Contester, en tant que soldat, la mobilisation, reste aussi compliqué dans l’état d’esprit des Russes d’après Anna Colin Lebedev. Le sens du 'devoir' et du 'sacrifice' se présente chez eux, historiquement comme la seule issue à la mobilisation.
Le discours stalinien, dressé notamment lors de la bataille de Stalingrad, qui arguait que l’individu n’avait pas de place dans l’ordre de l’histoire, revient après avoir cessé dans les années 1990. "Lorsque la Russie devient un état indépendant suite à la chute de l’union soviétique, l’idée que la vie humaine compte est une idée importante et partagée par énormément de Russes. Je pense qu’elle a été remise en cause par le pouvoir actuellement en place, petit à petit, par des petits épisodes" comme le naufrage du sous-marin Koursk dont l’équipage aurait pu être sauvé, ou la guerre en Tchétchénie, estime la maîtresse de conférences en science politique.
"Je dirais qu’il y a une sorte de basculement dans une situation que les Russes connaissent" précise-t-elle. C’est-à-dire que dans une famille russe, un grand-parent a été victime de la répression soviétique un autre est tombé sur le front de la Seconde Guerre mondiale, un père a été envoyé en Tchétchénie et aujourd’hui, les jeunes de 20 ans doivent 'défendre' leur patrie. "Face à ce sentiment de déjà-vu, leur stratégie est souvent d’éviter cela par tous les moyens possibles : se cacher et si on doit y aller, on ira en essayant de penser que c’est pour la bonne cause".
Cette bonne cause, elle se développe dans le discours dominant. Les Russes savent que l’on envoie consciemment des masses d’hommes non préparés et non équipés dont le destin est de mourir face aux Ukrainiens. "Le pouvoir russe est également dans un discours aujourd’hui où l’ennemi est immense, puissant" ajoute Anna Colin Lebedev.
L’ennemi n’est plus l’Ukraine vous explique-t-on dans les médias russes, mais l’Occident collectif, avec une armée surpuissante, celle de l’Otan. Donc aux grands mots les grands remèdes. Puisque le mal décri est tellement puissant, tout peut être justifié, y compris les sacrifices qu’on demande à sa propre population.