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Guerre en Ukraine : la Russie annonce qu’elle se retire de Kherson, mais la bataille aura-t-elle lieu ?

Kherson

© Andrey BORODULIN / AFP

Par Jean-François Herbecq

Après l’annonce par la Russie d’un retrait de Kherson, les Ukrainiens sont circonspects. L’abandon d’une ville clé claironnée ainsi sur les toits fait évidemment penser à une manœuvre de diversion voire à un piège. Avant de se lancer tête baissée dans une bataille urbaine qui pourrait se révéler meurtrière, l’armée ukrainienne attend. Avec cette question : pourquoi les Russes dévoilent-ils leur plan ainsi ? Pour cacher qu’ils font le contraire et préparent une résistance implacable ? Ou pour semer la confusion ?

 

Kherson, ville stratégique à l’ouest du Dniepr et vitale pour la Crimée

Kherson est symbolique et occupe une position stratégique. A part des cités comme Marioupol que les Russes ont écrasées sous les bombes, ils n’ont conquis que peu de villes. Ils se sont emparés de Kherson dès le début de la guerre, c’est la seule capitale régionale qu’ils ont prise. Sa perte constituerait une grave défaite.

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Située sur la rive droite du Dniepr, le fleuve qui coupe l’Ukraine en deux, Kherson est aussi le seul endroit où les Russes ont pris pied à l’ouest du Dniepr. C’est une étape vers la conquête d’Odessa et le contrôle de toute la côte ukrainienne de la mer Noire. C’est surtout aussi la voie d’accès à la Crimée, pour son ravitaillement notamment en eau douce, vitale pour la péninsule annexée en 2014 par Moscou.

Enfin, la perte de Kherson et de sa province serait un revers de plus car cet "oblast" fait partie de ceux annexés le mois dernier par la Russie. Perdre Kherson, c’est perdre un morceau de Russie dans la rhétorique du Kremlin.

L’annonce du retrait : info ou intox ?

Reste à savoir si la Russie va vraiment se retirer ou si c’est juste une annonce à classer au chapitre de la guerre de l’information. Les Ukrainiens craignent en effet de se retrouver attirés dans une souricière s’ils passent le Dniepr pour reprendre Kherson. Cela fait quelque temps que les Russes envoient des signaux destinés à accréditer la thèse d’un retrait. Un drapeau retiré, des évacuations forcées de civils… Et à présent cette annonce officielle à la télévision d’un retrait vers la rive gauche.

Mais les Ukrainiens sont prudents et malgré leurs récents succès dans la zone, ils n’iront sans doute pas au contact tant qu’ils ne voient pas des preuves tangibles, des images satellites ou de drones par exemple d’un retrait massif de l’armée russe, ce qui devrait de toute façon prendre plusieurs jours. 

Le président Volodymyr Zelensky a prévenu qu’il pourrait s’agir d’un mouvement stratégique : "L’ennemi ne nous fait pas de cadeaux, ne fait pas de geste de bonne volonté".

La traversée du Dniepr peut se révéler périlleuse pour l’armée ukrainienne, pour les Russes, le fleuve est large et c’est une excellente ligne de défense, surtout pendant l'hiver et vu la piètre qualité des dernières recrues. Kiev est donc encore loin de reprendre la province de Kherson.

Pour l’instant, ce qui ressort de ces images, depuis septembre, c’est au contraire des renforts, du ravitaillement, des munitions, du carburant qui arrivent en masse à Kherson. Depuis avril, des fortifications renforcent la ville. Mais peut-être ces renforts sont-ils aussi là pour encadrer une retraite en bon ordre…

© Le pont Antonovski à Kherson

Evidemment il se peut aussi que les Russes redoutent vraiment de se faire encercler à Kherson car leur situation devient précaire, les voies d’approvisionnement russes sont mises sous pression en raison d’attaques ukrainiennes. Ce qui accrédite cette thèse du retrait, c’est que d’après le ministère britannique de la Défense, les troupes russes ont démoli des ponts et ont probablement posé des mines. A Kherson, le pont sur le Dniepr a été endommagé et un pont de fortune a été installé sur l’eau. En cas de retraite, les troupes russes devraient tout faire sauter.

Bref, difficile de savoir si les Russes laissent voir dans leur jeu ou mentent. Une autre hypothèse est qu’ils cherchent à semer la confusion…

Une retraite délicate: Kherson alimente la Crimée en eau 

Abandonner Kherson serait un aveu de défaite de plus pour les Russes. Mais il y a pire : s’ils font sauter tous les ponts, ils risquent d’endommager le pont barrage de Nova Kakhovka.

Située à 70 km en amont de Kherson, cette digue de 600 mètres de long constitue l’autre point de passage sur le Dniepr dans le sud de l’Ukraine. La détruire priverait en outre les Ukrainiens d’une importante source d’électricité. Mais sa destruction toucherait aussi le point de départ du canal qui irrigue la Crimée en eau douce. Pour les Russes qui occupent la péninsule ukrainienne depuis 8 ans, ce serait se tirer une balle dans le pied.

Ukraine: en rouge les territoires occupés par la Russie
Ukraine: en rouge les territoires occupés par la Russie © RTBF
Le pont digue de Nova Kakhovka
Le pont digue de Nova Kakhovka © Satellite image 2022 Maxar Technologies / AFP

Kherson et sa région sont donc stratégiques pour la Russie, aussi parce que c’est la porte d’entrée de la Crimée. Mais pour l’instant, l’Ukraine ne laisse pas voir dans son jeu. Le président Zelensky l’a d’ailleurs déclaré : "Il y a beaucoup de joie liée à cette information aujourd’hui, et on comprend pourquoi. Mais nos émotions doivent être retenues – comme toujours pendant la guerre. Je ne donnerai certainement pas à l’ennemi tous les détails de nos opérations, que ce soit dans le Sud, dans l’Est ou ailleurs. Quand nous aurons notre résultat, tout le monde le verra. "

Toutes les hypothèses sont permises. Mais si le départ des Russes de Kherson était confirmé, ce serait la énième défaite pour l’armée de Poutine et la preuve que sa guerre en Ukraine ne se déroule absolument pas comme il le pensait. Et une étape de plus dans la contre-offensive réussie de l’Ukraine pour récupérer ses territoires.

Sur le même sujet : Extrait JT (09/11/2022)

Kherson : les russes annoncent leur retrait

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