Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : la "contre-offensive" sur Kherson, enjeu de stratégie militaire et de communication

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Par Paul Verdeau, avec Damien Hendrichs

Depuis plus d’une semaine, la région de Kherson est devenue la zone où se cristallise l’attention autour de la guerre en Ukraine. Prise par les Russes en mars, Kherson est depuis un peu plus d’une semaine le sujet d’une "contre-offensive" menée par Kiev, qui affirme que plus de 1000 soldats russes y sont désormais encerclés.

En mars, Mykolaïv, Kherson était le symbole d’une occupation réussie par les Russes : maire arrêté, le rouble, la monnaie russe, introduit pour remplacer la hryvnia ukrainienne… Le site d’informations ukrainien Oukraïnska Pravda parlait même d’un retour à la "Russie soviétique" : "les envahisseurs débarrassent la ville des symboles nationaux ukrainiens […], ont abattu le monument à la Centurie céleste et celui dédié aux habitants de la région tombés au combat lors de la première phase de la guerre du Donbass", écrit le site, repris par Courrier International. Avant de rire jaune : "Joseph Vissarionovitch [plus connu sous le nom de Staline, ndlr] aurait de quoi être fier."

C’est donc avec beaucoup d’espoir que certains ont accueilli l’annonce par Kiev d’une "contre-offensive". En témoignent les réactions sur les réseaux sociaux, à travers des mèmes consacrés au produit emblématique de cette région méridionale de l’Ukraine : la pastèque. On peut ainsi voir des pastèques aux couleurs de l’Ukraine, bleues et jaunes, ou des affiches annonçant que "la récolte des pastèques" est venue.

"L’armée ukrainienne lorsqu’elle aura repris Kherson", mème (image virale) partagé sur Twitter.
"L’armée ukrainienne lorsqu’elle aura repris Kherson", mème (image virale) partagé sur Twitter. © Tous droits réservés

"Dans le paysage communication ukrainien, le terme de 'contre-offensive' dans la région de Kherson est le thème numéro 1 des médias et du porte-parole depuis dix jours", explique Valentyna Dymytrova, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Lyon 3 et spécialiste des identités ukrainiennes dans la communication politique et les médias. C’est devenu un terme communicationnel, parce que tout se concentre autour de cela." Le terme a d’ailleurs été repris par les médias occidentaux, tout comme celui de "bataille pour Kherson".

Est-ce que pour autant cette "contre-offensive" est une réalité sur le terrain ? "C’est à vérifier, tempère la chercheuse. Comme depuis le début de la guerre, il y a des fausses infos qui circulent, des infos stratégiques qui ne sont pas dévoilées." Toutefois, les informations des sources militaires parlent d’avancées, certes modestes, qui se confirment avec la destruction des ponts autour de la ville par exemple.

L’exercice de communication est plus difficile côté russe

Du côté russe, bien sûr, impossible d’admettre le terme de "contre-offensive". "Le fait que la région de Kherson revienne sous contrôle ukrainien et qu’il y ait une contre-offensive n’est que pure fantaisie. Les nationalistes ne disposent pas d’une armée digne de ce nom qui puisse, de quelque manière que ce soit, contrer les forces armées de la Fédération de Russie", a déclaré Kirill Stremoussov, un des dirigeants russes de Kherson, à l’agence officielle Ria Novosti (repris par Courrier International).

"Parler de contre-offensive ukrainienne, dans le champ russe, c’est une offense à l’armée russe qui est beaucoup plus puissante, abonde Valentyna Dymytrova. On est dans le rapport de force entre deux armées, qui sont au départ David et Goliath, ça reste toujours le cas en termes d’hommes." Sans compter que pour les Russes, parler de "contre-offensive" reviendrait à assumer l’existence… d’une offensive, ce que Moscou refuse depuis le début du conflit. "L’exercice de communication est plus délicat du côté russe : tout lexique autour de la guerre est prohibé, rappelle la chercheuse. Une opération militaire oui, avec des armes, mais ce n’est pas la guerre pour autant."

Selon Moscou, l’Ukraine joue un jeu de communication en utilisant le terme "contre-offensive", afin de susciter l’aide financière et militaire de l’Occident. "Tout ce que les nazis ukrainiens veulent, c’est remplir leurs poches autant que possible", affirme encore Kirill Stremoussov à Ria Novosti. Mais pour Valentyna Dymytrova, cette piste ne tient pas. "L’Occident a toujours soutenu l’Ukraine, même quand elle était dans une période de faiblesse, après chaque événement où l’Ukraine se trouvait en victime, note la chercheuse. Ce serait une mauvaise stratégie de parler de 'contre-attaque' dans le but de demander des armes ou de l’argent."

En parlant de "bataille pour Kherson", Kiev contribue-t-il à faire de cette ville – la dernière occupée par les Russes – une martyre ? Pas exactement, explique Valentyna Dymytrova : "des symboles, il y en a eu beaucoup eu, avec Boutcha, Irpine, Marioupol… Des villes martyres, ça ne manque pas malheureusement." Ces villes, l’Ukraine leur a accordé le statut de "misto heroï" ("ville-héros"), et nul doute qu’elle le fera également pour Kherson si elle la reconquiert.

Au-delà de la communication, Kherson est un véritable enjeu de stratégie militaire. "L’idée est quand même de permettre aux troupes ukrainiennes d’attirer les troupes russes et donc alléger le front dans le Donbass", précise Valentyna Dymytrova, qui rappelle que l'Ukraine souçonne le président russe Vladimir Poutine de vouloir mettre en place un référendum, à l’image de ceux de Crimée, de Donetsk et de Louhansk, afin d’y créer une république séparatiste russe. Moscou a toutefois démenti cette rumeur.

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