C’est un vêtement hautement et régulièrement polémique : le burkini. L’écrivain Gil Bartholeyns s’adresse à lui en lui rappelant qu’il n’est pas " le seul à faire des vagues ".
Cher Burkini, costume de bain, vêtement symbiotique… chaque année, avec le retour des beaux jours, tu te fais rincer de partout. Pauvre Burkini, pourtant frère des maillots de nos grands-mères ou arrière-grands-mères. Laisse-moi te raconter une histoire qui s’est passée bien avant ta naissance.
Sais-tu ce qui fut interdit un peu partout, en Belgique, en France, en Italie, à la fin des années 1940 : le bikini, ce maillot minimaliste qui dévoilait le nombril. Scandale ! On prend des arrêtés municipaux. Même les modèles n’en veulent pas. Son inventeur, un Français, a dû payer une fille de cabaret. " Le bikini, la première bombe anatomique ! ", c’était le slogan, en 1946, du nom de l’atoll où les Américains venaient de réaliser un essai nucléaire, " pour le bien de l’humanité ", avait dit le Général à la population. Quelle belle généalogie nous portons-là, dans nos bouches et sur nos corps. Évolution des mœurs ?
Ils ne t’ont vraiment pas bien nommé, cher Burkini. Car la burqa, un mot qui vient non pas de l’arabe mais du pachto, c’est ce voile intégral à grillage imposé par les Talibans. Tu es doublement mal servi, par deux histoires globales aussi effroyables que menaçantes. Ton inventeur australienne, en 2004, aurait été mieux inspirée de t’appeler Combini.
Tu sais, avant, tout le monde était à peu près en Combini, même les hommes. L’idée du maillot sans manche ni cuisse était venue à certains, certaines, car soudain on voulait bronzer ; on ne cessait de retrousser le tout ! Le teint hâlé, ce signe ouvrier et paysan, devenait bourgeois. Ce qui hier outrageait, tantôt les conservateurs (opposé à la libération de la femme), tantôt les féministes (parce que ce vêtement la réduit à un objet de désir), est aujourd’hui obligatoire. Être mince, bronzée, s’épiler, se teindre, s’exposer – je connais des femmes qui sont gênées par cette assignation au corps d’été ; à un seul corps d’été, celui qui n’existe que dans la tête des hommes ou des jeunes filles qui en viennent à renoncer à manger, à descendre à la plage.
Alors : oui aux vêtements de bain, contre la violence des regards. Et puis, à l’inverse, ces femmes qui revendiquent d’aller sans haut, topless, à la piscine ou au parc – comme les hommes. Comme les hommes ! Elles disent : Égalité ! Tu vois, tu n’es pas le seul à faire des vagues, mais au prétexte de ton nom, et instrumentalisé de toutes parts, tu ne te retrouves jamais dans cette gamme de choix personnels, du plus couvert au simple " costume d’Adam ".
Une dernière histoire, cher Burkini, une drôle. L’autre jour je me suis dit : en fait, comme planchiste, comme surfeur, comme plongeur, je te porte depuis que je suis petit, chaque fois qu’il fait trop froid ou que la mer est grosse ! Tous ces hollandais qui, cagoulés de néoprène, naviguent fiévreusement de novembre à mars, ils sont en burkini. Il faudrait aller leur dire. Moi je te porte dans l’eau et puis je reste volontiers habillé ainsi, je m’y oublie – cette fois contre la véhémence du Soleil. Et personne ne me dit rien. On est bien, on n’a pas chaud dedans. Vieillissement prématuré de la peau, brûlures, allergies… Ne dit-on pas qu’" il faut se protéger avec des vêtements " ?
Cher Burkini, voilà, je te souhaite de pouvoir couler partout des jours heureux et raisonnables, comme en Suisse, en Suède ou en Norvège – tiens donc, dans ce respect des libertés individuelles, n’y aurait-il pas un lien avec la température ?
Allez, cher Burkini, prends soin de celles et ceux que tu couvres,
Gil Bartholeyns