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Hongrie : la pénurie de carburant a finalement eu raison du blocage des prix décrété par le gouvernement Orban

"Hors service": une annonce souvent vue aux pompes en Hongrie

© ATTILA KISBENEDEK / AFP

C’est la fin de l’essence et du diesel pas chers en Hongrie : le gouvernement hongrois a décidé mardi soir avec effet immédiat de supprimer le plafonnement des prix des carburants à la pompe.

Fixé à 480 forints, soit 1,17 euro le litre, depuis novembre 2021, ce mécanisme révisé tous les trois mois, et prolongé pour la dernière fois en septembre, devait rester en principe en vigueur jusqu’à la fin de l’année.

Cela faisait de la Hongrie le pays européen le meilleur marché. Le plafonnement des prix devait servir de bouclier à la vie chère.

Une mesure électoraliste dysfonctionnelle

En vue d’élections législatives très disputées de ce printemps, le gouvernement hongrois de Viktor Orban avait instauré il y a un an le plafonnement des prix sur une série de produits alimentaires de base ainsi que sur le carburant pour soutenir l’activité économique et juguler l’inflation galopante qu’il attribue aux effets des sanctions de l’Union européenne contre la Russie.

L’inflation en Hongrie sur un an a atteint 21,6% sur un an en octobre, son niveau le plus élevé depuis 1996, et le troisième plus élevé de l’Union européenne, selon Eurostat. Le gel des subsides européens de la Hongrie à cause de la corruption, toujours pas résolu, pèse également fort sur le budget public du pays.

Cette mesure électoraliste de bocage des prix du gouvernement Orban a eu des conséquences négatives, déclenchant inévitablement après un moment une pénurie sur certains de ces produits comme le sucre en poudre mais également sur les carburants.

Cette pénurie est due à une baisse de 30% des importations de carburant, ainsi qu’à des opérations de maintenance dans l’une des raffineries du groupe pétrolier hongrois MOL, qui doivent durer plusieurs semaines. De plus le pipeline "de l’Amitié" qui amène le pétrole de Russie a été mis un certain temps hors service : un de ses postes de transformation a été touché par un bombardement en Ukraine. Depuis il a pu être réparé mais ne fonctionne que par intermittence.

La Hongrie a obtenu une exemption des sanctions pétrolières européennes à l’égard de Moscou, mais continuer à importer du brut russe ne la met pas à l’abri d’une flambée des prix. Le pays importe tout son pétrole et les compagnies pétrolières ne gagnaient plus grand-chose à importer.

Les pompistes non plus et ils rechignaient à distribuer les carburants visés par le plafonnement, essence et diesel, préférant écouler des carburants premium non visés par le blocage. Les groupes pétroliers demandaient la fin du plafonnement. Le gouvernement Orban savait qu’il fallait passer par là, il attendait l’occasion.

Tourisme du carburant et inflation

De plus, un tourisme du carburant s’est développé au départ des pays voisins où l’essence est plus chère. 1,17 euro contre quasi 2 euros en Autriche, beaucoup ont vite fait le calcul. Cela a obligé à mettre en place un compliqué système de double tarification, excluant les véhicules non immatriculés en Hongrie du tarif plafonné, ce qui a transformé les pompistes en contrôleurs de cartes grises.

Autre effet pervers souligné par le gouverneur de la banque centrale hongroise, Gyorgy Matolcsy : les "plafonnements des prix des carburants et des denrées alimentaires ont ajouté trois à quatre points de pourcentage à l’inflation" en poussant les commerçants à augmenter les prix des autres biens. La Banque centrale voulait donc aussi la fin du plafonnement. Un appel dans ce sens du gouverneur, généralement allié d’Orban, a sans doute sonné la fin de l’expérience devant une commission parlementaire ce lundi.

Restrictions à la pompe en Hongrie
Restrictions à la pompe en Hongrie © Jean-François Herbecq

Une annonce nocturne d’application immédiate

Pour éviter une nouvelle ruée sur les stations avant le passage au prix du marché, le gouvernement hongrois a pris soin d’annoncer la fin du plafonnement en fin de soirée mardi. Conférence de presse à 22h30, application à 23h...

Il fallait éviter de provoquer un nouveau chaos. La pénurie avait déjà entraîné une ruée vers les stations-service en Hongrie, et des files d’attente d’une centaine de mètres de long se formaient aux abords de stations-service du pays, des pompes étaient à sec et des bagarres éclataient dans les files. Mardi, un quart des stations-service étaient sans carburant.

Des pleins vite fait et des jerrycans…

La demande a bondi ces derniers mois et surtout ces derniers jours en Hongrie. Des signaux de fin du plafonnement ont été donnés. Le principal distributeur pétrolier du pays, MOL indique avoir vendu 2,2 milliards de litres jusqu’à présent cette année, contre 1,5 milliard l’an dernier. Au cours des sept derniers jours, plus de 50 millions de litres ont été vendus, soit 60% de plus qu’il y a un an. Un appétit démesuré des Hongrois pour les carburants pointé du doigt par le patron de MOL Zsolt Hernádi : "Epargner n’est pas péché, gaspiller est péché".

De 480 forints (1,17 euro) le litre, on devrait passer à 641 forints (1,56 euro) pour l’essence et à 699 forints (1,70 euro) pour le diesel, soit un tiers à 45% d’augmentation, toujours moins qu’en Allemagne, en Belgique ou en Autriche. Le gouvernement hongrois envisage de taxer les profits excessifs des compagnies pétrolières. L'opposition dénonce sa mauvaise gestion du dossier et demande des corrections via des réductions d'accises ou un passage aux énergies vertes.

Evidemment le retour à des prix du marché signifie une forte hausse des prix qui se répercutera à son tour sur l’inflation.

Si les nouveaux prix sont d’application immédiate, cela ne va pas résoudre la pénurie directement. Il faudra sans doute un mois et demi pour rétablir la situation.

Quid des autres produits aux prix bloqués ?

Cette fin de plafonnement des prix du carburant fait revenir sur la table la question de celle des autres produits aux prix bloqués. Sucre, lait, huile, farine, poulet, viande de porc : la question a été posée au gouvernement, vu que des pénuries locales commencent à toucher certains produits de base.

Réponse du porte-parole du gouvernement : "Si la pénurie devient générale, il faut alors le supprimer progressivement. Si seulement 1% est en pénurie, cela vaut la peine de le maintenir, s’il cause des difficultés nationales, il faut le supprimer. Le gouvernement surveille la situation pour tous les produits".

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