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Guerre en Ukraine : Tchétchènes, mercenaires, volontaires étrangers, Syriens… Qui se bat en Ukraine ?

Un soldat ukrainien, près de la ville de Brovary, à l’est de Kiev, le 9 mars 2022.

© AFP or licensors

Par Daphné Van Ossel

Des Syriens recrutés par la Russie bientôt au front en Ukraine ? C’est ce que rapportait récemment le quotidien américain The Wall Street Journal, citant des sources dans l’administration américaine.

Avant cela, la presse s’était déjà fait l’écho de la présence de Tchétchènes, ou de mercenaires du groupe Wagner. On sait que l’Ukraine a aussi fait un appel aux volontaires étrangers pour prendre part à une "légion internationale".

Outre les soldats de l’armée russe, ceux de l’armée ukrainienne, et les civils ukrainiens qui ont pris les armes, d’autres belligérants se retrouvent donc sur le terrain ukrainien. Qui sont-ils, pourquoi sont-ils là, quel est leur rôle ? Éclairage avec Nicolas Gosset, chercheur au Centre d’études de sécurité et défense de l’Institut royal supérieur de défense, spécialiste de la Russie.

Les Tchétchènes

Les vidéos ont circulé sur la toile. Des milliers de soldats tchétchènes, dans leurs uniformes noirs, rassemblés à Grozny assistent au discours musclé de Ramsan Kadyrov, président de la République tchétchène, qui leur demande de se tenir prêts.

Ukraine : les troupes tchétchènes mobilisées

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On les voit ensuite sur le territoire ukrainien, dans la région de Kiev.

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Ces vidéos, diffusées par les Tchétchènes eux-mêmes, étaient clairement destinées à impressionner : "Surtout depuis la guerre en Syrie, rappelle Nicolas Gosset, les Tchétchènes ont été érigés en symbole de ce que l’armée russe peut faire de plus violent, de plus agressif. Il y avait un message destiné à terroriser, un message de guerre psychologique qui dit ‘la Russie est déterminée à un point tel qu’elle envoie même les Tchétchènes’. C’est un peu comme quand on parlait des Huns à la fin de l’Empire romain. Si on savait qu’ils arrivaient, on se disait que ça allait être horrible."

"On a vu d’ailleurs le grand cas qui en a été fait en Occident, en Europe et aussi en Ukraine.” Mais, précise Nicolas Gosset, il faut se souvenir qu’ils font partie intégrante de l’armée russe : "Ce ne sont pas des paramilitaires comme on l’entend parfois. La Tchétchénie fait partie de la Russie, donc les unités tchétchènes sont mobilisées au même titre que des gars de l’Altaï, ou de Sibérie."

Combien sont-ils en Ukraine ? La propagande tchétchène évoque 12.000 hommes présents sur la vidéo ci-dessus, mais rien ne permet de le vérifier. Et combien parmi eux sont effectivement partis ? Là aussi, c’est difficile à savoir : "On sait qu’il y a des Kadyrovtsy (surnom de ces soldats fidèles à leur chef Kadyrov, ndlr) qui sont présents mais on ne sait pas vraiment dans quel ordre de grandeur. C’est probablement quelques centaines d’hommes. Il ne faut pas oublier qu’ils sont toujours engagés en Syrie."

Et pour quelle mission ? Dans Le Figaro, Joseph Henrotin, politologue et rédacteur en chef du magazine Défense et Sécurité Internationale (DSI), estime que "ce ne sont pas vraiment des troupes de combat mais d’abord des hommes aguerris au maintien de l’ordre. Ils sont arrivés avec des véhicules blindés, mais pas des chars d’assaut. Leur rôle sera sans doute de donner un coup de main aux soldats russes, mais probablement en vue d’une phase de stabilisation face à la guérilla urbaine qui suivra l’occupation russe dans les grandes villes d’Ukraine."

Nicolas Gosset ajoute : "Au début, on parlait d’une sorte de groupe d’élite missionné pour tuer certains officiels mais ça a été avancé un peu comme argent comptant sans avoir vraiment de garanties. C’est une des plus grandes zones grises de l’information dont on dispose pour le moment, tant en ce qui concerne les Tchétchènes qu’en ce qui concerne les paramilitaires russes comme le groupe Wagner."

Le groupe Wagner

Le groupe Wagner, c’est une société militaire privée russe qui a fait couler beaucoup d’encre (accusée, entre autres, de perpétrer des actes de torture, des exécutions sommaires, des pillages des ressources naturelles). Ces mercenaires sont déjà présents dans le Donbass depuis 2015. "Y a-t-il eu une augmentation de cet effort ? , interroge Nicolas Gosset, c’est très probable puisqu’on sait que, vu la dispersion territoriale de l’armée russe, ils ont sollicité ces forces en soutien."

Leur nom est régulièrement évoqué quand on parle d’une probable élimination du président ukrainien Zelensky. Michel Hofman, le chef de la Défense belge le confirmait encore sur nos antennes : “Je pense que c’est plausible et qu’ils ont la capacité de le faire. Je suis sûr que l’entourage de Monsieur Zelensky en tient compte.”

Nicolas Gosset, appelle donc lui, à la prudence.

Les Syriens

Selon le Wall Street Journal, la Russie recruterait aussi des soldats syriens qui ont déjà participé à des combats lors de la guerre de Syrie.

Il cite des sources dans l’administration américaine, selon lesquelles les Syriens devraient aider les Russes à s’emparer de Kiev. Certains seraient déjà arrivés sur le sol russe.

"Ces milices syriennes associées aux Russes sur le terrain, ont été particulièrement efficaces dans les combats urbains en Syrie, mais l’Ukraine n’est pas la Syrie. Donc, ça démontre qu’il y a une incertitude, un inconfort, de l’armée russe par rapport à la perspective d’une guerre qui s’enlise de plus en plus dans une perspective de guérilla urbaine", analyse le chercheur qui appelle en même temps à la vigilance.

"Après, est-ce vraiment mis en œuvre, est-ce que c’est confirmé ou est-ce que c’est de l’intox, dans cette guerre d’information ?”, questionne-t-il. “En l’état, je pense qu’au-delà du symbole et de quelques centaines d’hommes qui pourraient ainsi être transplantés, ce n’est pas de nature à être déterminant."

Pourquoi les Russes ont-ils besoin de renforts ?

L’armée russe comprend un grand nombre de conscrits, des appelés qui se trouvent massivement au nord de Kiev, dans l’Est. “Cette armée de conscrits est moins chevronnée que des unités professionnelles aguerries qui ont pu faire leurs armes en Tchétchénie, en Syrie ou ailleurs. Donc, cela montre que la Russie est confrontée à un manque de ces unités les plus professionnalisées, et a besoin de ces forces connexes pour se renforcer.”

La professionnalisation de l’armée russe a commencé vers 2008. Les Russes ont progressivement remplacé un certain nombre d’unités par des hommes sous contrat, mais l’armée de terre a moins bénéficié de cette professionnalisation. Selon la chercheuse Isabelle Facon, spécialiste des politiques de défense russes à la Fondation pour la recherche stratégique, citée par Nicolas Gosset, l’armée de terre russe ne compte que 35 pourcents de professionnels. "Par contre, dans les forces aéroportées, comme les parachutistes qui ont sauté sur Kharkiv, ce sont des professionnels. Dans l’armée de l’air et dans la marine, on a une proportion de professionnels plus importante que dans l’armée de terre."

Vladimir Poutine avait nié la présence de conscrits en Ukraine, mais le porte-parole du ministère de la Défense, Igor Konachenkov, a finalement reconnu leur présence ce mercredi, tout en affirmant qu’ils avaient déjà presque tous été retirés sur le territoire russe.

Côté ukrainien : la légion internationale

Côté ukrainien, arrivent aussi des combattants étrangers. Fin février, le président Volodymr Zelensky avait annoncé la création d’une force constituée de volontaires étrangers, la "Légion internationale de défense territoriale de l’Ukraine". "Elle sera composée d’étrangers désireux de participer à la lutte contre l’agression russe", expliquait-il, en ajoutant : "Ce sera la preuve essentielle de votre soutien à notre pays."

On sait que, notamment, des Belges et des Français sont déjà partis, mais, là aussi, il est difficile d’avoir des chiffres précis sur le nombre de volontaires ayant déjà rejoint le pays. "J’ai cherché mais, honnêtement, je n’ai pas de chiffres, reconnaît Nicolas Gosset. Ça semble ne pas être marginal, on parle sans doute de plusieurs milliers de personnes d’ores et déjà. Mais encore une fois, c’est peu documenté. On en sait peu sur les régions dans lesquelles ils sont actifs, et pour quelles missions."

Et par ailleurs, un problème qui reste insoluble jusqu’à présent et qui pointe une responsabilité dans les pays d’envoi, c’est le statut de ces hommes. On dit qu’ils sont ‘intégrés aux forces armées ukrainiennes’mais sont-ils rémunérés ou pas ? Je crois comprendre qu’ils le sont. Donc on a un statut qui est très proche du mercenaire et qui pose des difficultés en termes de droit de la guerre.

Des mercenaires américains ?

Et si les Russes font appel à des mercenaires, les Américains ne feraient-ils pas la même chose ? Comme ils l’ont fait en Irak ou en Afghanistan (la société militaire privée Blackwater étant la plus connue). C’est une manière d’intervenir tout en dégageant la responsabilité de l’Etat.

"Peut-être est-ce déjà fait. Il y a des volontaires américains qui ont rejoint l’effort et donc peut-être aussi des sociétés militaires privées, parce que c’est vrai qu’on parle beaucoup du Groupe Wagner mais les Américains ne sont pas les derniers à avoir une culture de force de sécurité militaire privée. Mais encore une fois, je n’ai pas de certitude documentée. Mais partout dans le monde, on a des forces privées qui occupent un rôle de plus en plus important dans les conflits armés."

Retrouvez toutes les informations sur la guerre en Ukraine ici.

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