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"Ne payez pas vos factures d’énergie !" : au Royaume-Uni, la campagne de désobéissance qui s'inspire de quelques modèles à succès

© Getty - RTBF

Par Jean-François Herbecq

Ne payez pas vos factures d’énergie. Le message est simple : cette campagne massive de protestation contre l’augmentation des prix de l’énergie vise à aider les Britanniques qui ne pourront plus chauffer leur foyer cet hiver. Ils sont déjà plus de 125.000 à menacer de ne plus payer leurs factures au 1er octobre si elles ne redescendent pas à un niveau raisonnable. Objectif : un million de grévistes du paiement pour forcer le gouvernement et les géants de l’énergie à revoir leur copie.

L’idée est loin d’être neuve : c’est notamment le même principe déjà utilisé en 1989 quand des millions de contribuables britanniques ont refusé de payer la "Poll tax" décidée par la Première ministre Margaret Thatcher. Et cela a marché.

Une taxe inégalitaire de Thatcher refusée par 18 millions de contribuables

Retour dans le Royaume-Uni des années 1980 : le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher planche sur la réforme de l’impôt local. L’idée de la Poll tax est que chaque localité fixe le montant de son impôt local puis le répartisse au prorata de sa population. Cette taxe officiellement appelée "Community charge" est donc un impôt locatif, à comparer à notre précompte immobilier. Mais ici, plutôt que de se baser sur une estimation de la valeur du bien occupé, c’est un impôt par personne, pas par foyer, et une "flat tax". Tout le monde, riche ou pauvre, paye la même chose… C’est la capitation ou impôt par tête. 390 livres par personne par exemple, mais dans certains cas près de 600 livres. Une mesure jugée inégalitaire car pénalisant les familles nombreuses et celles à faible revenu. L’exemple du duc milliardaire de Westminster qui était redevable de la même somme que son chauffeur a fait le tour du Royaume-Uni.

La taxe est testée en 1989 en Ecosse avant son introduction en Angleterre et Pays de Galles l’année suivante. L’Irlande du Nord, elle, y échappe.

La nouvelle taxe est compliquée à mettre en œuvre car les municipalités n’arrivent pas à cartographier correctement les occupants des logements. Et de plus, une résistance s’organise pour échapper à l’impôt. Une Fédération est mise sur pied, des groupements, avec un mot d’ordre : 3D (Don’t Register, Don’t Pay, Don’t Collect). Le Labour soutient la campagne de non-paiement. Le groupe punk The Exploited chante "Don’t Pay The Poll Tax", d’autres groupes de rock font de même…

Les appels à ne pas payer lancés en Ecosse avant de s’étendre à l’Angleterre sont largement entendus. Jusqu’à 30% des contribuables ne payent pas, selon la BBC. Jusqu'à 18 millions de refus, des protestataires condamnés à la prison… La police du Sud Yorkshire annonce qu’elle devra refuser d’arrêter les non-payeurs : il y en a tout simplement trop !

Des manifestations monstres rassemblent jusqu’à 200.000 personnes, dont une à Trafalgar Square à Londres qui dégénère faisant une centaine de blessés.

Dommage collatéral : des citoyens renoncent à s’inscrire sur les listes électorales pour éluder la taxe. La confusion vient évidemment de son surnom "Poll tax" qui n’est pourtant en rien lié aux listes électorales mais est une référence historique à la taxe décidée en 1379-1380 pour financer la guerre de Cent ans…

La Dame de fer, confrontée à ce boycott et surtout à des émeutes violentes, doit aussi faire face à une véritable fronde au sein de son propre parti conservateur. Finalement Margaret Thatcher tombe et son successeur John Major abolit la taxe, la remplaçant par un impôt progressif. Le refus de payer l’impôt a réussi à paralyser le système.

La manifestation anti Poll Tax de Trafalgar Square
La manifestation anti Poll Tax de Trafalgar Square © AFP

Résistance fiscale aux Etats-Unis

Cet exemple de résistance fiscale est loin d’être unique. Les cas sont nombreux, mais le plus souvent, il s’agit de mouvements symboliques qui n’arrivent guère à leurs objectifs, principalement pacifiques.

En Grande-Bretagne, les féministes de la "Women’s Tax Resistance League" ont employé la méthode déjà au début du 20ème siècle. Leur lutte pour le suffrage des femmes est couronnée de succès à partir de 1918, mais la résistance fiscale n’était qu’une arme des suffragettes aux côtés des manifestations, grève de la faim, tracts, actions de désobéissance civile…

Aux Etats-Unis, plusieurs cas existent également. Souvent liés à la religion, comme celui des Quakers qui lancent l’idée dans les années 1960 de verser en tant qu’objecteur de conscience une partie de ses impôts à l’Unicef plutôt qu’au Trésor. Cela a même débouché sur une loi en 1972. Les "Tax Resisters" retiennent souvent des montants symboliques avant tout pour exprimer leur opposition à la guerre. Avant eux, un écrivain Henry Thoreau avait imaginé dans un esprit de désobéissance civile de ne pas payer une taxe destinée à financer la guerre. Et après, des opposants à la guerre du Vietnam ont fait de même.

Pareil mouvement existe au Canada : "Conscience Canada" et "Nos impôts pour la paix" demandent à leur gouvernement depuis les années 1980 de mettre sur pied un mécanisme permettant d’obéir à la fois aux exigences de leur conscience et à celles des lois sur l’impôt. Une volonté affichée de retenir la part "militaire" des impôts, mais sans impact réel.

Grève de l’impôt en France, objection de conscience fiscale en Italie

La France a connu des cas similaires, à droite comme à gauche avec une "Ligue pour le refus de l’impôt" en 1902 opposée à la politique anticléricale du gouvernement, une action d’enlèvement rocambolesque de dossiers fiscaux orchestrée par un syndicaliste un peu poujadiste ou un mouvement de protestation contre l’arme nucléaire, le groupe "Refus-Redistribution de l’impôt", dans les années 1960 et 1970, qui bénéficiera aux opposants à l’extension d’un camp militaire dans le Larzac.

Ici aussi, l’aspect symbolique est déterminant dans ces actions de refus : les résistants décident de ne pas verser 3% de ce qui leur est réclamé comme impôt direct, non pour économiser la somme mais pour la redistribuer à une cause qu’ils choisissent et surtout le faire savoir. Les "3% pour le Larzac" font d’ailleurs l’objet d’une campagne de tracts et d’affichage qui imite les annonces officielles. Le mouvement est organisé, mais présenté comme un geste individuel de façon à ne pas risquer plus qu’une saisie sur salaire ou sur compte.

L’Italie a connu ses paladins de l’objection de conscience fiscale, qui ont été poursuivis par la justice. Il s’agit de contribuables italiens qui refusent de payer la part de l’impôt sur le revenu correspondant à la part du budget alloué à certaines dépenses publiques, surtout les dépenses militaires, en général autour de 5%. Parmi ces objecteurs fiscaux, une centaine de prêtres qui agissaient au nom de leur foi. Ils ont cherché sans l’obtenir le soutien du cardinal Ratzinger, futur pape Benoît XVI. Des partisans de la Ligue du Nord ont aussi imaginé le refus de l’impôt qui bénéficierait au sud du pays. Aucune de ces formes de protestation n’est reconnue par la loi italienne.

La marche du sel et l'indépendance de l'Inde

On doit encore mentionner le rôle de la grève des loyers à Soweto en Afrique du Sud dans le cadre de la lutte contre l’apartheid. Une grève massive des loyers qui a eu lieu au même moment que les manifestations contre la Poll Tax en Grande-Bretagne. Les manifestants à Londres avaient d’ailleurs mis le feu à l’ambassade sud-africaine en signe de soutien aux opposants à l’apartheid.

Enfin, en Inde, le Mahatma Gandhi a organisé en 1930 une marche du sel qui était aussi une protestation fiscale, contre l’impôt très élevé qui frappait cette denrée indispensable au quotidien. Une première forme de manifestation non-violente qui a conduit à l’indépendance du pays. Après 380 km à pied et entouré de milliers de ses soutiens, Gandhi est arrivé sur la côte où il a prélevé une poignée de sel, enfreignant ainsi l’interdiction faite aux Indiens de le collecter ou de le vendre.

Gandhi ira en prison, comme des milliers d’autres Indiens, mais ils seront tous libérés après 9 mois et l’impôt abrogé. L’histoire ne s’arrête pas là : des tables rondes suivent, qui vont tenter de baliser la voie vers l’indépendance, finalement accordée après la guerre. Pour les Indiens, cette marche du sel est devenue un moment symbolique équivalent à la Boston Tea Party qui a mené à l’indépendance des Etats-Unis.

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