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Grandir à l’ombre d’un parent bipolaire

Par RTBF La Première via

Alors qu’elle existait déjà dans l’Antiquité, la bipolarité reste un trouble peu connu et sous-estimé. En atteste le délai de 5 à 10 ans qui s’écoule entre le moment où les premiers symptômes apparaissent et la mise en place d’un traitement. Comment gère-t-on la souffrance vécue aussi par les proches, en particulier par les enfants ?

Christophe Hermans a grandi dans l’ombre d’une mère bipolaire. Il vient de réaliser le film 'La Ruche', avec Ludivine Sagnier, Sophie Breyer, Mara Taquin, Bonnie Duvauchelle, où trois soeurs vivent au fil du trouble bipolaire de leur mère. L’occasion de mettre un coup d’éclairage sur ce trouble dit 'de l’humeur'.

"J’avais du mal à prendre le recul nécessaire pour écrire cette histoire, et quand je suis tombé sur le livre d’Arthur (Loustalot), j’ai voulu très vite le rencontrer pour savoir d’où lui venait cette histoire. Quand il m’a expliqué que c’était son histoire et celle de ses soeurs, je me suis dit qu’il y avait là un terreau intéressant pour que le projet devienne universel. Et comme j’avais envie de traiter du fait que le corps de l’enfant est fait du bruit des parents, c’est-à-dire que nous portons, quelque part, le souci de nos parents quand nous grandissons, j’avais envie de travailler la maladie par le biais des enfants, par le regard des enfants."

Ce qui est compliqué à vivre pour un enfant, c’est toute la construction de la honte. On a du mal à en parler à l’extérieur, auprès d’amis, de connaissances, de professeurs. On enterre ce secret à l’intérieur de la maison, pour protéger les parents envers et contre tout.

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Qu’est-ce que la bipolarité ?

On parle de bipolarité ou de maniaco-dépression pour désigner la même chose. Les deux termes sont utilisés comme des synonymes aujourd’hui, même si le terme bipolarité recouvre beaucoup plus de choses que la maniaco-dépression, explique le Pr Gérald Deschietere, psychiatre du Service de Psychiatrie adulte et responsable de l’Unité de crise au Service des urgences des Cliniques universitaires Saint-Luc. On parle aussi de 'troubles de l’humeur'. La prévalence de la maladie est plus ou moins constante, entre 1 et 1,5%.

Par bipolarité, on parle de personnes qui sont affectées, de façon transitoire, d’affections de type dépression ou d’épisodes maniaques, d’exaltation de l’humeur. Cette exaltation peut prendre un caractère excessivement grave, avec une perte du sens des réalités, ou parfois simplement une joyeuseté de vivre. Confrontés à certains moments difficiles de l’existence, les gens surjouent, dans un bonheur qui ne semble pas très fondé, c’est l’hypomanie.

Ces patients oscillent entre des moments de dépression, d’hypomanie ou de manie, avec heureusement, des périodes de normothymie, où l’humeur semble être normale avec parfois un rapport au monde un peu différent de celui des autres personnes.

L’une des particularités de la maladie, c’est le sentiment de honte qui empêche souvent d’avoir accès aux soins. Il y a aussi un sentiment de culpabilité ou la peur de la stigmatisation du milieu professionnel et social. Par ailleurs, les personnes ne se rendent souvent pas compte elles-mêmes qu’elles sont atteintes par la maladie. Ce sont les proches qui doivent donner l’alerte, mais c’est quelque chose de très difficile, d’où l’importance du travail de sensibilisation.

"Un diagnostic n’enferme pas quelqu’un, insiste le Pr Gérald Deschietere. La personne qui souffre d’une affection psychiatrique est bien plus que son diagnostic."

Il y a une composante héréditaire dans la maladie. Il faut accompagner les enfants dans les questions qu’ils se posent sur cette hérédité. Cela ne veut pas dire que chaque génération est touchée, ni que c’est automatique. Malheureusement cela ne dépend pas que de la personne, mais on peut de toute façon veiller à avoir une bonne hygiène de vie, à avoir une bonne qualité et quantité de sommeil, à s’entourer éventuellement d’un médecin ou d’un psy bienveillant.

Les symptômes qui doivent alerter

Habituellement, la maladie bipolaire commence par quelques épisodes dépressifs, ce qui lui permet malheureusement de passer plutôt inaperçue, car c’est la dépression qui semble à l’avant-plan. Il faut parfois de 5 à 10 ans avant de poser le diagnostic, et cela même alors que la personne a rencontré plusieurs médecins différents, dont des spécialistes de la santé mentale

Ce qui est très bruyant, c’est un épisode maniaque : les gens sont euphoriques, désinhibés, exaltés, avec une diminution du besoin de dormir. Ils font des dépenses excessives, ils ont un rapport à la réalité qui fait qu’on se sent tout-puissant. Dans certains cas, il peut aussi y avoir une violence physique ou verbale.

Tout semble exagéré, la vie semble prendre une autre ampleur, comme on le voit dans le film de Christophe Hermans. Il montre les aspects quotidiens de la maladie, l’incertitude constante, le déni de ce que les soeurs préfèrent appeler une fragilité plutôt qu’une maladie.

Je n’ai jamais pu dire à ma mère : maman, tu es bipolaire, tu es maniaco-dépressive. Ça fâche, ça perturbe, on a peur que le parent retombe dans une phase down. Donc, c’est très difficile. Dans le personnage de Marion, il y a l’idée de la carapace, de quelqu’un qui veut protéger sa mère, quoi qu’il arrive.

Le film 'La Ruche', de Christophe Hermans – 2022
Le film 'La Ruche', de Christophe Hermans – 2022 © Cinergie – FraKas Productions – Christophe Hermans

Traitement et accompagnement

Chez certaines personnes, la maladie ne partira jamais, mais d’autres ne feront qu’un ou deux épisodes. Un suivi psychique est nécessaire au moment d’arrêter le traitement médicamenteux. D’autant plus que la personne ne se rend souvent pas compte qu’elle entre en crise.

Le traitement est vraiment utile, souligne le Pr Gérald Deschietere. Il permet de protéger contre le risque de rechute maniaque ou dépressive, il permet de diminuer l’incidence des répercussions sociales de la maladie.

Mais le traitement, ce n’est pas que des médicaments. C’est de l’accompagnement, du partage avec des personnes qui ont la même affection, des groupes de soutien pour les proches. C’est parfois passer par la case hôpital, mais on assure de plus en plus le suivi au niveau ambulatoire, grâce à des consultations, des équipes mobiles. "Et quelque part, 'normaliser' ce qui semble ne pas être normal."

Aujourd’hui, s’occuper de patients psychiatriques, c’est aussi s’occuper des familles qui accompagnent ces personnes. C’est terriblement important.

Des associations bien utiles

Franca Rossi est directrice de l’association Funambule, qui permet, outre la diffusion d’informations, d’avoir des groupes de parole et de rencontre autour de la bipolarité, pour les patients et leurs proches, à Bruxelles et en Wallonie. Ludivine Sagnier, venue y assister à des groupes de parole, en est officiellement la marraine.

"Les enfants des parents bipolaires sont ce qu’un professionnel a appelé 'les oubliés de la psychiatrie'. Les enfants ont tendance à tout cacher, ils inventent même une vie à leurs parents, des métiers qu’ils n’exercent pas."

L’asbl Etincelle propose des entretiens et des moments d’écoute à des enfants de parents bipolaires, tant en Wallonie à Bruxelles. L’association Similes accueille également des proches de personnes ayant des troubles psychiques.

Ce qui est très difficile pour les proches, c’est effectivement de comprendre la maladie, poursuit Franca Rossi. Les enfants ne reconnaissent plus leur mère, leur père, leur frère, leur soeur. A partir du moment où la personne bipolaire accepte sa maladie, elle peut amener ses proches à l’accepter davantage également.

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