Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : "pas de chauffage, pas d’eau, pas de lumière", la nouvelle stratégie russe vise les infrastructures essentielles ukrainiennes

Viser les installations stratégiques ukrainiennes ? C’est la nouvelle stratégie russe.

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Frapper massivement les centrales électriques ukrainiennes à l'approche de l'hiver. Voilà la nouvelle stratégie russe. Une stratégie qui vise à miner le moral de la population, mais également à affaiblir les partenaires européens de Kiev, à qui l’Ukraine avait entrepris d’exporter son électricité.

C’est un changement de cap après une série de défaites de son armée sur plusieurs fronts en Ukraine. Avec des missiles de croisière ou des drones kamikazes de fabrication iranienne lancés sur des installations énergétiques à travers la Russie a pu paralyser près de 40% du réseau électrique ukrainien.

Pour Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut Royal de défense, il y a plusieurs niveaux d’analyse : "Le premier, c’est que ces frappes sont la conséquence d’une vengeance punitive de la part des Russes, frustrés de ne pas pouvoir avancer et de devoir parfois même reculer. Ensuite, il faut dire qu’il y a une forme de cohérence militaire en touchant autant de points stratégiques que ce soit des infrastructures électriques, des routes ou des ponts. Enfin, et c’est lié, cela permet de détruire le pays et de casser le moral de la population. À l’image de ce qui s’est passé en Tchétchénie, à l’époque. C’est le régime de la terreur !"

Un bâtiment complètement détruit à Kiev suite à une frappe de drone le 19 octobre dernier.
Un bâtiment complètement détruit à Kiev suite à une frappe de drone le 19 octobre dernier. © 2022 Getty Images

Stratégie « zéro risque » pour la Russie

Après des semaines de grogne et de critiques à Moscou face aux revers russes sur les fronts nord-est et sud de l'Ukraine, les zélateurs du Kremlin ont soudain retrouvé le sourire sur les médias proches de l'État. "Il est impossible de survivre quand il n'y a pas de chauffage, pas d'eau, et pas de lumière", a déclaré cette semaine le député pro-Kremlin Andreï Gouroulev, après des frappes sur des centrales électriques ukrainiennes.

"Nous sommes désolés pour tout le monde - nous aimons tout le monde - mais nous avons été poussés à cela. Nous n'avons pas d'autres options", a déclaré Olga Skabeïeva, propagandiste vedette du Kremlin et présentatrice à la télévision. Les analystes militaires russes applaudissent aussi cette nouvelle stratégie, tout en affirmant qu'il aurait fallu l'appliquer dès le début de l'invasion lancée le 24 février.

"Cela aurait dû être fait dès le premier jour, pas après huit mois", a relevé Alexander Khramchikhine, analyste militaire basé à Moscou, interrogé par l'AFP. Selon lui, "l'avantage de ce genre d'approche est qu'elle paralyse à la fois l'économie et, dans une large mesure, les forces armées". Et d'ajouter qu'il n'y a "aucun risque" pour la Russie.

L’aide humanitaire est quotidienne dans la ville de Lyman.
L’aide humanitaire est quotidienne dans la ville de Lyman. © 2022 Anadolu Agency

Empêcher les exportations ukrainiennes vers l’Europe ?

À l’approche de l’hiver, Moscou a accentué les frappes contre les installations stratégiques, espérant influer sur le moral de la population mais également empêcher l’Ukraine d’exporter de l’électricité vers l’Europe.

En juin dernier, le président Volodymyr Zelensky avait en effet annoncé le début des exportations via la Roumanie, avec pour objectif que "l’électricité ukrainienne remplace une part considérable du gaz russe consommé par les Européens".

Il va falloir acheminer des groupes électrogènes autonomes pour aider la population à passer l’hiver.

Pour Nicolas Gosset, spécialiste de la Russie : "Vladimir Poutine est occupé à galvaniser le peuple ukrainien contre lui. Mais l’une des conséquences, c’est que cela va certainement conduire à des conditions humanitaires très importants. Il va donc, dans les prochains jours ou les prochaines semaines, falloir acheminer des groupes électrogènes autonomes pour aider la population à passer l’hiver. Au-delà du coût, c’est le stock des groupes électrogènes qui risque aussi d’être un problème."

Vladimir Poutine à Ryazan pour assister à l’entraînement des militaires russes.
Vladimir Poutine à Ryazan pour assister à l’entraînement des militaires russes. © 2022 Anadolu Agency

Des militaires iraniens en Crimée ?

Des frappes menées, souvent, au moyen de drones. Et, d’après les Etats-Unis, des liens entre la Russie et l’Iran. "Nous pouvons confirmer que le personnel militaire russe basé en Crimée a piloté des drones iraniens, les utilisant pour mener des frappes à travers l'Ukraine, y compris des frappes contre Kyiv", a déclaré John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la présidence américaine, faisant référence aux véhicules aériens sans pilote. "Des militaires iraniens étaient sur le terrain en Crimée et ont participé à ces opérations", a-t-il déclaré. "La Russie a reçu des dizaines de drones jusqu'à présent et continuera probablement à recevoir des cargaisons supplémentaires à l'avenir."

La carte des frappes russes en Russie au 18 octobre.
La carte des frappes russes en Russie au 18 octobre. © @RTBF avec @War_Mapper et Liveuamap

"Les haïr davantage"

En Ukraine, l'impact des frappes russes contre les installations énergétiques, a été considérable, d'autant plus dans des régions éloignées du front. Selon les services d'urgence ukrainiens, plus de 4.000 villes, villages et agglomérations ont subi des pannes de courant cette semaine. 

La présidence ukrainienne a qualifié la situation de "critique" et, jeudi, les autorités ont imposé des restrictions à la consommation d'électricité dans tout le pays. 

Dans la capitale ukrainienne Kiev, qui n'avait plus été la cible de frappes depuis juin, le maire Vitali Klischko a exhorté les entreprises, les magasins, les cafés et les restaurants à "économiser au maximum" leur consommation en électricité sur les éclairages et la publicité lumineuse. 

"Même de petites économies au sein de chaque ménage aidera à stabiliser le système énergétique du pays", a-t-il ajouté sur les réseaux sociaux.

L'armée de Moscou a d'abord échoué à s'emparer de Kiev au début de son offensive, puis elle a été repoussée devant Kharkiv, deuxième plus grande ville d'Ukraine, avant d'être contrainte ces dernières semaines de battre en retraite et d'abandonner de nombreuses villes conquises dans le sud et le nord-est.

Sans électricité, beaucoup de familles sont obligées de se chauffer avec du bois.
Sans électricité, beaucoup de familles sont obligées de se chauffer avec du bois. © Tous droits réservés

"Approche asymétrique"

"La situation sur le front est particulièrement défavorable aux Russes, donc ils ont recours à une approche asymétrique" en visant les infrastructures énergétiques, explique à l'AFP l'expert ukrainien Mykola Bielieskov.

Le début de ces frappes massives ciblées a également coïncidé avec la nomination, le 8 octobre, d'un nouveau commandant des forces russes en Ukraine, le général Sergueï Sourovikine, vétéran des pires guerres de Moscou, à la réputation impitoyable. Sa mission ? Mettre fin à la série de défaites subies par ses troupes. 

"Sourovikine est célèbre pour ce type d'opération en Syrie, détruire des villes", analyse Mykhaïlo Samus, directeur du réseau de recherche New Geopolitics. "Il essaie de montrer à Poutine qu'il est prêt à faire la même chose à Kiev, en essayant de briser le moral des Ukrainiens, d'épuiser les défenses aériennes ukrainiennes, de détruire les infrastructures énergétiques avant l'hiver et de créer des problèmes sociaux pour les Ukrainiens", énumère-t-il à l'AFP.

Toutefois, relève l'expert ukrainien Mykola Bielieskov, il est difficile de prévoir si, en fin de compte, cette stratégie va réussir. "Cela dépend de l'intensité des frappes et des contre-mesures ukrainiennes", estime-t-il.

« Un rapport d’un à cent ! »

Pour Nicolas Gosset, spécialiste de la Russie, les drones iraniens ne seraient pas la signature de Sourovikine : "Je ne peux pas l’exclure mais il est évident que les Russes n’ont pas pu acheter ces drones en quelques jours. Les achats ont été opérés il y a certainement déjà plusieurs semaines."

Reste que, selon lui, l’utilisation des drones iraniens s’explique : "Ils ont moins de monde sur le terrain. Il y a un manque d’armement, aussi. Et puis, cela coûte beaucoup moins cher. Comptez près de deux millions d’euros pour un missile contre 20 000 euros pour un drone iranien. Cela coûte donc bien moins cher et cela permet de faire d’importants dégâts et de raser des parties de villes entières." conclut-il.

Conscient de cette nouvelle menace, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a exhorté les alliés occidentaux de Kiev à fournir plus de système de défense anti-aériens, dont certains ont déjà été livrés.

Des analystes relèvent par ailleurs que les missiles russes capables de frapper avec précision sur une longue distance les centrales électriques commencent à manquer, ce qui pourrait laisser présager des attaques moins précises à l'avenir.

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