus que ses prédécesseurs, même si tous ces projets n’ont pas nécessairement abouti. Il y avait sa part une volonté forte de tenir compte de l’aspect environnemental".

Et puis il y a cette réforme électorale que Joe Biden aurait aimé faire adopter mais qui s’est heurtée à l’opposition républicaine à laquelle se sont ajoutés deux sénateurs démocrates : "C’était une loi fédérale pour protéger le droit de vote des populations les plus pauvres et en particulier des Afro-Américains", explique Serge Jaumain. "C’est un échec puisqu’il n’y est pas arrivé, mais on doit mettre à son actif le fait qu’il ait imaginé ce projet. S’il doit évidemment assumer, en tant que chef de l’Etat, le fait que cela ne passe pas au Congrès, on ne peut pas pour autant entièrement lui jeter la pierre car il ne faut pas oublier qu’il est arrivé au pouvoir avec une majorité très étriquée. On savait depuis le départ que la majorité au Sénat posait un problème puisqu’l suffit d’une voix discordante chez les démocrates pour qu’un projet ne passe pas et c’est ce qui est en train de se produire sur une série de projets, combiné avec le fait que les républicains forment un bloc assez solide et ne veut aucun compromis, ce qui est une évolution assez forte depuis ces dernières années".

Chômage en baisse mais inflation record

"Pouvez-vous me citer un autre président qui ait accompli autant de choses que moi en un an ?" Face aux journalistes pour ce qui n’était que sa neuvième conférence de presse en un an alors que Donald Trump en avait tenu 22 au cours de sa première année de mandat, Joe Biden a insisté sur le nombre d’emplois créés et sur le faible taux de chômage (3,9% aujourd’hui contre 6,4 il y a un an) : "Il a effectivement pris un certain nombre de mesures pour enrayer le chômage" dit Serge Jaumain. "Sur le plan social, il aurait voulu aller plus loin, avec par exemple un salaire minimum plus élevé, ce qu’il n’a pas obtenu".

Mais ce qui apparaît comme une réussite au niveau de la baisse du chômage doit être mis en perspective avec un autre point, négatif celui-là, l’inflation de 7% : "C’est du jamais vu depuis 40 ans et c’est bien sûr un point négatif dans le bilan de sa première année mais il faut ajouter que sa responsabilité est malgré tout limitée et surtout qu’il est toujours en train de payer les conséquences de la présidence de Trump pendant laquelle la gestion économique a été assez faible".

Un autre point négatif est le fait qu’il n’a pas réussi à réconcilier l’Amérique. "Le pays est divisé comme jamais, et si certains pensaient que Joe Biden avait une personnalité capable de transcender les différences entre partis et permettrait un lien plus étroit avec les républicains et avec l’opinion républicaine, mais cela ne fonctionne vraiment pas".

L’ombre Donald Trump plane toujours

Hier soir, le président américain a aussi expliqué que plusieurs députés républicains lui avaient confié leur envie de le soutenir sur certains projets mais qu’ils n’osaient tout simplement pas le faire car l’emprise de Donald Trump sur le parti républicain est telle que s’ils le faisaient, ils seraient immanquablement sanctionnés lors de la prochaine élection. "Beaucoup d’observateurs", explique Serge Jaumain, "ne pensaient pas que Donald Trump continuerait à occuper une place aussi importante dans le sens où le parti républicain est vraiment à sa botte, ce qui signifie donc que beaucoup d’élus républicains, qui savent que l’élection n’a pas été volée, et qui savent que ce qui s’est passé était probablement une tentative de coup d’Etat et qui savent aussi que l’intérêt des Etats-Unis de suivre Trump dans ses élucubrations, mais ils le suivent malgré tout, parce que Trump continue à tirer les ficelles, et un certain nombre d’élus républicains ont peur de perdre leur siège lors des élections de mi-mandat en novembre prochain s’ils se mettent à dos l’ancien président dont la popularité est restée très importante".

Le chaotique retrait d’Afghanistan

Parmi les véritables échecs de cette première année de présidence Biden, il y a sans aucun doute l’invraisemblable retrait d’Afghanistan des troupes américaines, certes décidé par Donald Trump, mais c’est Joe Biden qui a pris la responsabilité de le mettre en œuvre dans des conditions que personne n’oubliera de sitôt : "Il y a clairement eu des erreurs d’appréciation, qu’il doit assumer. Dans ce dossier, Joe Biden était sans doute l’homme le mieux informé du monde " précise l’expert des Etats-Unis. "Il y a eu une erreur d’évaluation autour de lui, tout le monde pensait que les autorités afghanes résisteraient plus longtemps et que le départ pourrait se faire dans l’ordre, ce qui n’a pas été le cas. Et c’est très problématique pour lui parce que ça donne de lui en interne une image un peu faible et sur la scène internationale, cela affaiblit l’image des Américains. On en a peut-être moins parlé, mais sur ce dossier précis de l’Afghanistan, les alliés des Etats-Unis n’ont guère été tenus au courant, et cela lui a été fortement reproché dans les milieux diplomatiques internationaux, chez ses alliés en tout cas".

Peut-on imaginer Joe Biden président jusqu’en 2028 ?

Joe Biden a aujourd’hui 79 ans. A un journaliste qui lui demandait s’il conserverait Kamala Harris comme colistière s’il se représentait en 2024 pour un deuxième mandat, il a répondu par l’affirmative. "En réalité", décode Serge Jaumain, "contrairement à ce qu’il veut laisser entendre, la question ne se pose pas aujourd’hui, dans le sens où d’ici à 2024, il aura encore vieilli et on ne sait pas quelle sera la situation au niveau de sa santé. Bien entendu, il a laissé entendre que cela lui plairait bien de continuer avec sa vice-présidente, et on peut penser que même s’il n’est pas candidat, il ne le fera pas savoir. S’il annonçait aujourd’hui qu’il ne serait plus candidat à un second mandat, ça l’affaiblirait énormément, parce qu’il y aurait toutes les spéculations sur sa succession. Il n’a donc pas d’autre choix pour garder un peu de pouvoir de dire que bien sûr, il va se représenter".

Ce qui est sûr, c’est qu’il reste à Joe Biden trois ans de mandat. Du moins en tant que président, car il est probable que pour faire passer des réformes et imprimer réellement sa marque, il lui reste en réalité moins d’un an. Si les démocrates perdent en novembre prochain, comme c’est plutôt probables leur majorité au Sénat lors des élections de mi-mandat, les deux dernières années avant la prochaine élection présidentielle seront compliquées pour le président des Etats-Unis. Très compliquées.

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