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Guerre en Ukraine : pourquoi les Russes cherchent à tout prix à s'emparer de Marioupol, ville symbolique et stratégique ?

Un soldat de l'armée ukrainienne passe devant un panneau routier de la ville indiquant Marioupol

©  AFP PHOTO/PHILIPPE DESMAZES

Par Jean-François Herbecq

Marioupol est le théâtre de combats acharnés depuis plusieurs semaines. Cette ville industrielle, port important sur la mer d’Azov, est dévastée. Elle est encerclée et pilonnée depuis début mars par les forces russes.

Ce week-end, les derniers combattants ukrainiens ont décidé d’ignorer un ultimatum de l’armée russe qui leur demandait de déposer les armes. Comment expliquer cet acharnement de part et d’autre pour contrôler cette ville stratégique et symbolique ?

Cœur battant de l’économie ukrainienne

Avant la guerre, Marioupol comptait près de 430.000 habitants, soit la dixième ville d’Ukraine. Une population majoritairement russophone qui se partage entre origines russe et ukrainienne, avec une importante minorité de Grecs Pontiques, venus ici à la fondation de la ville fin 18ème siècle après leur éviction de Crimée. La cité compte aussi de petites minorités bélarusse, arménienne, juive et bulgare.

Marioupol au début du siècle dernier
Marioupol au début du siècle dernier © Tous droits réservés

Après la prise en 2015 de l’est du Donbass par les milices pro russes, Marioupol est devenue en juin 2015 le chef-lieu provisoire de la région (oblast) de Donetsk, cette ville étant tombée aux mains des séparatistes.

Cette ville était le cœur battant de l’économie de l’est de l’Ukraine. Et c’est pour cela que la Russie veut s’en emparer.

Pour son industrie métallurgique d’abord, résultat d’une histoire qui plonge ses racines dans celle de la Belgique avec deux des plus grandes aciéries du pays, Azovstal et Ilyich Steel and Iron Works. Près de 100.000 personnes y travaillaient avant la guerre qui a fortement endommagé l’outil. Une sidérurgie économiquement primordiale pour l’Ukraine, qui est avec la Russie, une des principales fournisseuses de fer et d’acier pour l’Europe et les Etats-Unis. La cité compte aussi une grande usine de construction mécanique Azovmach et un chantier naval.

Au bord de la mer près de la ville de Marioupol
Au bord de la mer près de la ville de Marioupol ©  AFP PHOTO / DIMITAR DILKOFF

Marioupol est un port de haute mer de grande capacité sur la mer d’Azov, un accès vers la mer Noire et la Méditerranée, le quatrième port d’Ukraine. C’est la porte de sortie des produits de tout son bassin économique qui va de Donetsk à Kharkiv : charbon, acier, minerais, engins mécaniques et céréales, blé et maïs.

Depuis le début du conflit, le port est à l’arrêt. En 2018, la construction du pont de Kertch (ou Pont de Crimée) entre la Russie et la Crimée et les incidents qui ont suivi, le trafic du port avait déjà été réduit de plus de 25% et ses travailleurs mis au chômage technique un jour par semaine. Le passage de navires dépassant 33 mètres de tirant d’air est devenu impossible. Ils représentaient 20% du trafic du port de Marioupol.

Verrou du couloir terrestre vers la Crimée

Stratégiquement, pour la Russie, Marioupol est aussi d’une immense importance car c’est la porte d’entrée du couloir terrestre qui la relie à la Crimée. La chute de Marioupol permettra aux Russes de contrôler tout le littoral de la mer d’Azov. Celle-ci deviendrait une mer intérieure russe. Le transport, de troupes, de ravitaillement, d’armes s’en trouverait grandement simplifié entre la Russie le Donbass et la Crimée. Jusqu’à présent, il fallait soit passer par mer, soit par le nouveau pont routier et ferroviaire de Kerch inauguré en 2018.

Un véhicule militaire blindé incendié et un camion de la "République populaire de Donetsk" autoproclamée. devant le quartier général des milices séparatistes dans la ville de Marioupol le 13 juin 2014
Un véhicule militaire blindé incendié et un camion de la "République populaire de Donetsk" autoproclamée. devant le quartier général des milices séparatistes dans la ville de Marioupol le 13 juin 2014 ©  AFP PHOTO / DANIEL MIHAILESCU

Déjà en 2014, pro russes et Ukrainiens s’étaient affrontés ici. La révolution de Maidan a connu des répercussions ici à partir d’avril 2014. Des insurgés russophones prennent d’assaut des bâtiments officiels, mais la ville reste loyaliste ukrainienne.

Les séparatistes s’étaient même emparés de la ville en mai 2014 mais l’armée ukrainienne en avait repris le contrôle le 23 juin 2014. En janvier 2015, une trentaine de civils perdent la vie dans une frappe de roquettes. Les pro russes avaient ensuite tenté à plusieurs reprises de la reprendre mais sans succès.

Shirokino, la station balnéaire dans les tranchées

Depuis, la ligne de contact s’était établie à une bonne vingtaine de kilomètres à l’est, notamment sur la côte, dans la petite localité de Shirokino, jadis petite station balnéaire un peu endormie entre Marioupol et la frontière russe. Aujourd'hui village détruit, où les soldats ukrainiens s’étaient littéralement enterrés dans leurs abris et creusaient des tranchées pour parer à une nouvelle offensive des séparatistes.

Un poste de contrôle près de Marioupol
Un poste de contrôle près de Marioupol © JF Herbecq – RTBF

Des défenses construites à l’aide de vieux frigos remplis de terre, troués de meurtrières pour observer les mouvements des "bandits d’en face". Des patrouilles dans des rues dévastées par les combats de 2014-1015. Des bâtiments publics comme la mairie ou l’école à l’abandon, dans une ambiance d’apocalypse…

Des défenses antichar en 2014 à la périphérie de Mariupol
Des défenses antichar en 2014 à la périphérie de Mariupol © AFP PHOTO/ANATOLII BOYKO

Sur les plages, des obstacles antichars. De gros plots de béton également sur les routes de la région. Tout un réseau de défense, trois lignes de protection, de l’artillerie lourde : tout cela explique pourquoi l’avancée russe a été si compliquée ici. L’armée ukrainienne avait décidé d’en faire un bastion qui a tenu beaucoup plus longtemps que ce qu’imaginait sans doute l’état-major russe.

A Shirokino, un militaire ukrainien et sa Kalachnikov
A Shirokino, un militaire ukrainien et sa Kalachnikov © JF Herbecq – RTBF

Dès le 25 février dernier, au lendemain de l’offensive russe en Ukraine, les bombardements ont recommencé. Les cessez-le-feu pour en évacuer les civils sont rarement respectés.

Un hôpital pour enfants, puis le théâtre dramatique de la ville qui sert d’abri à la population sont la cible de frappes meurtrières. Aujourd’hui, 90% de la ville est détruite, une situation qui est comparée à Alep ou Guernica.

Symbole de la résistance ukrainienne, avec l’ombre de la brigade Azov

Il faut aussi ajouter qu’aujourd’hui la prise de Marioupol par l’armée russe devrait aussi lui permettre de se redéployer ailleurs, notamment dans l’ouest du Donbass, où les forces ukrainiennes risquent d’être prises en tenaille.

Enfin, pour la Russie, outre le fait d’enfin s’emparer d’une grande ville qui a résisté aux indépendantistes en 2014, la conquête de Marioupol va permettre de justifier son agression.

Un volontaire du bataillon paramilitaire ukrainien Azov à la périphérie de la ville portuaire clé du sud-est de Marioupol en 2014
Un volontaire du bataillon paramilitaire ukrainien Azov à la périphérie de la ville portuaire clé du sud-est de Marioupol en 2014 © AFP PHOTO/PHILIPPE DESMAZES

C’est en effet ici qu’est née la régiment Azov, milice accueillant des extrémistes de droite et néonazis. Bien que peu nombreux, la propagande russe s’en est emparée pour justifier cette guerre, pour "dénazifier" l’Ukraine.

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