Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : la vie des soldats russes prisonniers de guerre, le reportage de nos envoyés spéciaux

Ukraine : rencontre avec les prisonniers russes

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Par Quentin Warlop avec Daniel Fontaine, Dominique Vande Cappelle, Garry Wantiez et Arkady Davidenko

Après 11 mois de guerre, une équipe de la RTBF a pu rentrer dans un centre de détention ukrainien, le plus grand du pays pour les détenus russes. L’endroit est tenu secret, pour des raisons évidentes de sécurité. C’est ici que sont amenés des soldats russes faits prisonniers sur le champ de bataille. Il y a près de 500 places dans la prison. Mais combien sont-ils entre ces murs ? "Interdiction de vous donner le chiffre exact", précise le directeur adjoint de la prison qui préfère garder l’anonymat. Question de sécurité, encore.

Des prisonniers russes, en rang, répondent à l’appel matinal dans cette prison ukrainienne.
Des prisonniers russes, en rang, répondent à l’appel matinal dans cette prison ukrainienne. © RTBF

Ce matin-là, comme tous les jours, ils sont une trentaine à marcher quelques minutes, dans l’une des cours de la prison. Tenues bleues, souvent trop larges, bonnets noirs, gants en laine et grosses chaussures de chantiers, sans lacets. Ils sont en rang de cinq. C’est l’appel aux prisonniers.

L’un des gardiens nous amène un homme. Il s’appelle Vladimir, il a 59 ans. Il en parait 20 de plus. Comme quelques-uns, il vient d’être capturé. "Je n’étais pas volontaire mais j’ai été réquisitionné, explique-t-il. Je me suis retrouvé sur le front, sans formation spécifique. Un jour, j’étais trempé. Je voulais juste me mettre des vêtements secs, dans la tranchée. Mais il y avait des soldats ukrainiens que je n’avais pas vus. J’ai donc été surpris et j’ai été fait prisonnier de guerre."

Les prisonniers dorment dans de grandes pièces aménagées en dortoir.
Les prisonniers dorment dans de grandes pièces aménagées en dortoir. © RTBF

Exclusivement réservée aux prisonniers russes

Arrêté, il est emmené dans cette prison, exclusivement réservée aux prisonniers de guerre russes. Après un interrogatoire et un entretien psychologique, le prisonnier enfile sa tenue de détenu. Il a l’occasion de prendre une douche et de se faire raser la tête. Il dormira dans un lit, au milieu d’un dortoir. L’un des responsables de l’établissement tient à nous montrer que les détenus ne sont pas installés dans des cellules de quelques mètres carrés. "Nous nous devons de respecter ces hommes et garantir des conditions décentes et conformes à la convention de Genève", précise le responsable. Il y a aussi une église, accessible aux détenus, tous les dimanches.

Les prisonniers russes sont autorisés à sortir, quelques minutes, se promener dans une des cours de la prison.
Les prisonniers russes sont autorisés à sortir, quelques minutes, se promener dans une des cours de la prison. © RTBF

Nazis et croix gammées

Ici, il y a des soldats de l’armée russe, des membres des milices ukrainiennes pro-russes ou encore des mercenaires du groupe Wagner. Nicolaï a 51 ans et vient de Donetsk, un territoire ukrainien occupé et annexé par la Russie. Les détenus ont le droit de regarder ensemble une télévision pendant deux heures. Les informations, sur une chaîne ukrainienne. "A la télé russe, la propagande nous a dit que le pourvoir ukrainien avait été pris par des nazis, raconte Nicolaï. Avec leurs croix gammées et tout ça ! Mais j’ai constaté que ce n’était pas le cas. Je sais désormais que tout ça, ce sont des mensonges !"

Nicolaï est-il sincère ? Ou dit-il cela parce qu’il se sait écouté par les gardiens ? Plusieurs prisonniers restent sur leurs positions. C’est le cas de certains officiers. "Je suis officier russe. Et j’ai toujours servi dans l’armée. C’était mon objectif depuis tout petit. C’est pour ça que je ne peux rien regretter", précise ce jeune homme russe.

Dans le réfectoire, pas un bruit. Si ce n’est celui des cuillères qui grattent le fond des bols métalliques. L’ambiance est pesante. La tension bien présente. Nous sentons bien que nous ne sommes pas vraiment les bienvenus. Très peu de prisonniers russes acceptent de nous répondre. Ou même de nous regarder.

La plupart des détenus russes travaillent dans la prison. Leur salaire ? Un euro par jour.
La plupart des détenus russes travaillent dans la prison. Leur salaire ? Un euro par jour. © RTBF

Un euro par jour

Au sous-sol, la plupart des prisonniers travaillent. Ici, ils assemblent de petits sacs en papier. Là, des tables et des chaises en imitation osier. Ilia a 20 ans. "Nous gagnons à peu près un euro par jour, explique-t-il. On ne reçoit pas vraiment cet argent. En fait, on peut échanger ce qu’on a gagné à la cantine de la prison contre quelque chose à manger ou contre quelques cigarettes."

Dans la prison, il y a ceux qui peuvent travailler. Et puis ceux qui sont blessés, cloués sur leur lit. C’est le cas d’Igor, 53 ans. Réquisitionné en octobre, il affirme qu’il ne savait rien de sa mission : "quand j’ai été appelé, je pensais que c’était pour refaire mon rappel de service militaire en protégeant des entrepôts d’armes quelque part en Russie. Je ne pensais pas faire la guerre. J’ai 53 ans. Je suis trop vieux pour ça ! Merci à Dieu de m’avoir laissé vivant. Peut-être m’a-t-il laissé la vie parce que je n’ai tué, ni blessé personne. J’étais juste dans une forêt où j’ai été blessé et capturé. J’ai repensé à toute ma vie et changé de point de vue. Ma priorité, à présent, c’est ma femme et mes petits-enfants." Le 25 octobre, une partie de sa cuisse a été arrachée par des éclats d’obus. "Je dois remercier plusieurs militaires ukrainiens qui m’ont transporté sur sept kilomètres sous les bombardements, raconte-t-il. Je garderai de bons souvenirs d’eux. Dans chaque nation, il y a de bonnes et de mauvaises personnes."

Un officier russe a été blessé au combat. Il vient d’arriver dans l’infirmerie de la prison.
Un officier russe a été blessé au combat. Il vient d’arriver dans l’infirmerie de la prison. © RTBF

L’échange de prisonniers ? Leur seul espoir

Dans le couloir de l’infirmerie, Igor et Mikhail rejoignent leur chambre. Igor a 29 ans et a été amputé. "Cela s’est passé le 22 novembre 2022, raconte le détenu. Nous étions en train de récupérer les positions des Ukrainiens, mais on nous a tiré dessus. J’ai été blessé et c’est comme cela que j’ai perdu mon pied." Mikhail n’a que 20 ans. Et comme tous les prisonniers russes, il n’attend qu’une seule chose : "J’espère être échangé contre des prisonniers ukrainiens. Je ne pourrais plus aller à la guerre. Donc, j’espère retourner en Russie et trouver un boulot."

Les échanges de prisonniers russes et ukrainiens sont réguliers. En Ukraine, il y aurait près d’une cinquantaine de prisons comme celle-ci où sont détenus des prisonniers russes. Mais là encore, le gouvernement ukrainien préfère n’avancer aucun chiffre précis. Question de sécurité. Toujours.

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