En sortant de la séance où il est allé voir "Girl", Louis* a eu un sentiment de "dégoût, d’écœurement". Non pas pour des critères esthétiques, loin de là. "J’ai trouvé que le film était très bien réalisé, que la grande majorité des scènes était bien jouée, bien tournée, avec une belle image, explique-t-il. Mais comme il est bien fait, j’étais dégoûté, parce que malheureusement il va être apprécié, or il ne transmet que du cliché et en plus parmi les pires."
Louis est un jeune homme trans, et comme beaucoup d’autres personnes de cette communauté que la RTBF a rencontrées, il n’a pas apprécié le film "Girl" de Lukas Dhont, qui sort ce mercredi. Pourtant, le film, qui raconte la vie de Lara, une jeune ballerine trans qui rêve de devenir danseuse étoile, a été salué par la critique. Y compris au sein de la communauté LGBT internationale : à Cannes, il a reçu la Queer Palm, en plus de la Caméra d’Or.
Mais pour une partie des personnes trans de Belgique et de France, "Girl" est un film qui, loin de rendre service à la communauté, donne une image traumatisante, tragique et incohérente de la transidentité. "Le réalisateur avait toutes les possibilités du monde et clairement, il va renforcer les problèmes qui existent et absolument pas participer à les affaiblir, regrette Louis. C'est un véritable choix, et il est très mauvais."
Une vision terriblement masculine
Parmi les reproches que font les personnes trans à Lukas Dhont et à son film, il y a le regard qu’il pose sur la transidentité. Le réalisateur de 27 ans n’est pas lui-même trans, il est ce qu’on appelle "cisgenre", c’est-à-dire que son identité de genre (homme) correspond à celle qu’on lui a assignée à la naissance. Cependant, son film est inspiré d’une histoire vraie, celle de Nora Monsecour, une danseuse trans originaire de Heusden (Flandre Orientale). La danseuse a d’ailleurs conseillé Lukas Dhont sur le film, en lui apportant son propre témoignage. Il n’empêche que la vision du réalisateur reste "cis-centrée", et même "terriblement masculine", explique Héloïse Guimin-Fati, co-responsable de l’Observatoire des Transidentités. Selon la chercheuse, le film en arrive à démontrer qu’être trans est "ontologiquement une souffrance, ce qui justifie le suivi le suivi psychiatrique, médical, toute une série de barrières pour préserver la pauvre trans d’elle-même."