Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : la Russie trahie par la Chine ? Le trouble jeu d'un Xi Jinping courtisé par Kiev

Le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping lors de leur réunion bilatérale le 13 novembre 2019 à Brasilia, au Brésil.

© Getty

Par Sandro Faes Parisi

Alors que la situation dans la ville de Severodonetsk se fait de plus en plus critique pour les troupes ukrainiennes, que le Donbass vacille et pourrait bientôt tomber aux mains de Poutine, le président Zelensky n’a de cesse de multiplier les appels à l’aide afin d’infléchir le cours des évènements.

À côté des demandes militaires, d’armes à plus longue portée pour vaincre les troupes de la Fédération de Russie sur le terrain, il y a celle directement adressée au maître de Pékin, Xi Jinping, afin que celui-ci interfère auprès de son homologue, et ami, du Kremlin pour faire cesser l’invasion commencée le 24 février dernier.

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Loin d’être naïf, cet appel, répété, s’inscrit dans un jeu diplomatique et géostratégique digne des plus grands moments de la Realpolitik. Et il s’appuie sur une analyse fine de la situation actuelle, et sur l’ambition de la Chine de redevenir plus que jamais l’empire du milieu.

La revanche de la Chine sur l’arrogante Russie

Poster de propagande montrant l'amitié entre Staline et Mao au début des années 1950.
Poster de propagande montrant l'amitié entre Staline et Mao au début des années 1950. © Tous droits réservés

Car le pays de Xi Jinping est à un moment charnière de son évolution géopolitique, et Zelensky ne le sait que trop bien. Si Pékin décidait de répondre favorablement à la demande des autorités de Kiev et réussissait à convaincre la Russie de cesser cette guerre, elle réussirait là où les tauliers de ce monde, Etats-Unis et Union européenne en tête, ont échoué. Un coup de maître qui étendrait la zone d’influence effective de la Chine et la ferait passer de puissance émergente à superpuissance globale du 21e siècle. Exactement comme le firent les Etats-Unis d’Amérique au début du 20e siècle.

Un coup de maître qui marquerait également définitivement l’inversion des rôles entre Moscou et Pékin et la fin de l’arrogante condescendance de la part des héritiers de Staline envers ceux du Grand Timonier Mao Zedong, coupables aux yeux de Moscou de n’être qu’un ersatz du socialisme international, incapable de mener la lutte des classes.

Pourtant le téléphone de Zelensky demeure désespérément muet. Officiellement, les présidents ne se sont pas encore parlé. Le Chinois aurait trop peur de commettre un impair vis-à-vis de son ami Russe en parlant à l’Ukrainien, sans avoir reçu au préalable et officieusement son aval.

Les services secrets à l'oeuvre

Le président chinois Xi Jinping lors d'un entretien avec le président russe Vladimir Poutine en vidéoconférence en 2019.
Le président chinois Xi Jinping lors d'un entretien avec le président russe Vladimir Poutine en vidéoconférence en 2019. © Getty Images

En coulisses par contre, les diplomaties respectives, dans tout ce qu’elles ont de plus secret, s’affairent. À Kiev, les hommes de Pékin, les fameux " chen diyu " du Ministère de la Sécurité de l’Etat (Guoanbu en chinois), tentent de convaincre l’Ukraine et ses partenaires d’adhérer à la feuille de route de Xi Jinping, condition non négociable afin d’intercéder officiellement. Un délicat numéro d’équilibriste entre les deux belligérants donc que celui de la Chine, au cœur duquel les autorités militaires et politiques de Pékin se font leur propre idée de la situation réelle afin d’anticiper les évolutions à venir et éviter de se retrouver du mauvais côté le moment venu.

Plus pragmatiquement, pourquoi la Chine aurait-elle intérêt à intercéder auprès de la Russie en faveur de l’Ukraine ? A priori, non pas pour plaire à Kiev, Washington, Londres ou Bruxelles, mais plutôt pour améliorer son image écornée sur la scène internationale par la crise du coronavirus et ses conséquences, afin notamment de gagner du temps pour atteindre un objectif plus large (asseoir et étendre son influence en Asie, Taïwan inclus, développer sa puissance nucléaire et militaire, etc.) en réduisant la pression extérieure.

Le coronavirus, cet allié inattendu

© Getty

Car la Chine a beaucoup de mal à s’extirper de la crise de la Covid-19. Et les lockdowns successifs, liés à la politique zéro-covid de Xi Jinping, continuent de pénaliser lourdement la croissance chinoise. Une croissance dont Pékin a toujours fait une marque de fabrique et qui oblige le pouvoir à réinvestir lui-même afin d’éviter une récession.

À cela s’ajoute l’état actuel du marché des matières premières. Que ce soit en termes d’énergie ou de céréales, la Chine fait partie des plus gros importateurs mondiaux. Une place qui la rend très sensible à l’inflation, bien plus que l’Europe. Une inflation importante, qui impacte le pouvoir d’achat d’une population déjà crispée par la situation sanitaire, et qui inquiète dans les hautes sphères du pouvoir, d’autant plus qu’elle touche une ville symbole comme Shangaï. Enfin, la guerre en Ukraine a également ralenti la demande mondiale et donc impacté les marchés mondiaux sur lesquels la Chine exporte.

Covid en Chine: sujet JT du 29/05/2022

Le déclin irréversible de l’Occident, en pleine décadence terminale

Pourquoi alors la Chine joue-t-elle la montre et se complaît-elle dans une posture attentiste ? L’explication est sans doute à chercher du côté de la vision commune que partagent les deux pays communistes concernant l’hégémonie des démocraties occidentales rassemblées autour des Etats-Unis. Une hégémonie en déclin selon Pékin et Moscou qui devrait être remplacée à moyen terme par un nouvel ordre mondial multipolaire. Un credo au centre du serment d’amitié conclu entre Xi Jinping et Poutine le 4 février dernier lors de leur rencontre aux Jeux olympiques de Pékin. Mais depuis, le Kremlin a décidé d’envahir l’Ukraine. Et ce serment "d’amitié illimitée" brandi par le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov dès qu’il le peut a le goût amer de l’instrumentalisation du côté de Pékin.

Pas étonnant dès lors que malgré les appels à l’aide insistants d’une Russie en manque cruel de fournitures militaires, technologiques et financières, l’appui de Xi Jinping se limite à des déclarations diplomatiques, politiquement correctes. Oui, la Chine est du côté de la Russie. Oui, la Chine considère les sanctions occidentales comme un abus illégal et l’aide militaire à Kiev comme un risque illégitime, au point d’assurer Moscou de son soutien inconditionnel sur la scène internationale. Mais non, Pékin, le seul allié qui peut faire la différence, ne va pas lever le petit doigt.

Moscou insistant, Pékin irrité, Kiev en embuscade

© ALAIN JOCARD

Que du contraire, sur le plan économique de nombreuses banques et entreprises chinoises se sont retirées du marché russe afin de ne pas encourir les sanctions américaines secondaires. Et sur le plan militaire, aucun système d’armement n’a franchi la frontière entre les deux pays. Une situation qui, selon nos confrères du Washington Post, aurait poussé la Russie a récemment demander avec insistance à leurs partenaires chinois de respecter les accords économiques et stratégiques précédant l’invasion de l’Ukraine le 24 février.

Il n’en fallait pas plus pour irriter Pékin pour qui, toujours selon une source du Washington Post, les intérêts nationaux et ceux du peuple chinois priment avant tout. En d’autres termes, le géant asiatique ne veut pas que ses intérêts économiques soient mis en péril par les aspirations expansionnistes de Vladimir Poutine. Et à moins d’une solution afin d’annuler les effets des sanctions, la Chine ne lèvera pas le petit doigt pour ne pas risquer d’être lésée à son tour dans ses relations avec ses principaux partenaires économiques, à savoir, les Etats-Unis et l’Union européenne.

Un signe de l'efficacité des mesures prises jusqu’ici au niveau politique et économique par la Maison Blanche et l’Occident. Reste à voir désormais quelle posture la Chine va adopter dans les jours et les semaines à venir, et si Xi Jinping va se décider à appeler Volodymyr Zelensky.

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