Economie

Hausse des dépenses militaires : quelles retombées pour l’économie belge ?

Construction d’un hall de production à la Sabca à Lummen

© BELGA PHOTO JOHN THYS

Le gouvernement évalue l’opportunité de porter nos dépenses militaires à 2% du produit intérieur brut. C’est une demande pressante de l’OTAN, dont le sommet se tiendra fin juin. Et cet objectif ne fait pas l’unanimité au sein du gouvernement fédéral. Les Verts, surtout francophones, y sont franchement opposés. Selon la trajectoire actuelle, on devrait être à 1,54% du PIB consacré à la défense en 2030. On est donc loin des 2%. Et dans la grande discussion politique en cours, au-delà de l’opportunité ou non de renforcer notre défense, un argument revient souvent pour augmenter nos dépenses : celui des retombées économiques des investissements belges dans les équipements ou les infrastructures militaires.

Lors d’achat de matériel, il est possible, par exemple, de produire en Belgique, en partie au moins, ce matériel ou de l’entretenir. Les fameux 2% de l’OTAN ne comprennent pas que des investissements militaires, il y a les frais de fonctionnement, les salaires, les pensions qui entrent en considération. Mais pour justifier toutes ces dépenses militaires, on avance fréquemment cet argument des bénéfices pour l’industrie. Un euro investi dans l’armée serait toujours récupéré. Par le passé, on a connu des marchés d’équipements militaires conclus avec des retours sur investissements colossaux pour la Belgique. Ce fut le cas, par exemple, de l’achat de F-16 américains dans les années septante : 116 appareils achetés au total. On parlait du contrat du siècle. Contrat qui a été déterminant pour le développement de l’industrie aérospatiale belge et dont on perçoit encore les bénéfices aujourd’hui. Selon Jacques Smal, président des Entreprises wallonnes de l’aéronautique, "les sociétés comme Sonaca, Sabca, Safran Aero Boosters ex-Techspace Aero, ont grandi dans le domaine civil, sous l’impulsion du business qu’elles ont pu faire dans le cadre des retombées économiques de l’achat des F-16. Et c’est un modèle qui est démontré et qui fonctionne de manière pertinente et intelligente, avec un facteur multiplicateur énorme qui peut aller jusqu’à dix. Donc les retours sont évidemment extrêmement importants".

Le contrat des F-16 n’est sans doute pas représentatif des contrats militaires en Belgique en matière de compensations économiques, ces contreparties industrielles négociées par le passé. C’était un contrat exceptionnel, comme me l’a expliqué Wally Struys, professeur d’économie de la défense à l’École royale militaire : "Ça a été un marché formidable. On peut oublier cela parce que justement, cette composante économique portait aussi sur des activités qui n’avaient absolument rien à voir avec des activités de haute technologie, comme dans l’agriculture. Les compensations indirectes portaient sur tout ce que le pays vendeur à la Belgique achetait en Belgique dans certains domaines". Si on achetait des F-16, la Belgique avait l’opportunité de développer son industrie militaire et en plus, les Américains étaient susceptibles d’acheter d’autres produits, par exemple agricoles. Depuis lors, l’Europe a durci les règles pour des raisons de libre concurrence. C’est fini ce genre de marché où l’achat de matériel militaire ouvre toute une série d’autres opportunités. Désormais, les seuls retours économiques autorisés concernent les intérêts essentiels de sécurité du pays. C’est donc un cadre plus restrictif et les retours économiques sont plus faibles pour les contractés actuels.

Les règles de compensations économiques ne sont pas le seul facteur qui influence la hauteur de ces retours, mais il est effectivement plus difficile d’obtenir des retombées aussi généreuses. Cela s’est d’ailleurs vérifié lors de l’achat des F-35. On parle d’un plus petit contrat, 34 avions de chasse seulement, mais le montant de l’achat est conséquent, 3,6 milliards d’euros. Et lors de la conclusion du contrat en 2018, le gouvernement précédent avait promis 100% de retour sur investissement. Ça ne se confirme pas aujourd’hui. Le cabinet du ministre de l’Économie a sorti des chiffres récemment et jusqu’ici, le contrat a plutôt rapporté 700 millions d’euros à la Belgique. L’ensemble des retombées pourrait atteindre à terme 1,8 milliard d’euros, soit 50% du montant investi. Mais l’investissement rapporte tout de même quelque chose. Et puis, il y a des contrats moins médiatisés que celui du F-35, mais dont la proportion des retours est plus intéressante. Enfin, le seul argument économique est évidemment assez réducteur lorsqu’il s’agit de savoir combien d’argent un pays doit dépenser dans sa défense. Quoi qu’il en soit, la Belgique devra se décider avant la fin du mois si elle ne veut pas arriver les mains vides à Madrid au sommet de l’OTAN.

Le marché matinal

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