Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : les Russes s'installent à Marioupol et le font savoir (images satellites avant-après)

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Ils sont ornés de couleurs vives, du mauve au vert en passant par l’orange… et ils sont surtout d’une blancheur et d’une nouveauté éclatantes dans la noirceur d’une ville ravagée par la guerre. À Marioupol, l’occupant russe construit de nouveaux immeubles à un rythme soutenu depuis quelques mois. Certains accueillent même leurs premiers habitants, quelques semaines seulement après le début des travaux. Autant de constructions éclair qui cachent mal la désolation et les ruines laissées par les combats de la première moitié de 2022... et qui s'inscrivent dans un plan plus large de "désukrainisation" des villes occupées.

Il y a d’abord ce complexe d’environ 260 hectares à l’est de la ville. De grands bâtiments blancs organisés en carré installés face à ceux détruits dans les bombardements. Le tout agrémenté de pelouses vertes et d’aires de jeu flambant neuves. C’est la plus imposante vitrine russe à Marioupol. Et Moscou compte bien le faire savoir, à grand renfort d'images filmées au drone. En témoigne une série de vidéos publiées sur la chaîne YouTube du Génie de l’armée russe.

Dans une vidéo postée le 19 décembre, on voit une dame âgée recevoir ses clefs. En légende du clip, cette citation (ici traduite à l'aide de Google Translate): "Vous savez, je n’ai pas pleuré pendant toute la guerre. Quand ils m’ont montré notre maison entièrement incendiée, je n’ai pas pleuré, j’ai dit : que ceux qui l’ont fait pleurent. Mais quand ils m’ont appelé et m’ont dit : viens chercher un mandat, c’est là que j’ai éclaté en sanglots".

Sur les images satellitaires fournies par le service Sentinel, on voit clairement qu’il n’y avait rien à cet endroit en début d'année. La construction s’est faite à un rythme soutenu à partir du mois de juillet. Une vidéo publiée sur YouTube le 10 décembre montre des camions de déménagement. Ici et là, on aperçoit des drapeaux russes et ceux noir bleu et rouge de la République populaire de Donetsk.

Un peu plus à l’ouest de cette position, d’autres immeubles sont ornés de vert. Là aussi les premiers habitants sont arrivés.

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Dans le centre de la ville, c’est un hôpital qui est sorti de terre à quelques dizaines de mètres de la cathédrale Saint-Nicolas. On le voit clairement sur des images capturées par les satellites de la société privée Maxar le 30 novembre. Une bannière s’étend sur toute la toiture, outre une étoile de l’armée ruse, on y aperçoit cette inscription : "Pour le peuple de Marioupol".

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Là aussi la composante du génie de l’armée russe ne cache pas sa fierté. Dans une vidéo publiée en septembre elle explique que cet hôpital de 60 lits a été créé "à partir de zéro en seulement 85 jours". A l’intérieur, tout semble neuf, à commencer par un scanner de la marque chinoise Neusoft.

© Capture d’écran YouTube

Un peu partout dans la ville, qui a été détruite à 90% selon son maire, les démolitions s’enchaînent. Au point que des hectares entiers de la cité ressemblent désormais à des terrains vagues comme on le voit sur cette vidéo publiée le 12 décembre sur YouTube.

© Capture d’écran YouTube

Les immeubles résidentiels semblent une priorité pour le pouvoir russe. Une dépêche de l’agence officielle Tass, la source officielle du Kremlin, précisait le 15 octobre que "les militaires ont construit six immeubles d’appartements à Marioupol. La construction de quatre immeubles complémentaires sera terminée d’ici au 15 novembre et deux autres doivent être finis en décembre".

Objectif des autorités qui disent avoir dépêché sur place 2500 ouvriers : construire un millier d’appartements à Marioupol, mais aussi "un jardin d’enfants et une école secondaire" (des images de construction d'une école sont d'ailleurs visibles sur YouTube). La rapidité de construction s’explique aussi par la méthode employée : des unités en béton préfabriqué empilées les unes sur les autres comme de pièces de Lego.

© Capture d’écran YouTube

Et quand les Russes ne démolissent pas, ils construisent sur des terrains vagues inoccupés. Nous sommes cette fois-ci au nord de Marioupol, à moins de deux kilomètres du cimetière de la ville où ont été enterrées les victimes des combats du début de l’année.

Ici, les immeubles sont parés de mauve. Et tout doit aller vite. Une bâche ornée du blason du ministère russe de la construction annonce la couleur : début des travaux au troisième trimestre 2022, fin dans le 2e trimestre 2023. Surface à terme : 5436 m2 pour des immeubles de 9 étages. A droite de la bâche, on voit le logo d’EKC Group, une entreprise de construction russe qui a reçu le 9 décembre dernier le titre de "Fournisseur du gouvernement de Moscou".

Autre endroit de la ville, autre espace vide il y a encore quelques mois. Si vous allez sur la rue Irtys’ka dans Google Maps, vous ne verrez qu’un terrain vague. Mais une analyse avec des images plus récentes dans Sentinel Hub montre que ce bloc de 4 hectares a été recouvert d’une série d’immeubles.

Les travaux ont commencé aux alentours du mois de juillet pour un objectif annoncé, d'après un média pro-russe, de 833 appartements dont 750 devraient être livrés d’ici à la fin de l’année.

Les premières familles ont emménagé le 4 novembre, selon des photos publiées sur le site internet de l’agence IPA. Les clés remises aux nouveaux résidents sont ornées du ruban de Saint-George, un symbole associé au nationalisme russe et au séparatisme.

© Capture d'écran YouTube
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Ces constructions éclair cachent mal la désolation laissée par les combats de la première moitié de 2022 et l’extension de l’immense cimetière local ces derniers mois. Dans le centre-ville, le célèbre théâtre de Marioupol n’est plus qu’un tas de ruine aujourd’hui caché par de hautes bâches.

Outre un enjeu d’image, la Russie ne concentre pas ses efforts sur Marioupol par hasard. Comme nous l’écrivions en avril dernier, la ville est un port de haute mer de grande capacité sur la mer d’Azov, un accès vers la mer Noire et la Méditerranée, le quatrième port d’Ukraine. C’est la porte de sortie des produits de tout son bassin économique qui va de Donetsk à Kharkiv : charbon, acier, minerais, engins mécaniques et céréales, blé et maïs. Mais ce n'est pas la seule raison de ce déploiement de moyens.

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Des citoyens russes importés

Nous vous en parlions aussi mi-décembre : le pouvoir russe a un plan bien précis pour les régions occupées. L’Institut pour l’étude de la guerre (ISW), un groupe de réflexion américain, parle de nettoyage ethnique : "Les autorités russes pourraient être engagées dans une campagne plus large de nettoyage ethnique en dépeuplant le territoire ukrainien par des déportations et en repeuplant les villes ukrainiennes avec des citoyens russes importés."

Le 15 octobre, Petro Andryushchenko, conseiller du maire de Marioupol, écrivait sur son compte Telegram : "Pour 130.000 habitants de Marioupol, il y a déjà 15.000 occupants civils [russes, ndlr] dans la ville et leur nombre devrait passer à 25.000 d’ici la fin de l’année."

Comme l’expliquait une tribune publiée le 3 avril 2022 par la très officielle agence d’information russe Ria Novosti, pour la Russie, l’objectif de "dénazification" de l’Ukraine passe par sa "désukrainisation".

Le cimetière de Marioupol en mars et en décembre 2022. En bas à droite, on aperçoit le terrain où ont été construits les immeubles mauves

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