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Guerre en Ukraine : la reconstruction coûtera cher, mais avant de la financer, la conférence de Lugano définit la méthode

Des militants de Greenpeace lèvent une éolienne factice au bord du lac de Lugano en vue de la conférence sur la relance de l’Ukraine.

© Fabrice COFFRINI

Reconstruire l’Ukraine va coûter des centaines de milliards de dollars. Au moins 750 milliards, selon Kiev. C’est ce qui ressort du premier jour de la conférence de Lugano qui a débuté ce lundi midi.

L’objectif des alliés de l’Ukraine réunis pour deux jours en Suisse est de faire l’inventaire des besoins, faire le compte de ce qui est détruit et qu’il faudra reconstruire, tout en sachant que la guerre est loin d’être finie.

La conférence de Lugano n’a pas vocation à être une conférence de donateurs, où chacun annonce le montant de son "chèque", mais doit plutôt définir les principes et les priorités d’un processus de reconstruction. Tracer la route pour l’après-guerre, avec des réformes politiques.

Lutte contre la corruption

La réunion a débuté par un appel en visioconférence du président ukrainien Volodymyr Zelensky : "La reconstruction de l’Ukraine est la tâche commune de tout le monde démocratique" et "la contribution la plus importante à la paix dans le monde".

Face à lui, les pays amis de Kiev, mais aussi le secteur privé ou des institutions internationales comme l’Union européenne.

Coprésident avec son homologue ukrainien, le président de la Confédération helvétique Ignazio Cassis, affirme que reconstruction et réformes "ne sont pas en concurrence" mais "se renforcent" : un des enjeux sera de poursuivre malgré la guerre, les efforts contre la corruption et pour garantir le fonctionnement de la justice.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a insisté sur la reconstruction d’une Ukraine meilleure que celle qui préexistait à la guerre : "L’Ukraine peut émerger de tout cela sur la voie vers un pays plus fort, plus moderne, avec un système judiciaire et des institutions plus solides, avec des succès dans la lutte contre la corruption, mais aussi une économie plus verte, plus numérique et plus résiliente".

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Un "Plan Marshall"

Les participants à la conférence de Lugano vont définir ce qu’ils qualifient de "Plan Marshall" pour la reconstruction de l’Ukraine. A savoir, à l’image du plan américain évoqué en juin 1947 à l’université de Harvard par le général George C. Marshall, alors secrétaire d’Etat américain, une aide massive à la reconstruction, sous forme d’assistance matérielle et financière, assortie de réformes politiques mais aussi économiques.

Ce plan américain lancé à l’amorce de la guerre froide était "offert" à tous les Européens, mais les pays communistes s’en excluent sous la pression de Moscou.

Le plan Marshall a permis de relancer les économies d’Europe occidentale, en fixant des conditions dont une coopération économique au travers de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE).

Au final, l’industrie américaine et le dollar en ont aussi profité.

Une solide ardoise à charge de Moscou ?

A l’époque, ce sont 13 milliards de dollars (soit l’équivalent actuel d’environ 160 milliards de dollars), qui avaient été injectés dans l’économie de l’Europe occidentale d’après-guerre.

Mais aujourd’hui, pour le Premier ministre ukrainien Denys Chmygal, le coût de la reconstruction de l’Ukraine est estimé à au moins 750 milliards de dollars (717 milliards d’euros).

Le Premier ministre précise que les dégâts directs causés aux infrastructures ukrainiennes depuis le début de l’invasion russe sont chiffrés à plus de 100 milliards de dollars. La Kiev School of Economics (KSE) estime à près de 104 milliards de dollars les dommages causés aux bâtiments et aux infrastructures : 116.000 logements détruits ou endommagés, 24.000 km de routes dévastées, des mines et des explosifs déversés sur presque la moitié du pays et 10 millions de personnes dépendant de l’aide humanitaire.

A cela s’ajoute un coût humain incalculable et objet de multiples débats. Des dizaines de milliers de morts, dont des milliers de civils, des bilans annoncés par les deux côtés, sans vérification indépendante possible.

Il faudra aussi organiser le retour des réfugiés, le déminage, autant de facteurs difficiles à établir pour l’instant. La Banque européenne d’investissement estime même à 1100 milliards de dollars le prix d’une remise en route de l’économie.

Il est pour le moment difficile de juger à combien s’élèvera finalement l’ardoise, vu que le conflit est toujours en cours et qu’il est difficile d’établir de façon claire le coût de l’opération.

Financer la reconstruction grâce aux sanctions infligées à la Russie

Ce qui est sûr, c’est que c'est une somme immense qu’il faudra financer : "Qui doit payer pour le plan de reconstruction ?", a demandé Denys Chmygal, avant de répondre qu’une "source clé" de financement devrait être la saisie des avoirs de la Russie et des oligarques russes gelés dans le cadre des sanctions internationales contre Moscou. Les estimations du montant des avoirs gelés vont de 300 à 500 milliards de dollars.

Les Etats-Unis ont déjà promis 40 milliards de dollars, le double de ce que l’Europe a déjà mis sur l’Europe, avec à l’intérieur de celle-ci des différences entre contributeurs : l’Est met plus la main à la poche que l’Ouest. Et l’Europe privilégie l’assistance financière directe et le soutien aux réfugiés, là où les Etats-Unis jouent la carte de l’appui militaire.

L’Europe envisage de tenir le rôle de coordinatrice de la reconstruction. La présidente de la Commission Ursula von der Leyen évoque plate-forme permettra de définir les besoins d’investissement, de coordonner les actions et de rassembler les financements nécessaires. Cette structure serait le lien avec les Etats-membres, le privé, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) et la Banque européenne d’investissement (BEI).

Une conférence qui vient trop tôt, ou trop tard

Michaël Eric Lambert, historien et analyste à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), constate sur La Première que cette conférence, prévue bien avant le début de l’invasion russe en février, intervient sans doute trop tôt : "Vendre la peau de l’ours avant qu’il ne soit tué : le pays est occupé, un cinquième de l’Ukraine est occupé par la Russie, la Russie progresse et cette conférence arrive avec l’idée de reconstruction, cela peut sembler paradoxal mais il y a de bonnes idées mises en avant, un programme très dynamique de Zelensky. Cette conférence aurait été la bienvenue avant la guerre elle-même".

Parmi les idées sur la table, le financement participatif a été mis en avant par le président Zelensky : "C’est l’idée que chaque individu sera capable d’assurer en partie la reconstruction" avec les apports des grands acteurs comme l’Union européenne et le Fonds monétaire international, et éventuellement la saisie d’actifs russes, mais "c’est une partie qui anticipe beaucoup sur la guerre", estime Michaël Eric Lambert.

"La guerre va encore durer plus longtemps que l’on imagine dans la mesure où la Russie ne souhaite pas arrêter les hostilités et que l’Ukraine ne veut pas non plus les arrêter pour des raisons légitimes, dans la mesure où les Occidentaux ne souhaitent pas intervenir militairement de manière directe. On va se retrouver dans une situation comparable à la Première guerre mondiale, positions stationnaires, guerre ouverte mais qui dure plusieurs années. C’est très difficile d’envisager l’avenir pour les Ukrainiens."

Pour Michaël Eric Lambert, "cette conférence va servir à montrer à l’Union européenne qu’il y a cette dynamique, un souhait de changement, des perspectives d’avenir. Cependant, ces perspectives semblent opaques, et c’est normal".

Une nouvelle Ukraine, verte et numérique

Aux yeux de Michaël Eric Lambert, deux défis se posent à l’Ukraine : l’invasion russe et la corruption. "La corruption a toujours été un problème. C’est le deuxième ennemi de l’Ukraine après la Russie, quand voyez l’état de l’armée, des infrastructures…"

Après l’urgence de l’aide à la population touchée par la guerre, viendra dans un deuxième temps la reconstruction la préparation d’une Ukraine européenne, verte et numérique, a expliqué le Premier ministre ukrainien à Lugano.

"Le projet de Zelensky est très bien fait, juge Michaël Eric Lambert. "On se retrouve un peu dans sa série 'Serviteur du Peuple' Saison III. C’est-à-dire qu’il a une approche très libérale, basée sur la e-governance, avec une inspiration estonienne évidente, le souhait d’autarcie, de ne pas dépendre des importations, et également un programme jeunesse très développé, c’était déjà le cas de sa politique avant. Avec un souhait de ramener les réfugiés, les expatriés, d’inciter les plus jeunes à revenir en Ukraine pour reconstruire le pays. Ce sont les clés de la politique de Zelensky : le libéralisme, l’informatique et la jeunesse".

Sur le même sujet: (04/07/2022)

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