Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : pourquoi des mercenaires du groupe paramilitaire Wagner se trouvent-ils à court de munitions ?

© Getty Images - RTBF

Par Ibrahim Molough

"Pour le moment, nous sommes complètement coupés de l’approvisionnement en munitions". Voilà ce qu’a déclaré un supposé mercenaire du groupe paramilitaire russe Wagner dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux cette semaine.

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Dans celle-ci, le mercenaire, entouré de trois personnes en treillis, énumère les différents types de munitions manquantes, principalement destinées à des armes lourdes, pour le bon fonctionnement de son unité. Le mercenaire fait directement appel au ministère de la Défense russe pour obtenir son soutien.

Nous ferons le travail pour vous – aidez-nous avec des munitions.

"Chaque jour, nous effectuons des tâches de combat difficiles, couvrant des groupes d’assaut. Pour le moment, nous sommes complètement coupés de l’approvisionnement en munitions. Nous en appelons à nos collègues et amis du ministère de la Défense. Nous sommes convaincus qu’il y a ces munitions quelque part dans les stocks, et nous en avons actuellement besoin", exhorte l’homme dans la vidéo.

Il semblerait donc que certains mercenaires du groupe Wagner sont en grand besoin d’aide. Mais si c’est le cas, pourquoi les munitions viennent-elles à manquer ?

Mal préparé

Pour Alain De Neve, politologue et chercheur à l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD), il y avait une réelle impréparation au début de la guerre. La Russie, pensant réaliser une opération très ciblée et renverser le pouvoir à Kiev, ne s’était pas placée dans la logique d’une économie de guerre. Cette décision a également été motivée par la volonté de ne pas inquiéter l’opinion publique.

"Une chaîne de production industrielle, ce n’est pas quelque chose qu’on change du jour au lendemain. En fait, c’est de l’artisanat. Ce sont des ingénieurs, des électromécaniciens qui sont spécialisés. Si des adaptations de l’économie russe ont été faites au début de la guerre, ce n’est qu’aujourd’hui qu’on verra ses effets", annonce l’expert.

Le conflit s’éternisant, le manque de matériel se fait sentir car la chaîne logistique ne suit plus. "Contrairement à son habitude, la Russie doit compter ses munitions", révèle le politologue.

Néanmoins, selon Alain De Neve, il faut relativiser la situation car l’appareil de production militaire russe est capable d’inverser cette tendance. L’exemple de la production des chars T-90 le démontre. Alors qu’il semblait que la Russie allait en manquer, il n’a fallu qu’un ordre du président afin d’accroître la cadence de production du principal char russe précise l’expert.

De plus, même si la chaîne logistique pose quelques problèmes, le terrain d’opération a l’avantage d’être proche. Il est beaucoup plus facile pour la Russie d’approvisionner ses troupes en Ukraine que pour l’Ukraine de recevoir de l’équipement des pays alliés. En bref, la Russie a de la marge et peut relancer la production afin de fournir son armée en quantité suffisante.

Des tensions entre Prigojine et le Kremlin

Ce jeudi 16 février, Evgueni Prigojine, patron du groupe Wagner, a taclé l’armée régulière russe sur sa gestion de l’offensive sur Bakhmout, épicentre des combats dans l’est de l’Ukraine : "Je pense qu’on aurait pris Bakhmout s’il n’y avait pas cette monstrueuse bureaucratie militaire et si on ne nous mettait pas des bâtons dans les roues tous les jours".

Ces prises de position ne plaisent pas au Kremlin qui voit d’un mauvais œil la montée en puissance de Wagner.

Selon Alain De Neve, le pouvoir russe est agacé de voir les succès du groupe paramilitaire éclipser son armée régulière : "Quand on parle des opérations militaires russes en Ukraine, on parle souvent de Wagner. Les projecteurs sont de moins en moins focalisés sur l’armée régulière russe. Pourquoi ? Car cette dernière a subi pas mal de revers sur le terrain. On a donc cette idée que c’est Wagner qui arrive à, quelque part, sauver la face de la Russie".

Toujours selon l’expert, le pouvoir politique russe se trouve devant un dilemme alors qu’une vaste offensive, censée se reposer sur l’armée régulière, semble se préparer. "Un choix devra être fait sur les moyens mis à disposition pour chacun. Est-ce que les munitions doivent être mises à disposition de l’armée régulière avec le risque qu’elle subisse de nouveaux revers ou faut-il fournir tout ça à Wagner ?", explique Alain De Neve.

Une autre raison qui expliquerait une priorité de l’approvisionnement de l’armée régulière aux dépens du groupe paramilitaire serait que la Russie favoriserait ses propres citoyens par rapport aux mercenaires. "L’armée régulière, ce sont les enfants russes, de familles russes et de mères russes", commente Alain De Neve. Le Kremlin souhaiterait donc se prémunir des critiques éventuelles de la population s’il laissait ses propres soldats sans munitions.

Une crainte aussi du côté ukrainien

Cette pénurie en munition que rencontre le groupe Wagner pourrait également toucher l’armée ukrainienne quand on sait qu’elle tirerait jusqu’à 6000 obus par jour, un rythme d’utilisation qui semble inquiéter le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg : "Le rythme actuel d’utilisation de munitions par l’Ukraine est beaucoup plus élevé que notre rythme actuel de production". L’armée russe, quant à elle, tirait ainsi jusqu’à 50.000 obus par jour en juillet.

Ce conflit à haute intensité met clairement sous pression les capacités des industries européennes après trois décennies où l’Occident a réduit les dépenses militaires après la chute du Mur de Berlin.

"Le principal souci, c’est l’adaptation des chaînes de production à une logique de guerre. Il ne s’agit plus de faire des armements de qualité mais des armes en quantités alors que ça a été la logique inverse qui a été appliquée durant des années. On parle d’une massification de la production", précise Alain De Neve.

Afin de parer à toutes pénuries, du moins sur le court terme, l’OTAN semble se diriger vers des partenaires hors de l’alliance, comme la Corée du Sud, le Maroc, la Jordanie ou le Pakistan. Sur le plus long terme, selon William Alberque de l’Institut international pour les études stratégiques, il sera indispensable d’adapter les industries de l’armement de manière plus profonde afin d’anticiper de futurs conflits potentiels.

L’Ukraine utilise plus de munitions que l’Otan n’en produit (Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN - 13/02/2023)

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