Green Deal de la Commission européenne: un budget sous-estimé?

Une éolienne en Pologne

© JANEK SKARZYNSKI - AFP

L’Europe veut devenir le premier continent sans carbone d’ici à 2050. Pour atteindre cet objectif ambitieux, la Commission a proposé son Green Deal fin décembre et elle a présenté mardi les moyens d’y parvenir : un plan d’investissement qui vise à lever 1000 milliards d’euros sur 10 ans, une somme pour assurer une transition écologique durable. Interrogé sur La Première, Philippe Defeyt, économiste et directeur de l’Institut pour un Développement Durable juge que c'est un positionnement important et inédit pour l’Europe : "C’est très clairement une inflexion par rapport à ce qu’on a connu jusque maintenant. C’est, pour autant qu’on y arrive, en phase avec les accords de Paris. Il reste quand même quelques pays réticents sur l’objectif zéro carbone en net en 2050. Et qui dit mise en cause des objectifs de 2050 met automatiquement en cause évidemment les objectifs de 2030 et de 2040. Mais regardons ce qui est un objectif positif et ambitieux, parce qu’il touche l’ensemble des secteurs concernés — les transports, l’agriculture, les finances, la fiscalité, etc. — et partons donc d’un point de vue qu’il faut faire réussir ce plan, même si des doutes et des questions se posent".

Budget sous-estimé

La somme annoncée pour financer cette transition est sous-estimée, selon l'économiste : "Tous les plans, y compris le plan Juncker de la Commission précédente, fonctionnent avec des budgets européens propres et existants. Et ils fonctionnent avec des apports nationaux et avec des investisseurs privés. Il y a déjà une question qui se pose sur les apports nationaux. Il est clair que si on n’assouplit pas les règles budgétaires qui ont cours aujourd’hui, ces fameux 3% de Maastricht, il est clair qu’un certain nombre de pays ne pourront pas nécessairement apporter autant que nécessaire. Deuxième grande remarque : ce budget est insuffisant si on veut vraiment arriver non pas à être plus efficace en matière énergétique, mais à réduire à zéro les émissions de carbone. Donc, ce n’est pas faire en sorte que chaque litre de pétrole ou chaque mètre cube de gaz soit mieux utilisé, c’est 0 litre de pétrole et 0 mètre cube de gaz. Pour vous donner une idée, rien que pour isoler convenablement les logements en Wallonie, rien que pour la Wallonie, il faudrait au moins 20 milliards. Le gouvernement allemand vient de décider un plan d’investissement de mise en ordre des chemins de fer allemands de 60 milliards. Or ce plan est nécessaire pour mettre en œuvre les objectifs du Green Deal, et notamment le passage de la route vers le train. Ce n’est donc certainement pas de trop. C’est déjà très ambitieux, mais il faudra probablement l’être plus si on veut arriver à l’objectif final de zéro carbone".

Monnayer un accord

Pour Philippe Defeyt, ces milliards d’euros sont annoncés peut-être aussi pour essayer de monnayer l’adhésion de nombreux pays qui n’ont pas l'envie ou les moyens de se lancer dans l'objectif d’être climatiquement neutre en 2050. "Il y a deux ou trois pays, notablement la Hongrie et la Pologne, qui ont des fortes réticences. Je pense que ces pays vont essayer de monnayer leur accord sur l’objectif zéro carbone en 2050, et donc, par conséquent, relever les objectifs intermédiaires de 2030 et de 2040. Ça fait partie du réalisme de consensus des accords au niveau européen, et en même temps, il faut bien constater que c’est dans ces pays-là que se trouvent des sources importantes de possibilités de réduire les émissions de CO2. Il y a donc ici quelque chose qui relève de l’ordre du monnayage, et en même temps, c’est là qu’il y a d’importants gisements d’économies énergétiques et d’émissions de CO2. Je pense donc qu’on trouvera un accord et il faut trouver un accord".

Cohérence

Selon Philippe Defeyt "il y a deux problèmes de cohérence importants. Il y a d’abord le problème de la croissance. Difficile d’imaginer qu’on puisse arriver à zéro carbone avec une croissance classique, celle du PIB, celle qu’on a connu tout au long de ces années de prospérité d’après-guerre. Et c’est une question fortement débattue par les économistes. Le deuxième problème de cohérence est évidemment les accords commerciaux. Prenons les accords avec le Mercosur. On va importer plus de bœuf brésilien, mais nous sommes déjà excédentaires en matière de bœuf, donc ça va faire plus de déplacements et on ne remet pas en cause — et c’est probablement un des manques du Green Deal — la question de la consommation de viande dont on sait qu’elle a un impact très important sur le climat au travers des émissions de gaz à effet de serre. Autre question qui se pose : les discussions avec l’Australie. On voit les problèmes écologiques qu’il y a là-bas, on voit une forme de déni climatique qui existe au sein du gouvernement australien, mais il faut que ces accords soient cohérents avec cette ambition, parce que l’objectif n’est pas seulement une Europe zéro carbone, mais si on veut être dans les clous de l’accord de Paris, il faut un monde zéro carbone. Voilà donc toute l’importance d’avoir des accords commerciaux cohérents avec cet objectif global".


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Reportage sur "l'exemple polonais" dans le cadre du Green Deal (JT 19h30):

Le green deal européen : l'exemple polonais

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