Retour aux sources

Goulag, camps de rééducation et autres cantonnements de travail forcé : un principe tellement humain !

Gulag History Museum in Moscow

© Celestino Arce/NurPhoto

Par Gérald Decoster via

" Retour aux sources " vous propose une immersion dans un système typiquement soviétique : le Goulag. Pour être totalement en règle avec l’appellation, il vaudrait mieux parler de " camp du Goulag ", ce mot étant la réduction de Glavnoïé oupravlénié laguéreï, c’est-à-dire " Administration principale des camps ". Cette précision de langage ne pardonne toutefois pas ce système de travaux forcés, développé par la police politique de l’URSS à partir de 1934 et qui avait pour but de terroriser tout en assurant une forme d’extension industrielle de l’empire soviétique, régime totalitaire s’il en est.

Ce système atteint son apogée entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1953. Cette année-là, 1,2 million de détenus retrouvent la liberté. En 1958, le goulag est rebaptisé " colonie de redressement par le travail ", la discipline va s’alléger jusqu’à la suppression des camps de prisonniers politiques, sous Mikhaïl Gorbatchev… Perm-36, dans l’Oural, est le dernier à fermer ses portes, au début des années 1990. Il est devenu le Musée de l’Histoire de la répression politique et du totalitarisme en URSS.

Visite guidée à Perm-36…
Visite guidée à Perm-36…
Visite guidée à Perm-36…
Visite guidée à Perm-36…

La barbarie humaine, un éternel recommencement.

Évoquant les " camps de rééducation ", on ne peut ignorer le système mis en place par Hitler et le IIIe Reich, des camps qui se sont trop souvent mués en camps de la mort…

Pour en revenir au système soviétique, Joseph Staline s’est inspiré de ce que le régime tsariste avait mis au point dès le XVIIe siècle : les kotargas. Ces bagnes, sous entendant les travaux forcés, étaient installés en Sibérie et dans l’Extrême-Orient russe. Le système sera " amélioré " par Pierre le grand en 1722, qui enverra en exil les criminels accompagnés de leurs femmes et enfants. Le regroupement familial avant la lettre…

Un kotarga, Russie, vers 1908…
Un kotarga, Russie, vers 1908… © Getty Images

Le kotarga avait la même fin que les camps staliniens : expédier les opposants politiques dans l’oubli, aux confins de l’Empire. Fiodor Dostoïevski y sera interné de 1849 à 1854, il en ressortira " Souvenirs de la Maison des Morts ", paru en 1862. Sous le règne de Nicolas II, Staline sera aussi victime du système à plusieurs reprises, s’en évadant régulièrement jusqu’à sa libération par la révolution bolchevique.

Fiodor Dostoïevsky
"Souvenirs de la maison des morts", Fiodor Dostoïevski, Folio classique, 1977.

Évidemment, d’autres pays ont adapté le système du Goulag. En Chine, le Grand Timonier, Mao Zedong, imagine dès 1951 le " Lao Gaï ", un système pour aider les ennemis du Parti à se rééduquer par le travail. Ces ennemis se trouvent – par dizaines de millions – dans les " neuf catégories de nuisibles " : contre-révolutionnaires, droitistes, propriétaires fonciers, paysans fortunés, militaires et agents du Kuomintang, agents ennemis du monde capitaliste, mauvais éléments en tous genres et, durant la Révolution culturelle, les intellectuels. Si le système a officiellement été supprimé en 2013, un grand nombre de centres sont toujours d’actualité…

Ainsi, sous l’actuel président Xi Jinping, dans le cadre de " la guerre populaire contre le terrorisme ", des camps d’internement ont été ouverts dans le Xinjiang depuis 2017. On y endoctrine les Ouïghours, des Kazakhs, des Kirghizes et d’autres minorités ethniques, à coups de viol et de torture… Certains organismes de défense des droits de l’homme affirment que ces camps contribuent à un véritable génocide, ils abriteraient près de 2 millions de détenus.

Manifestation contre le génocide des Ouïghours devant l’ambassade de Chine, à Londres.
Conex : l’un des pires châtiments vietnamiens ; dans un conteneur, 6 à 10 détenus enchaînés sur 4 m…

Après la chute de Saïgon, en 1975, le régime communiste vietnamien a inventé les " Trại cải tạo ", des camps de rééducation par le travail. Ce sera un système de vengeance, de répression et d’endoctrinement pour près de 300.000 employés, officiers et partisans de l’ancien gouvernement du Sud-Vietnam. Dans ces camps, les individus seront maltraités et torturés… Il faudra attendre 1989 et l’accord entre les gouvernements vietnamien et américain, pour que les nombreux prisonniers soient enfin libérés.

Quant au Cambodge des Khmers rouges, il se transformera en un gigantesque goulag durant tout le régime, de 1975 à 1979. Le Cambodge est alors devenu une dictature, d’une rare violence, qu’il fallait purger de toute influence capitaliste, occidentale et religieuse, tout en la purifiant ethniquement. Pour cela, les Khmers évacueront toutes les villes dont les populations devront travailler manuellement dans les campagnes. On estime à environ 20% de la population, soit quelque 1,7 million de Cambodgiens qui ont été assassinés, pour ne pas dire massacrés, dans ce gigantesque camp de rééducation qu’était le pays.

Il ne faudrait pas oublier la grande dynastie Kim, en Corée du Nord… Si l’on critique la famille dirigeante ou si l’on se questionne sur le régime nord-coréen, c’est le camp prison à coup sûr… et sur trois générations si nécessaire, afin d’éradiquer la " graine des ennemis de l’État ". Il semblerait que l’actuel président, Kim Jong-Un, soit passible d’être jugé pour crime contre l’humanité…

Un ossuaire, résultat du régime des Khmers rouges au Cambodge…
Kim Jong-Un
Thomas Buergenthal

Parmi les onze crimes contre l’humanité officiellement répertoriés, on en pratique dix dans les quatre camps nord-coréens, dont l’esclavage, le meurtre, les violences sexuelles ou la torture. Les détenus y travailleraient jusqu’à 20 heures journalières, à peine nourris et vêtus, sans chauffage… Le survivant d’Auschwitz, Thomas Buergenthal, a étudié le sujet et a déclaré :

"Je crois que les conditions dans les camps de prisonniers de Corée du Nord sont aussi terribles, voire pires, que celles que j’ai vues et éprouvées dans ma jeunesse dans les camps nazis, et dans ma longue carrière professionnelle dans le domaine des droits de l’Homme.

C’est évident : l’Humanité de certains pays et régimes a encore beaucoup de travail à effectuer avant de (re) trouver le Paradis… " Homo homini lupus est ".

À lire : L’archipel du Goulag, d’Alexandre Soljenitsyne, Seuil, 1974 et en version abrégée chez Points, 2014.

"L’Archipel du Goulag", Seuil, 1974.
"L’Archipel du Goulag", Points, 2014.

À voir dans " Retour aux sources ", samedi 9 avril à 21h05, " Goulag, une histoire soviétique ", un documentaire en deux parties de Patrick Rotman Nicolas Werth et François Aymé.

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