Dans quel monde on vit

Gil Bartholeyns : " Cher Beaux jours, vous revenez, et c’est nous qui revenons tout près de tout qui nous fait vivre. "

Gil Bartholeyns : " Cher Beaux jours, vous revenez, et c’est nous qui revenons tout près de tout qui nous fait vivre. "

© Sophie Bassouls

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 Alors qu’avec le printemps et le mois de mai reviennent les caresses du soleil et les arbres en fleurs, dans " En toutes lettres ! ", l’historien et écrivain Gil Bartholeyns prend sa plume pour s’adresser aux Beaux jours.

 

Chers Beaux jours,

 

C’est vous que je rencontre le plus, en ce moment. Vous êtes de retour, vous repartez, je vous espère. Vous êtes sans adresse mais partout. Dans les fleurs de pommier contre le bleu du ciel et ses quelques abeilles. Dans le retour des bras nus, des désirs de robes et de shorts chez mes enfants. Dans la mine écrevisse de ceux qui se sont fait prendre par ton soleil, après un hiver parfois intérieur. C’est vous dans les oiseaux (toujours eux !) qui crient leur invincibilité à l’aurore, devançant la lente géographie de la lumière qui revient couler sur la ville déserte, au fond de la vallée, puis leur ivresse incessante d’un buisson l’autre...

Vous êtes le temps de la poésie après les givres tardifs.

 

On ne dira plus :

Regarde, mon fils, il neige.

Tu ne verras chose plus belle

Parce que douce et calme

Et cependant terrible.

 

On dira, grâce à vous :

Toujours revenant

Telle la première fois dans la course stellaire

Où tu nageais, ma fille,

À la rivière ployant les jonquilles.

 

Chers Beaux jours, c’est avec vous que les campagnes et les quartiers reviennent à eux, nous ouvrons les fenêtres et nos cœurs.

Chaque année mon père m’apporte un bouquet de gui, je l’accroche à ma porte. Quelle drôle d’idée. Mais c’est beau ce vert franc, cette présence d’une attention discrète, qui fait vœu de prospérité, hors de toute croyance, sauf en la vie.

Le grand folkloriste Arnold Van Gennep vous consacre tant de pages où la profondeur des temps le dispute aux joies collectives.

C’est cette nuit du 30 avril au 1er mai que les sorciers, les sorcières, les sylvestres se sont réunis pour chasser au loin le gel et le loup. À la pique du jour, on a fait des remèdes avec la rosée et jeté du sel dans les étables contre les lutins. Dans certaines écoles, bientôt les enfants brûleront l’Homme de paille. Et on se rappelle les présages météorologiques : pronostic du vin si, Beau temps, tu n’étais pas au rendez-vous ce samedi. Présage du vent s’il souffle chaud ce dimanche ; et si l’astre raye les pieds des arbres fruitiers, ce sera l’abondance. De cette abondance de raretés qui nous détourne de la marchandise.

Beaux jours, vous êtes ce miracle, pour qui sait les semences du cresson, des carottes, des plantureuses courgettes. Vous revenez, et c’est nous qui revenons tout près de tout qui nous fait vivre.

Combien d’années je vous reverrai encore ?

Vous n’êtes pas la nostalgie de l’hiver comme l’automne l’est de l’été. Vous êtes un événement. L’amour sera au rendez-vous, disent les astrologues. Ou, comme cet ami qui murmurait à sa femme : Ta bouche est printemps. Ta voix est printemps.

 

Ces jours-ci, on dira :

Ce n’est pas toi, mon amour,

Qui m’avais de tout découvert

À l’étoile du matin.

C’était la rareté.

 

Souhaitez-nous, chers Beaux jours, de pouvoir répondre à votre génie,

Gil Bartholeyns

 

Chaque samedi, dans “Dans quel Monde on vit”, un auteur-chroniqueur partage une lettre adressée à une personnalité qui occupe le devant de l’actualité, à un inconnu qu’il a repéré ou à une personne qui le fait rêver…

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