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Grève des travailleuses domestiques sans papiers : "Je veux me battre pour mes droits"

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Ce 16 juin est la Journée internationale du travail domestique. Ce travail est effectué en majeure partie par des femmes : dans le monde, plus de trois quarts des travailleurs domestiques sont des travailleuses.

La Belgique ne fait pas exception. Beaucoup d’entre elles sont réunies au sein de la Ligue des travailleuses domestiques du syndicat CSC. Certaines d’entre elles, les travailleuses sans papiers, ont choisi ce jour pour faire grève afin d’alerter sur leurs conditions de travail. C’est une première dans notre pays.

Contre l’exploitation

"Je suis ici parce que je ressens le besoin de me battre pour les droits des travailleuses domestiques sans papiers", nous explique l’une d’entre elles. "Cela fait des années que nous vivons et travaillons en Belgique mais nous n’avons pas les mêmes droits que les autres travailleurs. Sans carte d’identité, nous n’avons même pas le droit d’ouvrir un compte en banque ou d’avoir un abonnement pour les transports en commun. Nous recevons également un salaire très bas." L’une des revendications de cette journée est donc l’octroi d’un permis de travail et la régularisation de ces travailleuses.

Courage, ne lâchez rien. C’est nous qui faisons la Belgique, c’est nous qui faisons la France, parce qu’on nettoie ! Je veux vous dire que la lutte paie !

Les travailleuses expliquent protester contre l’exploitation qu’elles subissent au quotidien, vouloir mettre en lumière leur travail indispensable et invisible effectué dans les maisons de leur patron.ne, et demandent que leur travail soit reconnu et leur vie respectée.

L’importance du collectif

17 travailleuses ont pu faire grève. "Nous espérions en avoir 30 mais il est très difficile pour elles de négocier avec leur patron, vu leur situation. Il y a aussi des travailleuses domestiques avec des papiers qui sont présentes, en soutien", réagit Magali Verdier, animatrice au MOC Bruxelles et accompagnatrice de la Ligue des travailleuses domestiques. "Nous avons mis 9 mois à organiser cette grève. Il est compliqué de créer du collectif car il s’agit de travailleuses invisibles, qui travaillent seules à l’intérieur des familles par exemple. Comment les faire se rencontrer ? Il n’y a pas de lieu pour elles pour créer de collectif. C’est le rôle de la Ligue. Elles sont aussi dans des situations extrêmement précaires qui compliquent cette organisation : qui les remplacera si leur enfant est malade ? Elles ne viennent pas aux réunions ou en retard et c’est normal !"

Sur la difficulté de faire grève, la travailleuse domestique interrogée confirme : "Certaines d’entre nous ont été menacées. Les patrons ou les familles ne veulent pas que l’on visibilise ce qu’il se passe, le fait que nous travaillons pour eux sans avoir de papiers." Arrêter de travailler signifie pour elles que des milliers de familles n’ont pas de solutions pour s’occuper de leurs enfants et parents âgés et donc dépendent d’elles.

Quant aux conditions de travail, la travailleuse en grève reprend : "Nous travaillons de longues heures, pour celles qui travaillent chez des familles, cela veut dire commencer le travail avant que la famille ne se réveille le matin et arrêter de travailler quand elle se couche, voire après… certaines d’entre nous sommes aussi violentées verbalement."

Est-ce qu’elles subissent d’autres types de violences. Après un silence, elle reprend, plus bas : "Oui, de la violence sexuelle." Selon la CSC Alimentation et Services, une nettoyeuse belge sur trois est victime de violences sexuelles au travail.

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Une journée de mobilisation

Pour marquer le coup de cette journée de mobilisation, une dizaine de personnes se sont levées aux aurores ce 16 juin pour aller coller des affiches reprenant le slogan "Vos toilettes propres, nos propres papiers" dans Bruxelles.

Certaines d’entre nous ont été menacées. Les patrons ou les familles ne veulent pas que l’on visibilise ce qu’il se passe

Un parlement citoyen des travailleuses domestiques était organisé sur la Place du Luxembourg, pour leur donner la parole. "Ce sont les travailleuses elles-mêmes qui ont choisi ce lieu car de nombreux clients travaillent pour la Commission européenne mais aussi car cela nous permet de créer notre parlement citoyen au pied du Parlement européen", souligne Magali Verdier. Un tapis rouge était d’ailleurs dressé pour mettre la lumière sur ses travailleuses de l’ombre.

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S’il s’agit d’une première en Belgique, la lutte de ces femmes se lie à celles de travailleuses d’autres pays, comme les femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles en France.

Sylvie Esper en était, elle est la porte-parole du Collectif de ces anciennes grévistes. Elle a pris la parole lors du parlement citoyen des travailleuses domestiques : "Je suis ici en solidarité avec les travailleuses sans papiers en Belgique. Les patrons ne nous font plus peur. Nous avons fait tomber un grand groupe en Europe, le groupe Accor. Ils ont accepté nos revendications. Courage, ne lâchez rien. C’est nous qui faisons la Belgique, c’est nous qui faisons la France, parce qu’on nettoie ! Je veux vous dire que la lutte paie !"

Plusieurs personnes discutent dans le public : "C’est déjà difficile de faire grève quand tu es une travailleuse salariée alors quand tu n’as pas de papiers…"

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"Le domicile est un lieu de violences"

L’après-midi, plusieurs conférences étaient prévues, dont celle de Soizic Dubot, coordinatrice nationale au sein de l’association féministe Vie Féminine, spécialisée sur les questions socio-économiques. "Cette grève permet de sortir au grand jour ce qui se déroule d’habitude derrière des portes et des murs", détaille-t-elle pour Les Grenades. "Ce sont notamment des violences économiques, car il n’existe pas de salaire minimum pour ces travailleuses. Leurs conditions de travail échappent complètement aux normes du travail salarié. Très peu de contrôle social s’exerce, elles peuvent subir de nombreux types d’abus et de violences qu’il est très difficile pour elles de dénoncer. Quand il s’agit de ta seule source de revenus, tu es dans une situation de dépendance."

"On sait que le domicile est un lieu de violences, notamment sexuelles", repend Soizic Dubot. "J’ai déjà entendu des cas où des clients se mettent à mater un porno quand la nettoyeuse arrive. Ou des clients qui les touchent, sans leur consentement."

Plongée dans l’histoire

Pour Soizic Dubot, cette grève s’inscrit dans un contexte historique : "En Belgique, nous avons une tradition de grève des travailleuses dont il est intéressant de se rappeler. Je pense notamment au Balai Libéré, qui est né d’une grève commencée le 25 février 1975."

À l’origine de cette grève, la décision de leur employeur d’envoyer une vingtaine de travailleuses sur un chantier situé à 150 km de leur lieu de travail initial. À la suite d’une assemblée générale, elles décident d’envoyer cette lettre à leur patron : "Réunies depuis une semaine dans des groupes de travail et en assemblée générale, les ouvrières de feu votre firme ont constaté ce qui suit : tout d’abord nous constatons après une étude approfondie de notre travail que nous pouvons parfaitement l’organiser entre nous. […] Ensuite, nous découvrons que votre rôle principal a été de nous acheter notre force de travail à un prix négligeable pour la revendre à un prix d’or à l’UCL […] Nous sommes au regret de vous signifier votre licenciement sur le champ pour motif grave contre vos ouvrières."

Elles créent alors la société coopérative "Le balai libéré". De 35 personnes en 1975, elles passent à 96 en 1980. L’expérience s’arrêtera en 1988. "Cela inspire les nettoyeuses de l’UCL encore aujourd’hui !", précise Soizic Dubot.

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"Quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête"

L’importance de cette grève des travailleuses domestiques pour l’experte est également à trouver dans la visibilisation du caractère indispensable de leur travail. "Quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête. Dans leur travail, elles ont tout un tas de compétences qui sont importantes pour nos sociétés, mais qui sont niées. Cela s’inscrit dans une longue tradition de déni envers le travail domestique et féminin. On estime qu’il est naturel pour les femmes de s’occuper de ce travail, alors pourquoi les payer correctement ? On nous parle d’ailleurs de fée du logis, comme s’il y avait un côté magique au travail domestique. C’est pour cela aussi que je suis nuancée envers les titres-services. C’est un système qui crée de l’emploi, c’est important, mais cela a créé un appel d’air, un besoin de bras, qui sont féminins. Ce sont les femmes qu’on oriente dans ce secteur. Avec quelles conditions de travail ?"

Quand il s’agit de ta seule source de revenus, tu es dans une situation de dépendance

Selon Soizic Dubot, dans le cas de travailleuses domestiques sans papiers, une dimension raciste s’ajoute à l’équation. "Ce sont des travailleuses d’origine étrangère, on sait que certains clients préfèrent et demandent telle ou telle nationalité, en fonction de caractéristiques supposées de ces femmes… il faut savoir que ce sont des femmes qui laissent derrière elles leur famille et leurs enfants pour prendre soin des nôtres en Belgique."

Dans la foule, un feuillet avec une chanson passe de main en main. Le titre ? The rich man’s house, la maison de l’homme riche, en français.

L’impact du covid pour les aide-ménagères – Un podcast Les Grenades, série d’Eté

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