Cet hiver, Les Grenades décortiquent la santé mentale sous le prisme du genre. Biais cognitifs des soignant.es, violences structurelles, charge mentale, gestion des émotions… Trois articles pour creuser ce sujet particulièrement sensible en ces temps sombres. Pour ce deuxième article, on s’intéresse aux violences systémiques.
Comme nous l’avons vu dans le premier épisode, la prédominance des femmes parmi les personnes atteintes de dépression est le résultat de constructions sociales et de stéréotypes, mais aussi de violences, sujets dans lequel nous allons plonger aujourd’hui.
Selon l’OMS, les facteurs de risque sexospécifiques des troubles mentaux courants qui affectent de manière disproportionnée les femmes comprennent la violence sexiste, le désavantage socioéconomique, l'inégalité des revenus, un statut social et un rang faible ou subordonné et une responsabilité incessante pour les soins d'autrui.
Les violences du système de domination
Les violences ont encore augmenté pendant la crise sanitaire. "Dans les faits, nous avons pu constater, pendant la période de confinement, une intensification des violences faites aux femmes dans l’espace public comme dans la sphère privée", indique la plateforme Mirabal.
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Des violences qui ont bien évidement un impact sur la santé mentale des femmes. Il nous semble essentiel d’insister sur les conséquences psychologiques des agressions sexuelles. Des personnes peuvent développer un syndrome de trouble de stress post-traumatique et parvenir à se mobiliser pour faire des démarches est extrêmement complexe.
Aussi, "après avoir subi des violences sexuelles, il est courant de perdre confiance en soi, de perdre certains de ses repères. Du coup, ces personnes se retrouvent souvent plus dépendantes des autres, et il n’est donc pas rare que plus tard, quelqu’un de mal intentionné profite de cette situation de vulnérabilité", éclaire le dossier des FPS dédié aux violences sexuelles.
C’était comme si j’étais une folle hystérique qui ne sait pas se contenir avec son mec, à qui on voulait filer des pilules plutôt que de se demander dans quelle mesure l’environnement influait sur cet état
Cette réalité de violences sociétales et sociales est loin d’être dans le prisme de compréhension de tous les soignant·es. "Les violences conjugales vont souvent être exprimées auprès des médecins généralistes qui vont assez rapidement prescrire des anti-dépresseurs sans plus d’accompagnements. La formation des médecins à ces questions est complètement insuffisante", explique Roxanne Chinikar, psychologue et membre du réseau Psyfem.
Les violences patriarcales détraquent le cerveau et le corps
En réalisant cette enquête, nous avons reçu plusieurs témoignages dont celui de Marie* : "J’ai eu dans le passé des relations avec des psychiatres qui se sont super mal déroulées et qui ont été des violences ajoutées à des violences que je vivais : une relation abusive avec quelqu’un qui exerçait des violences psychologiques sur moi. J’allais très mal, j’étais aux USA, on m’a posé le diagnostic de borderline."
Les médecins n’ont pas fait le lien entre le contexte dans lequel Marie évoluait, ce qu’elle subissait et ses troubles. "On m’a dit tu as un problème, ça vient de toi et pas c’est lié à ton contexte à ce que tu subis en fait. C’était comme si j’étais une folle hystérique qui ne sait pas se contenir avec son mec, à qui on voulait filer des pilules plutôt que de se demander dans quelle mesure l’environnement influait sur cet état." Après avoir quitté cet homme violent, la jeune femme est rentrée en Belgique et a pris du recul pour "fonctionner de manière plus posée".
"Sans médicament, mais grâce au yoga qui m’a sauvé la vie, mais aussi beaucoup de sommeil, la méditation quotidienne, la thérapie, une alimentation saine essentiellement à base de plantes que je cuisine moi-même. Si je sors un peu trop souvent ou un peu trop longtemps de cette routine, je sens la machine qui s'enraye et je vois que c’est plus difficile de faire face aux défis du quotidien. Dans mon cas précis, et avec ma philosophie de vie, vivre sans médicament, c’est un choix possible, conscient et informé que je fais, mais ce n’est pour autant possible pour tout le monde", confie-t-elle.
Les femmes risquent de subir un véritable épuisement moral et psychique
"J’ai une envie profonde de guérir et de prendre soin de moi à travers l’exploration totale de mon être, "mind body and soul" et de réhabiliter mon statut de victime, sans culpabilité, et mon vécu traumatique face à des violences psychologiques qui ont duré́ plusieurs années. On ne guérit pas vraiment d’être borderline, on apprend à vivre avec, et les moments de down continuent d’être là, il faut l’accepter. Les violences patriarcales détraquent le cerveau et le corps, les traumatismes comme les violences sexuelles dans l’enfance se manifestent de manière physiologiques et psychiques, je trouve ça dingue que ce ne soit pas d’avantage mis en relief." Marie conseille par ailleurs la lecture du livre du psychiatre Bessel van der Kolk "The body keeps the score".
L’anorexie, une maladie sociale
Comme le rappelle le magazine Femmes Plurielles dans un dossier thématique : "Les troubles du comportement alimentaire toucheraient en majorité des filles/femmes, à 90% pour l’anorexie, et ce dès la préadolescence. Si une partie des hommes fait sûrement l’objet d’un manque de reconnaissance diagnostique, les troubles s’exprimant de manière différente, il est tout de même indéniable que les femmes (et personnes LGBT+ en général) sont davantage concernées par les troubles du comportement alimentaire."
A nouveau différentes formes de violences expliquent ce phénomène : l’injonction à ne pas prendre trop de place, le refoulement des traumatismes, l’objectification du corps des femmes et évidement les diktats.
Les violences patriarcales détraquent le cerveau et le corps, les traumatismes comme les violences sexuelles dans l’enfance se manifestent de manière physiologiques et psychiques, je trouve ça dingue que ce ne soit pas d’avantage mis en relief
"Les troubles du comportement alimentaire sont aussi une conséquence fréquente d’un syndrome de stress post-traumatique. Il est important de comprendre que la focalisation sur le corps ou sur la nourriture est souvent en premier lieu une solution trouvée par la jeune fille pour répondre à quelque chose qui pose problème : il faut alors trouver quel est le problème, avant de diriger la personne souffrante vers de meilleures solutions. Soulignons enfin que la précarité économique et le manque d’éducation alimentaire adaptée sont à la base de la "malbouffe", qui peut entraîner dépendances alimentaires, hyperphagies, risques d’obésité et de diabète", indique l’étude.
Des violences intégrées sont parfois extrêmement compliquées à aborder. Solange* est cheffe infirmière dans une institution psychiatrique dans un service de TCA, elle témoigne : "L'existence de maltraitances ou d'abus peut rester enfuie sous une chape de silence et donc non prise en compte chez bon nombre de patientes. Certaines ne parviennent pas à les aborder, parfois faute d'interlocuteur sensible à leur histoire traumatique." Mais elle indique que par ailleurs que de plus en plus de formations au trauma sont proposées pour le personnel soignant.
Charge émotionnelle
En plus de subir les violences, les femmes assurent le care et la charge émotionnelle de la société. Dans un excellent papier publié dans la revue AOC, la philosophe Camille Froidevaux-Metterie explique que l’épidémie de Covid-19 est l’occasion de mettre en évidence le "travail émotionnel" effectué au quotidien par les femmes, que ce soit professionnellement ou dans la sphère privée.
Elle revient également sur les conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale de toutes celles qui supportent le poids des émotions. "Ce sont elles qui soutiennent, qui rassurent, qui consolent et qui caressent. Il ne s’agit pas d’essentialiser, car il va de soi que les hommes sont tout autant capables de sollicitude et de tendresse mais, pour des raisons qui ont trait à des siècles de construction sociale des stéréotypes de genre, c’est bien aux femmes que l’on demande en priorité (et en urgence) d’appliquer la "règle des sentiment " au sein de leur foyer. Ce sont donc elles plus que les autres qui risquent de subir un véritable épuisement moral et psychique", peut-on lire dans l’article.
"Les mères célibataires malades ont des doubles ou triples peines : précarité, manque de soutien pour leurs enfants pendant l'hospitalisation…", rappelle Solange.
Quid de celles qui font du care leur métier et qui ont été particulièrement mises à mal pendant cette crise sanitaire ? Rappelons que, selon Statbel en 2019, 98% des aides-soignant.e.s à domicile, 91,8% du personnel infirmier (niveau intermédiaire), 86,6% des cadres infirmier.e.s et 91,1% des aides-soignant.e.s en institution étaient des femmes.)
Le care, c’est aussi elles, et les souffrance sont immenses et silencieuses. Le risque de burnout du personnel infirmier est aussi directement lié à la pandémie covid-19 et à leurs conditions de travail. Solange n'a d'ailleurs pas résisté à la première vague de Covid et à un métier exigeant qui devait s'exercer dans des conditions épuisantes. Elle se rétablit d'un burn-out.
Face à ses nombreux constats, quelles sont les solutions ? Dans le troisième et dernier article de cette série, nous aborderons les approches féministes pour envisager la santé mentale sous un autre regard. A la semaine prochaine !
*Les prénoms ont été modifiés.