Ne payez pas vos factures d’énergie. Le message est simple : cette campagne massive de protestation contre l’augmentation des prix de l’énergie vise à aider les Britanniques qui ne pourront plus chauffer leur foyer cet hiver. Ils sont déjà plus de 125.000 à menacer de ne plus payer leurs factures au 1er octobre si elles ne redescendent pas à un niveau raisonnable. Objectif : un million de grévistes du paiement pour forcer le gouvernement et les géants de l’énergie à revoir leur copie.
L’idée est loin d’être neuve : c’est notamment le même principe déjà utilisé en 1989 quand des millions de contribuables britanniques ont refusé de payer la "Poll tax" décidée par la Première ministre Margaret Thatcher. Et cela a marché.
Une taxe inégalitaire de Thatcher refusée par 18 millions de contribuables
Retour dans le Royaume-Uni des années 1980 : le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher planche sur la réforme de l’impôt local. L’idée de la Poll tax est que chaque localité fixe le montant de son impôt local puis le répartisse au prorata de sa population. Cette taxe officiellement appelée "Community charge" est donc un impôt locatif, à comparer à notre précompte immobilier. Mais ici, plutôt que de se baser sur une estimation de la valeur du bien occupé, c’est un impôt par personne, pas par foyer, et une "flat tax". Tout le monde, riche ou pauvre, paye la même chose… C’est la capitation ou impôt par tête. 390 livres par personne par exemple, mais dans certains cas près de 600 livres. Une mesure jugée inégalitaire car pénalisant les familles nombreuses et celles à faible revenu. L’exemple du duc milliardaire de Westminster qui était redevable de la même somme que son chauffeur a fait le tour du Royaume-Uni.
La taxe est testée en 1989 en Ecosse avant son introduction en Angleterre et Pays de Galles l’année suivante. L’Irlande du Nord, elle, y échappe.
La nouvelle taxe est compliquée à mettre en œuvre car les municipalités n’arrivent pas à cartographier correctement les occupants des logements. Et de plus, une résistance s’organise pour échapper à l’impôt. Une Fédération est mise sur pied, des groupements, avec un mot d’ordre : 3D (Don’t Register, Don’t Pay, Don’t Collect). Le Labour soutient la campagne de non-paiement. Le groupe punk The Exploited chante "Don’t Pay The Poll Tax", d’autres groupes de rock font de même…
Les appels à ne pas payer lancés en Ecosse avant de s’étendre à l’Angleterre sont largement entendus. Jusqu’à 30% des contribuables ne payent pas, selon la BBC. Jusqu'à 18 millions de refus, des protestataires condamnés à la prison… La police du Sud Yorkshire annonce qu’elle devra refuser d’arrêter les non-payeurs : il y en a tout simplement trop !
Des manifestations monstres rassemblent jusqu’à 200.000 personnes, dont une à Trafalgar Square à Londres qui dégénère faisant une centaine de blessés.
Dommage collatéral : des citoyens renoncent à s’inscrire sur les listes électorales pour éluder la taxe. La confusion vient évidemment de son surnom "Poll tax" qui n’est pourtant en rien lié aux listes électorales mais est une référence historique à la taxe décidée en 1379-1380 pour financer la guerre de Cent ans…
La Dame de fer, confrontée à ce boycott et surtout à des émeutes violentes, doit aussi faire face à une véritable fronde au sein de son propre parti conservateur. Finalement Margaret Thatcher tombe et son successeur John Major abolit la taxe, la remplaçant par un impôt progressif. Le refus de payer l’impôt a réussi à paralyser le système.