S’il y a bien quelque chose que le chorégraphe Thierry Smits déteste, ce sont toutes les formes d’injustice et l’idiotie humaine. Il le dit : "c’est inscrit dans mon ADN". Sa dernière pièce de danse Revolt - solo pour Nicola Leahay - est reprise actuellement à la Balsamine à Bruxelles. Notre entretien iconique T’en as pas marre s’imposait. L’humour, aussi.
Sylvia Botella : Vous en avez pas marre du solo de danse Revolt ?
Thierry Smits : C’est une bonne question. Il y a toujours un moment de la tournée où effectivement je n’en peux plus.
C’était avant-hier (rire). Je me disais : " encore ! " À ma défense, je suis toujours dans la salle durant la représentation. Il est très rare que je ne sois pas là. Mais hier, c’était le cas (rire). J’avais délégué la tâche à la danseuse Juliette Buffard qui était dans ma précédente création Cocktails (2014).
Lors d’une reprise, je procède toujours à quelques petites modifications afin que la création reste " excitante " pour tout le monde. La pièce de danse bouge encore, longtemps après.
Vous en avez pas marre de travailler avec la danseuse Nicola Leahey ?
Non, pas du tout ! C’est une EXCELLENTE interprète et danseuse. Elle a une très grande potentialité, elle est extrêmement investie dans le travail. Elle est rigoureuse, créative ! Donc, NON ! Si j’ai l’occasion de travailler à nouveau avec elle, je le ferais.
Vous en avez pas marre d’user de la répétition, des combinatoires et de la chevelure lâchée dans Revolt ?
Oui, un peu mais lorsqu’il est possible d’améliorer un geste, un mouvement, je le fais. Nous l’avons fait avant-hier. Toutefois, dans le même temps, la répétition du geste est nécessaire dans Revolt car la révolte sans répétition se meurt.
Je pense que la révolte est un processus qui exige la répétition, sinon ce sont les tyrans qui reprennent les pouvoirs. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe dans les pays arabes, à l’exception de la Tunisie. La plupart de ces pays qui ont tenté de mettre en place une démocratie, ont failli et se retrouvent à nouveau sous le joug de la tyrannie qui est soutenue par l’occident.
Je ne me lasse pas du mouvement des cheveux lâchés de Nicola Leahey parce qu’elle le fait merveilleusement bien ! Sa chevelure est une sorte de protubérance incontrôlée du corps qui, chaque soir, prend la lumière, autrement.
Vous en avez pas marre de travailler sur l’oppression du corps féminin ?
Oui (rire). C’est pour cette raison que je commence une nouvelle création avec onze danseurs en juillet prochain. Je vais travailler notamment avec l’artiste et compositeur espagnol Francisco Lopez qui est une des figures majeures du sound art et de la musique expérimentale. Il travaille sur des sons qui trouvent leurs origines dans les éléments de la nature : le vent, le bruit des insectes, etc. Contrairement, à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas du tout New Age (rire). Sa création sons prend la forme d’une expérience physique, véritable.
Ici, nous travaillerons sur l’expérience de la transe, sa mise en condition et son immersion. La création s’intitulera Anima ardens (en français Âmes brûlantes).
En novembre dernier, à l’issue d’une audition, j’ai sélectionné onze danseurs originaires de dix pays différents, qui sont plus ancrés dans le mouvement que dans la technique.
Les danseurs seront nus sur le plateau avec pour seuls accessoires, des draps blancs. Et les représentations auront lieu dans le studio de la Compagnie Thor – notre studio – pendant quatre semaines, dans le cadre de la programmation du Théâtre Varia. Elles débuteront en octobre 2016.
Vous en avez pas marre de rouler pour le défi et l’insoumission ?
NON ! Je n’en aurai jamais marre. C’est inscrit dans mon ADN. Il y a trop de choses dans le quotidien et dans la vie en particulier qui m’insupportent, allant de l’injustice sociale à l’idiotie humaine.
Vous en avez pas marre de penser que le corps est l’espace politique, " le seul territoire de liberté qu’il nous reste " ?
Non ! Et je pense qu’à l’avenir, cela se confirmera davantage. Au regard de certaines décisions politiques liberticides et de l’usage accru des nouvelles technologies, nos vies sont de plus en plus contrôlées.
Justement, je pensais à cela cette semaine. Le salon Drone-Days ouvrira ses portes le 7 mars prochain à Tour & Taxis à Bruxelles. On peut, certes, s’amuser avec un drone mais dès qu’on commence à réfléchir sérieusement à ses applications, cela est effrayant, du point de vue de la réduction des espaces de liberté.
J’étais au volant de ma voiture lorsque j’ai entendu parler de ce salon à la radio. Et j’ai eu immédiatement en tête l’image effrayante du drone qui, survolant l’espace public, me demanderait, un jour, de garer mon véhicule sur le bas-côté de la route pour vérifier mes papiers. C’est pour ces raisons que je pense que le corps est l’ultime espace de liberté.
Vous en avez pas marre d’être à contre-courant ?
En fait, je me fiche des courants. Je n’ai pas l’impression d’être à contre-courant. J’aime ne pas tenir compte des courants. Mais si dans les courants, il y a un courant chaud comme celui du Pacifique, je préfère y être (rire).
Vous en avez pas marre d’en avoir marre !?
J’EN AI MARRE (rire) ! Ceci étant, avec la maturité, je relativise de plus en plus. C’est difficile de répondre à cette question. Est-ce que j’en ai marre d’en avoir marre ? ! Parfois " oui ", parfois " non ".
Aujourd’hui, je suis de bonne humeur, je suis très positif. Je viens d’achever un dossier de candidature pour la direction d’un lieu ... Adviendra ce qu’il adviendra.
Entretien réalisé par Sylvia Botella à Bruxelles, le 24 février 2016.
Revolt de Thierry Smits, du 23 au 27 février 2016 à La Balsamine à Bruxelles. (toutes les représentations sont complètes)