D’une élégance suprême le concert/installation Human Requiem d’après Ein deutsches Requiem de Johannes Brahms mis en scène par Jochen Sandig atteint une perfection inégalée. Ode au vivant et chef-d’œuvre à La Monnaie extramuros aux Halles de Schaerbeek dans le cadre du Klarafestival.
Human Requiem respire une impressionnante maîtrise, amendée, éloignée des dangers de l’emphase et du mysticisme, exalté et prosélyte.
Ici, la matière concrète de l’espace nu à partager (la Grande Halle) acquiert une immédiate dimension picturale. Et la beauté des scènes et la proximité des corps mobiles, spectateurs et artistes, nous jettent au cœur des relations, vivantes et palpitantes.
En ce sens, être au cœur du dispositif, à la fois seul et ensemble, c’est partager les affects du compositeur allemand Johannes Brahms lorsqu’il écrivait à Clara Schumann : "Ich gebe zu, daß ich recht gern auch das ‘Deutsch’ fortließe und einfach den ‘Menschen’ setzte". Autrement dit en français : "C’est volontiers que je remplacerais ‘Allemand’ par ‘Humain’ dans le titre de mon Requiem". Ni dieu, ni personnage, seulement la puissance de l’inachèvement fini, le vivant, l’humain.
Dans la mise en scène/installation, sensualiste et englobante, de Jochen Sandig, on entend presque rien d’autre que cette phrase, comme une incantation expérimentatrice (ou hantise) : "Menschlichkeit ist nicht teilbar". L’humanité n’est pas divisible. Le geste de Jochen Sandig interpelle, il est charnel, presque caressant. C’est un réceptacle à visions qui respire en musique.
La musique orchestrée par Nikolas Fink comme la lumière (Jörg Bittner) et leurs intensités variables colorent, éclairent ou obscurcissent l’espace. C’est ce jeu qui nous permet d’explorer toutes les profondeurs du champ et les émotions humaines, déverrouillant le corps et l’affranchissant de tout déterminisme. Human Requiem est un voyage. Nous en faisons l’expérience, esthétique et intime.
Ici, les dramaturgie (Sasha Waltz et Ilka Seifert) et scénographie (Brad Hwang) épurées et la puissance expressive des paroles de consolation se mêlent sur un mode purement intérieur aux flux des consciences, aux souvenirs et aux traces d’une impression, d’un sentiment.
Les voix du Rundfunkchor Berlin coulent à la surface du récit inspiré davantage de la Bible luthérienne que d’une messe de requiem catholique. Elles sont comme des ponctuations un peu rêveuses, entêtantes. Elles font exploser notre finitude en un archipel harmonieusement agencé d’images reliées entre elles par le fil d’un sentiment ou d’une volonté à donner à entendre, à donner à voir : la réconciliation.
Dans Human Requiem, l’essentiel, le plus beau se joue dans notre regard, aussi. Qui voit ? Qui regarde ? Les spectateurs ? Les choristes ? Les solistes ? La soprano Sylvia Schwartz ? Le baryton Konrad Jarnot ? Les pianistes, Angela Gassenhuber et Philip Mayers ?
Notre regard est sans cesse détourné, requis, happé par ce qui est autour, par ce qui imprègne l’espace : le vivant, souverain et triomphant, dont la grâce ravit. L’éclat particulier qu’il nous renvoie, ici, nous laisse interdits, nous désarme. Car tout ce que nous rencontrons et ressentons, nous le rencontrons et le ressentons en lui, dans les éclats des sentiments intimes les plus enfouis et l’éphémère le plus fragile.
Sylvia Botella
Human Requiem/Johannes Brahms/Rundfunkchor Berlin/Jochen Sandig/Sasha Waltz, les 18 et 19 mars 2016, La Monnaie extra muros, aux Halles de Schaerbeek dans le cadre du Klarafestival: www.klarafestival.be