BD

Il ne faut pas publier un nouveau Gaston, par "respect de l’auteur, tout simplement", estime Frédéric Jannin

Frédéric Jannin

© RTBF

Par Alain Lechien avec François Heureux via

En mars dernier, au Salon de la bande dessinée d’Angoulême, la société Dupuis annonçait l’arrivée d’une nouvelle BD de Gaston Lagaffe, le célèbre personnage créé par Franquin. Cette BD a été dessinée par le Canadien Delaf. Depuis cette annonce, Isabelle Franquin, l’héritière de l’artiste, a porté l’affaire devant la justice. Elle estime en effet que son père avait clairement indiqué qu’il ne souhaitait pas qu’un autre dessinateur reprenne le personnage de Gaston Lagaffe.

Selon les éditions Dupuis, représentées par leur avocat Alain Berenboom, Franquin a expressément cédé les droits d’abord du Marsupilami et ensuite de Gaston. Dans les deux cas, il vend non seulement les œuvres existantes dont il a les droits, mais en plus il vend le droit, pour son nouvel éditeur, de dessiner Gaston. Il lui cède le personnage et lui donne le droit de le faire adapter.

Mais André Franquin, de son vivant, avait déclaré dans une interview à la RTBF qu’il ne souhaitait pas que le personnage de Gaston soit dessiné par quelqu’un d’autre, même par un très bon dessinateur. Cette l’affaire est évoquée ce lundi pour la première fois devant la justice. Il s’agit d’une audience en référé au tribunal de Bruxelles demandée par Isabelle Franquin pour empêcher toute prépublication et toute promotion du nouvel album, ce que les éditions Dupuis ont d’ailleurs accepté. La publication de l’album devrait revenir devant la justice dans quelques mois.

Un collectif d’artistes, de dessinateurs comme Philippe Geluck ou Zep ont signé une lettre ouverte dans laquelle ils demandent à Dupuis d’honorer la volonté d’André Franquin. Interrogé sur La Première, Frédéric Jannin explique qu’il a signé et partagé "cette lettre ouverte suite à des échanges avec des collègues, des gens de la profession et d’autres créatifs qui, comme moi, étaient catastrophés par la nouvelle. Pour moi, ce n’était pas tellement difficile de réagir. J’ai eu la chance de connaître et de travailler avec Franquin. Donc je l’ai entendu plusieurs fois déclarer haut et fort qu’il ne voulait pas de reprises de Gaston Lagaffe. Et d’ailleurs, comme le disent les proches, comme Dany par exemple : s’il avait voulu un repreneur, il l’aurait sans doute formé comme il l’a fait avec Batem pour le Marsupilami."

Selon Frédéric Jannin, "il s’agit du respect de l’auteur, tout simplement. Je suis un peu mal placé pour contredire Franquin, ou alors trop bien placé parce que je l’ai entendu dire plusieurs fois qu’il ne voulait pas. Et c’est pareil dans l’autre sens. Il faut respecter les autres de la bande comme Uderzo, Peyo, Roba, Maurice qui ont accepté que leur héros survive, même si on peut se demander si ça fait du bien à l’œuvre originale".

"C’est sûrement plus délicat que les Schtroumpfs, Lucky Luke ou Astérix. Parce que Gaston, c’est Franquin. Il y a tout donné. C’est un peu comme les Idées noires. On n’imaginerait pas quelqu’un reprendre les Idées noires. C’est une œuvre très personnelle, intime et bien au-delà des gags visuels rigolos", poursuit-il. "Gaston est un reflet de plusieurs époques. Pas seulement graphiquement. Le Gaston, qui est arrivé à la rédaction en 1957, n’est pas du tout le même que celui des années 60, des années 80. Pour ça aussi, une reprise est quasi impossible. Et d’ailleurs, pourquoi se poser la question puisque Franquin ne voulait pas ?", poursuit Frédéric Jannin.

Selon lui, le dessinateur n’est pas en cause : "Mais non, Delaf a un talent formidable. D’ailleurs, beaucoup de professionnels le disent, on n’a rien contre Delaf. C’est qu’ici, c’est plutôt un talent de copiste. C’est respectueux, mais c’est un peu comme quand on va voir des covers bands, des Beatles ou de Genesis, on se dit que ça ressemble au premier coup d’œil, mais ce n’est quand même pas eux".

Frédéric Jannin pourrait-il reprendre le personnage créé par un autre auteur ? "C’est marrant, quand j’avais quatorze ans, j’ai croisé Roba qui m’a proposé en blaguant de reprendre La Ribambelle. Je n’en ai pas dormi pendant trois jours. Je crois qu’il blaguait. Cela dit, j’ai encore entendu un extrait d’interview de Franquin lui-même expliquant le piège que représente la reprise d’un bébé qui n’est pas le sien. Il en a beaucoup souffert avec Spirou et s’est senti très libéré quand il a décidé d’abandonner Spirou pour se consacrer à Gaston".

L’éditeur Dupuis hypothèque-t-il la création de demain ? "On peut rêver de s’arrêter de courir après les sous pendant deux minutes et discuter sur l’avenir de la création. Pas la BD, mais aussi la musique, l’audiovisuel, le cinéma, la télé. Je cite souvent Goscinny, qui dirigeait Pilote et qui disait qu’il ne fallait surtout pas demander au public ce que le public voulait. Le public ne sait pas ce qui fera le succès de demain et ça, c’est un truc qui est très difficile à faire intégrer aux marketeurs d’aujourd’hui qui sont déstabilisés de devoir gérer un domaine où le hasard à sa place, qu’ils ne peuvent pas maîtriser. Pas facile pour eux !".

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