Les Grenades

Il paraît que l'avortement, c'est tendance

Il paraît que l'avortement, c'est tendance. Une opinion de Sylvie Lausberg pour les Grenades-RTBF

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Une chronique de Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des Femmes Francophones de Belgique

 

Les mots ont un sens, ce qui ne peut avoir échappé à Charles Delhez, formé chez les Jésuites, signataire à titre personnel d’une chronique dans La Libre de ce vendredi.

Rappelons qu’au parlement, en juin 2018, associations de femmes, experts et représentants des professionnels de terrain allaient tous dans le même sens : il faut améliorer les conditions légales pour avorter. Charles Delhez, ancien professeur de médecine, peut s’y opposer, mais son droit à la libre expression n’absout pas le recours à des arguments fallacieux et diffamant pour les femmes. 

Je voudrais d’emblée rappeler qu’évoquer une "banalisation de l’avortement", c’est puiser au vocabulaire de l’extrême droite et de ses "IVG de confort".  Ce chroniqueur déplore pour sa part que l’avortement "c’est dans le vent" et médicalement de plus en plus facile. Quel dommage, n’est-ce pas ? Les pécheresses devraient souffrir davantage.

Il plaint ensuite les étudiants "formatés par les médias" qui peinent à ramer à contre-courant, entendez à s’opposer à l’IVG. C’est faux : là où il est possible, le recours à l’IVG est de plus en plus attaqué; il est interdit en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et du sud.  Des dizaines de milliers de femmes meurent chaque année et des millions sont mutilées à vie suite à des avortements clandestins. Des femmes sont emprisonnées pour des fausses-couches et des gamines violées condamnées à porter une grossesse à l’âge de 9 ans. C’est ça la réalité des restrictions légales à l’avortement.   

Les entraves se multiplient aux États-Unis et en Europe. Donc, non, vouloir restreindre le droit à l’avortement n’est pas  "à contre-courant", c’est l’inverse. M. Delhez n’hésite pas à citer Simone Veil.  L’honnêteté serait de ne pas tronquer ses propos.  Si elle a bien dit à l’Assemblée nationale que "l’avortement restera toujours un drame", sa phrase commençait par : "Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement ! Il suffit d'écouter les femmes". Peut-être que c’est trop demander à ce monsieur. Au lieu de cela, il compare celles qui interrompent une grossesse aux femmes adultères, auxquelles il ne faut pas jeter la pierre si elles reconnaissent leur "faux-pas". L’allusion est pertinente : dans ces pays où l’avortement est totalement interdit, certains autorisent la lapidation pour adultère.

Estimons-nous heureuses de n’être soumises qu’à l’opprobre de ceux qui défendent la vie des embryons avant la nôtre. Avant notre droit à décider du nombre d’enfants qu’on peut élever, ou si nous pouvons assumer les risques liés à une grossesse et à un accouchement. M. Delhez n’est pas tout seul à vouloir nous mettre sous tutelle.

En avril dernier, des opposants à l’IVG ont introduit un recours contre les petites améliorations de la loi du 15 octobre 2018 ; en tant que mari et père, ils réclament un droit de regard et d’opposition à la décision de leur femme ou fille qui voudrait avorter. Ben tiens ! Avis à la population : la Belgique a inscrit l’égalité entre les femmes et les hommes, en 2002, dans sa Constitution, et nul n’est censé ignorer la loi.

 


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Plus loin, l’auteur de cette libre opinion dénonce comme effet collatéral de la banalisation de l’IVG, des "amours peu matures, ludiques et sans maîtrise" et embraye sur la nécessité d’une éducation à la sexualité.  C’est l’hôpital qui se fiche de la charité quand on sait combien la généralisation de l’EVRAS à l’école se heurte au pilier chrétien ! 

Trêve de faux-semblant, l’objectif est assumé : en revenir à la procréation comme but de la relation sexuelle, car en encadrant médicalement l’IVG, écrit-il, "nous détricotons la civilisation". En prenant comme exemple l’interdiction tardive de l’infanticide dans l’empire romain – il faut le lire pour le croire -, on n’est pas loin du tristement célèbre professeur Mercier qui, en 2017 à l’UCL, accusait ses étudiants de complicité de meurtre s’ils avaient connaissance d’un projet d’IVG.  Tout ça est fort de café quand on pense au calvaire de ces sœurs catholiques violées par leurs supérieurs et forcées d’avorter, parfois très tardivement pour protéger la réputation de l’institution vaticane.

 

Par vos tentatives de nous cantonner à nouveau dans un rôle de mère, contre notre volonté, vous banalisez les violences envers les femmes.

 

Pour terminer, Monsieur Delhez s’invite au parlement et exhorte les politiciens à ne pas s’engager dans ce "mauvais combat" pour l’assouplissement de la loi IVG.  Les brossant dans le sens du poil, il les félicite en revanche d’en avoir mené de bons comme "la promotion de la femme". Argh ! LA femme n’existe pas, Monsieur, et nous, femmes plurielles, refusons cette " morale " qui n’est que mépris pour nous, les gens vivants.  Par vos tentatives de nous cantonner à nouveau dans un rôle de mère, contre notre volonté, vous banalisez les violences envers les femmes.  Car à côté des femmes heureuses et soutenues par leur entourage dans leurs décisions, de très nombreuses femmes, dans notre pays, sont battues, violées, spoliées, insultées et méprisées.  En défenseur des opprimés, vous pourriez vous tenir à leurs côtés et, en donneur de leçon, respecter au moins la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe.  Ratifiée par la Belgique et par le Parlement européen,  elle condamne en particulier cette violence sexiste à l’encontre des femmes et des filles : " le refus de leur accorder des services d’avortements sûrs et légaux".

 

Sylvie Lausberg,

Présidente du CFFB- Conseil ds femmes Francophones de Belgique

 

"Les Grenades-RTBF" est un projet soutenu par Alter-Egales (Fédération Wallonie Bruxelles) qui propose des contenus d'actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

 

 

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