"Le concept même d’écosystème nous invite à nous focaliser sur les liens, les interactions entre les éléments d’un système et pas seulement sur les éléments isolés. Il est alors possible de voir le monde d’une tout autre manière, plus unitaire, moins fragmentée. Les écoféministes vont se réapproprier cette capacité à lier, cette sensibilité au lien traditionnellement associée aux femmes."
Attention aux raccourcis, ça ne veut pas dire qu’en mettant des femmes au pouvoir, on réglera la question. Ni qu’elles sont par essence tournées vers le soin aux autres. C’est plutôt la façon dont nos cultures ont défini les rôles féminins. On apprend davantage aux petites filles à s’occuper des autres plutôt qu’à être costaude par exemple. "Historiquement, notre culture occidentale a associé (et dévalorisé) les qualités relationnelles, l’affect, le sentiment et la nature au féminin", détaille Charlotte Luyckx.
La nature n’est pas juste un décor
"On peut considérer qu’une des racines de la crise écologique est l’exacerbation de la logique assignée au masculin : celle de la coupure avec la nature, de la mise à distance, du découpage rationnel de la réalité, de l’efficacité et de l’objectivation", continue la philosophe.
Comme si notre monde n’était qu’un ensemble de ressources à notre disposition, une "chose utile". Pour les écoféministes, mais aussi pour les penseurs de l’écologie profonde, cette instrumentalisation est une des causes de notre perte.
Encore une fois, il ne s’agit pas ici de dire que tous les hommes se fichent des écosystèmes. Mais plutôt de constater que l’exploitation de la nature se fait dans une logique que nos sociétés définissent comme "masculine", plus viriliste basée sur la loi du plus fort.
"En réalité, la nature n’est pas un objet à l’extérieur de nous, réagit Charlotte Luyckx. Elle n’est pas un décor pour nos activités humaines. Nous devons renouer des liens avec une nature vivante et prendre conscience de sa valeur pour pouvoir adéquatement en 'prendre soin'".
Cette instrumentalisation de la nature est alors vue comme le reflet d’une triple domination : celle de l’humain sur la nature, de l’homme sur la femme et celle du nord sur le sud. Aborder la COP26 d’un point de vue écoféministe, c’est donc refuser de séparer les différentes formes de dominations, c’est considérer qu’en refusant les dominations entre les genres ou les sociétés, on refuse aussi la domination de l’humain sur la nature. L’idée est de les aborder ensemble, et donc changer profondément de regard.
Une vision associée au féminin mais plein d’hommes ont cette capacité
Et cela passe, notamment par une valorisation du "care", de tous ces soins dont nous bénéficions, de ces tâches que nous transférons à d’autres, parfois à l’autre bout du monde, ainsi que des services rendus par la nature et qui rendent possible notre existence. "L’humain est un être marqué par l’interdépendance et par la vulnérabilité, malgré l’illusion d’autonomie et de toute puissance dont se targuent les puissants. Il conviendrait de placer cette vision au centre des politiques notamment climatiques", explique la philosophe néo-louvaniste.
"Cette éthique du 'care' part du postulat que si on remet le soin aux autres au centre plutôt que le contrôle, la gouvernance par les nombres, les objectifs quantifiés, on va pouvoir gérer nos rapports à l’environnement de manière différente", ajoute Pascale Vielle. Pour elle, il est important de partir de l’expérience des femmes sur le terrain pour penser les politiques.
Et de conclure : "L’écoféminisme, c’est ça, c’est se reconnecter à une manière plus sensible de regarder la réalité, une vision associée au féminin mais plein d’hommes ont cette capacité." Et l’auront encore davantage si on les autorise à avoir cette sensibilité.