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Guerre entre l’Azerbaïdjan et l'Arménie dans le Haut-Karabakh : quelques clés pour mieux comprendre

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L’information ne fait pas les gros titres de la presse. Il s’agit pourtant bien d’une guerre, entre deux pays. Un conflit peu relayé, peu expliqué. Et donc peu compris. Pourquoi ces deux pays voisins que sont l'Arménie et l’Azerbaïdjan se font-ils encore la guerre ? Quels en sont les enjeux ? De quels soutiens disposent les deux parties ? Et pourquoi ce conflit n’attire-t-il pas la même attention que d’autres ? Voici quelques éléments de réponse…

C’est d’abord l’histoire ancienne mais aussi et surtout très complexe d’une région montagneuse, le Nagorny Karabakh, appelée aussi le Haut-Karabakh ou encore le Nagorno Karabakh. Peuplée d’environ 145.000 habitants dont 95% d’Arméniens, cette région du Caucase d’une superficie à peu près équivalente à celle de la province du Luxembourg est l’objet d’incessantes disputes entre les deux anciennes républiques soviétiques. La première guerre, en 1991, a fait plus de 30.000 morts. Et à l’automne 2020, ce qui était jusqu’à cette semaine la dernière étape majeure du conflit s’était soldé par 6500 victimes.

Quelle est l’origine du conflit ?

Il faut remonter un siècle en arrière, à l’époque de Staline. Après l’invasion du Caucase par l’URSS s’est posée la question du découpage administratif de ces nouveaux territoires. " Sous Staline ", explique Michel Liégeois, professeur de relations internationales à l’UCLouvain. "Il n’était évidemment pas question de faire cela de façon démocratique, mais il y a quand même eu des discussions, des avis. Et le découpage de cette partie-là a été compliqué parce que Staline souhaitait des entités administratives relativement cohérentes d’un point de vue ethnique, afin de conserver le contrôle des territoires", souligne l'expert.

"Dans un premier temps, la région du Karabakh a été intégrée à la république d’Arménie, mais cela ne s’est pas très bien passé, il y a eu des protestations, et pour d’autres raisons, un contentieux s’est créé entre Moscou et la république d’Arménie. Quelques mois plus tard, les Soviétiques sont revenus sur leur décision et ont choisi de rattacher le Karabakh à la république d’Azerbaïdjan, dont la population est essentiellement composée de musulmans chiites et non plus à l’Arménie, dont la population est chrétienne. Or une partie du Karabakh, appelée le Haut-Karabakh, est quasi totalement peuplée d’Arméniens, à 95%. Ce rattachement de l’ensemble du Karabakh à l’Azerbaïdjan a bien évidemment créé un problème puisque le principe de relative homogénéité ethnique appliqué ailleurs en Union soviétique ne l’était pas dans ce cas-ci, pour d’autres raisons", détaille Michel Liégeois

Un problème qui en réalité n’a pas vraiment suscité de vagues tant que l’URSS existait puisque les minorités n’avaient guère la possibilité de s’exprimer. Mais les choses ont changé dès la chute de l’Union soviétique, en 1991.

"Tous ces vieux conflits enfouis sous la carapace d’un régime totalitaire ressurgissent instantanément, exactement comme ce fut le cas dans les Balkans" explique Michel Liégeois. "Les Arméniens du Haut-Karabakh ayant de nouveau leur mot à dire ont fait savoir qu’il n’était plus question de vivre sous la domination d’une population qui leur était complètement étrangère et ils ont donc proclamé leur indépendance. Une action considérée comme sécessionniste par l’Azerbaïdjan qui a voulu reconquérir par la force ce territoire perdu. C’est le début de la guerre, et c’est ce problème qui n’est toujours pas résolu. En 1991, ce sont les Arméniens du Haut-Karabakh qui ont pris les armes pour se libérer de la tutelle de l’Azerbaïdjan et aujourd’hui, ce sont les Azéris qui veulent reprendre le contrôle du territoire perdu, mais c’est toujours la même dynamique."

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Qui soutient quel camp ?

La question paraît simple, la réponse l’est beaucoup moins. Comme le précise Michel Liégeois, " c’est une géopolitique qui n’est pas du tout intuitive ! "

Parmi les soutiens des Azéris, il y a d’abord la Turquie : " Il y a une parenté religieuse – ce sont des musulmans – mais il ne faut pas négliger l’ambition de puissance régionale très affirmée depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayip Erdogan et la région du Caucase, où une partie de la population est turcophone est une région naturelle d’influence. Et puis il y a bien sûr ce vieux contentieux entre la Turquie et l’Arménie. Il y a donc un soutien politique mais aussi militaire", note le professeur de l'UCLouvain. "C’est d’ailleurs intéressant de noter que différentes technologies militaires turques qui ont été testées lors de la guerre de 2020, dont les drones de combat qui avaient déjà eu une influence significative à l’époque sont aujourd’hui utilisés par les Ukrainiens à qui les Turcs en ont fourni beaucoup. Un autre fournisseur d’armes à l’Azerbaïdjan est Israël – ce n’est peut-être pas une proximité politique mais lorsque l’on fournit des armes à un pays en guerre, ce n’est pas complètement anodin. Les Azéris ont aussi le soutien de la Hongrie de Viktor Orban".

L’autre camp peut quant à lui compter sur la sympathie de deux pays occidentaux : la France et les Etats-Unis. " Cela s’explique plutôt par des raisons historiques ", précise Michel Liégeois. "Le fait que la France a accueilli une diaspora arménienne particulièrement importante, dont certains sont très connus (Charles Aznavour par exemple). Et c’est aussi le cas des Etats-Unis, dont les relations avec Bakou ne sont pas au beau fixe".

Mais ce qui est beaucoup plus surprenant, voire déconcertant, c’est le soutien de l’Iran : "Oui, Téhéran soutient l’Arménie, et c’est totalement contre-intuitif, puisque les Azéris sont pour la plupart des musulmans chiites, et dans la mesure où les musulmans chiites ne sont pas extrêmement nombreux dans le monde par rapport aux sunnites, on pourrait s’attendre à ce que l’Iran les soutienne partout où ils sont, ce qui est le cas en Syrie où le régime de Bachar Al Assad est soutenu par l’Iran, tout comme les chiites libanais du Hesbollah ou encore ceux qui sont impliqués dans la guerre du Yémen. Mais l’Iran, qui n’a pourtant aucune sympathie particulière envers les Arméniens, il n’y en a même aucune, ni historiquement ni sur les plans religieux ou culturel, a préféré ne pas se retrouver dans le même camp que la Turquie, avec laquelle il y a une très grande rivalité régionale. De façon un peu mécanique, l’Iran est devenu l’ami de l’ennemi de la Turquie ! C’est un paradoxe qui ne se comprend qu’à la lumière de la rivalité géopolitique très forte qui existe entre l’Iran et la Turquie".

Et la Russie ?

Selon Michel Liégeois, elle n’a pas véritablement d’intérêt marqué pour l’un ou l’autre camp. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est de garder un rôle privilégié dans la région. "La Russie prend la posture du grand frère raisonnable qui essaie de séparer ses petits frères qui se disputent. Elle s’est donc posée en médiateur, elle a proposé de déployer des forces de maintien de la paix, et c’est réellement la fonction des militaires russes envoyés sur place, ce qui lui permet de conserver un rôle dans ce qui est en réalité son "étranger proche".

Y a-t-il un lien avec la guerre en Ukraine ?

Les enjeux sont évidemment différents, et les deux conflits ne sont pas à proprement parler liés. Mais aux yeux de Michel Liégeois, ce n’est pas du tout par hasard que cette guerre du Haut Karabakh reprenne maintenant. "Les Azéris se sont dit que Russes sont occupés ailleurs, qu’ils ne pourront pas déployer l’énergie politique, diplomatique et encore moins les ressources militaires pour nous empêcher de récupérer ce que l’on veut récupérer, ils y ont donc vu une opportunité d’en tirer bénéfice".

Pourquoi ce conflit ne semble-t-il pas émouvoir beaucoup l’opinion publique internationale ?

Tout comme le Yémen, le Haut-Karabakh n’est pas un territoire qui évoque beaucoup de choses aux yeux de la population occidentale. "On connaît très mal l’histoire ", explique Michel Liégeois, " il n’y a pas grand-chose qui permette une identification. Il n’y a pas de lien avec la population, pas de monument célèbre, ni même un plat. Et puis il y a la complexité de ce conflit, qui ne peut pas être expliqué en trois minutes. Et puis il y a bien sûr la couverture médiatique. Ce conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’est pratiquement pas couvert, parce que ça intéresse peu, et parce que c’est complexe, donc tout cela se renforce pour contribuer à cette invisibilisation du conflit. Il suffirait peut-être de quelques images très dures de réfugiés, de civils blessés, d’un événement dramatique avec des caméras au bon endroit pour qu’il y ait un début d’identification du public occidental. Mais ce n’est pas non plus une guerre qui va provoquer beaucoup de victimes civiles. Le territoire sur lequel cela se déroule est essentiellement rural, montagneux, cela concerne quelques villages dont les populations sont évacuées avant que cela commence. On n’est donc pas du tout dans un scénario à la syrienne où des combats se déroulaient dans des villes habitées".

Entretemps, plus de 150 soldats ont perdu la vie depuis lundi soir dans cette reprise d’un conflit méconnu à propos duquel les grands acteurs internationaux appellent désormais "à la retenue et à l’intensification des efforts diplomatiques". Des appels qui ne semblent pas encore avoir été entendus.

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