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HERstory, quand les femmes écrivent l’histoire

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Par Sarra El Massaoudi pour Les Grenades via

L’ouvrage collectif "HERstory. Féminisme, minorité et visualité" met en lumière le récit de dix femmes qui se réapproprient l’Histoire en partageant la leur.

HERstory : l’histoire avec "her" ou "elle" en anglais, et en majuscules. Parce que ce livre, c’est leur façon de réécrire l’histoire. Une réécriture du point de vue des dominées, dans ce cas-ci des femmes, racisées, de confession musulmane.

Ces femmes, ce sont Salwa Boujour, Maja-Ajmia Yde Zellama, Manal Yousfi, Souhaïla Amri et Fatima-Zohra Ait El Maâti. Cinq femmes racisées de confession musulmane donc, qui sont en réalité bien plus que cela : journaliste, conférencières, réalisatrice, DJ, créatrices et coordinatrices de projets, artistes, programmatrice et curatrice.

Cinq femmes aux identités plurielles et aux trajectoires variées qui ont toutes été confrontées, à des endroits et des degrés divers, à des violences sexistes, racistes, classistes. Et qui, dans ce contexte de violences, mobilisent les réseaux sociaux pour se réapproprier leur image, redéfinir leur identité, faire communauté et s’engager.

C’est là tout l’objet de l’ouvrage, publié aux éditions de La lettre volée : leur permettre de se raconter et de prendre du recul sur la façon dont elles ont construit, utilisé et visibilisé leur image tout au long de leur parcours.

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Ecrire un livre

A l’origine du projet, la sociologue Maryam Kolly leur demande de réaliser cet exercice d’écriture autour d’une sélection d’images fortes de leur compte Instagram. "Quand elle m’a parlé de son idée, je ne me rendais pas du tout compte de ce que ça représentait d’écrire un livre, se souvient Maja-Ajmia Yde Zellama, réalisatrice et co-fondatrice de Bledarte, une association qui crée un espace physique et digital pour les jeunes issu·es de l’immigration à travers l’art et la culture. En écrivant, je me suis rendu compte que se raconter, c’est pas seulement parler de soi, ça implique aussi les personnes de mon entourage."

Dans cet entourage, les parents, grands-parents et les grandes sœurs occupent une place importante dans le récit des autrices. “Vous devez savoir qu’avant nous, en Belgique, des femmes ont préparé le terrain de la lutte. Elles ont ouvert des portes, créé des ponts, toujours sur la brèche", écrit par exemple Salwa Boujour, journaliste et co-fondatrice de l’Association pour la Diversité et l’Inclusion dans les Médias (ADIM), un organisme qui s’engage pour un monde médiatique belge plus inclusif.

Elle rend aussi femmage aux figures Amazigh qui l’inspirent, des guerrières historiques à ses grands-mères, ses tantes, sa mère. "La reconnaissance, c’est quelque chose qui est vraiment important pour moi. Je ne pouvais pas écrire ce chapitre sans remercier les personnes qui m’ont donné les outils et qui ont réalisé beaucoup de sacrifices pour que je puisse m’auto-inclure finalement, me trouver une place, l’arracher parce que c’est clair qu’on ne nous la donne pas", explique-t-elle aujourd’hui.

Héritages féministes

Ancrées dans ces héritages familiaux, religieux, culturels et féministes, les cinq autrices questionnent et challengent le monde qui les entoure. Plusieurs thématiques sont abordées de manière transversale dans presque tous les récits. C’est le cas de la question de la représentation, de l’islamophobie genrée et du mouvement Hijabis fight back.

Salwa Boujour consacre une partie de son chapitre à la réappropriation de son corps, en proie à de multiples injonctions et oppressions. "J’avais envie de rappeler à toutes les personnes qui souffrent de ces agressions contre leur corps et ce qu’il représente dans l’espace public que ce n’est pas elles le problème. C’est quelque chose de social, de politique, de sociologique."

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Des agressions qui ne se produisent pas uniquement dans l’espace public mais aussi sur les réseaux sociaux. Car si le monde digital constitue pour les autrices un outil important pour s’affirmer, se définir et créer des communautés bienveillantes, il est aussi le théâtre de nombreuses violences, particulièrement dirigées vers les femmes minorisées.

Violences

Devant cette réalité, les autrices optent pour des stratégies variées. Souhaïla Amri, coordinatrice de projets socioculturels et comédienne, explique ainsi être une grande consommatrice de contenus sur les réseaux sociaux mais ne pas en diffuser. "Bien qu’ayant conscience de la force des réseaux qui peuvent être des plateformes merveilleuses pour la créativité et la mobilisation, j’ai également en tête les dangers qui y sont associés et qui me freinent dans la création du contenu propre à ces plateformes."

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De son côté, Salwa Boujour n’utilise pas Twitter et restreint l’accès à son compte Instagram. "Ça me porte évidemment préjudice parce que ça me prive d’un espace où les politiques et les journalistes prennent beaucoup la parole. Et filtrer qui peut me suivre ou commenter mes posts Instagram nuit à la croissance de mon compte donc on est toujours perdantes en fait."

Quant à Maja-Ajmia Yde Zellama, elle rappelle que les violences ne viennent pas toujours de là où on les attend : "Pour moi, c’est venu de l’entourage proche et de personnes blanches qui étaient mes amies depuis des années et qui du jour au lendemain n’ont plus assumé parce que je disais trop fort ce que je pensais sur des questions de blanchité, de genre, etc."

Tisser des liens

Face à ces violences sur les réseaux sociaux mais aussi institutionnelles, politiques et interpersonnelles, les autrices relèvent l’importance de la prise en compte de la santé mentale. Salwa Boujour invite les lectrices à cultiver l’amour de soi et la joie pour les autres. "Quand on arrive à se témoigner de l’amour et à se donner de la valeur, qu’on ne la place plus dans la main des dominants, on arrive à se sentir bien et à cultiver des sentiments positifs pour les autres."

Le récit de ces cinq autrices est par ailleurs étoffé par les réflexions de cinq femmes minorisées issues de générations précédentes : Samira Hmouda, Malika Hamidi, Benedikte Zitouni, Nadia Fadil et Maryam Kolly. Elles apportent, chacune à leur manière, un autre regard sur les réalités et l’engagement social de leurs "petites sœurs".

Vous devez savoir qu’avant nous, en Belgique, des femmes ont préparé le terrain de la lutte. Elles ont ouvert des portes, créé des ponts, toujours sur la brèche

Tisser des liens. C’est aussi cela que réalise HERstory. En rassemblant les récits de cinq femmes engagées de la même génération, l’ouvrage transforme des vécus personnels en réalités collectives. En y associant le point de vue de cinq autres femmes engagées de générations précédentes, il offre à ces réalités collectives une perspective historique.

Enfin, en adressant ces récits à des jeunes filles de l’an 2050, il permet de se tourner vers les générations à venir et de penser le futur. "Ce livre, je le destine aussi à toutes les petites filles qui peuvent se reconnaître en nous, conclut Maja-Ajmia Yde Zellama. Pour moi, la question de la représentation, elle est essentielle. C’est quelque chose qui m’a énormément manqué dans la construction et la fortification de mon identité et si je peux combler ce trou pour des jeunes filles, c’est un rêve !"

Aux lectrices désormais de déterminer s’il est devenu réalité.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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