Climat

Genre et climat, même combat ? Comment l’éthique du "care" et l’écoféminisme peuvent contribuer à la lutte contre le changement climatique

Prendre soin. Ce "care" pourrait nous aider à lutter contre les changements climatiques. C’est en tout cas ce que soutiennent les courants écoféministes.

© Getty Images

Par Marie-Laure Mathot

Au programme de la COP26 ce mardi 9 novembre : "Faire progresser l’égalité de genre et la pleine et entière participation des femmes et des filles dans l’action climatique." Genre et climat. Les deux seraient donc liés.

Greta Thunberg, LE visage de la lutte contre les changements climatiques.

 

La première chose qui vient en tête, ce sont les visages de la lutte. Les plus emblématiques sont féminins. À commencer par Greta Thunberg. La Suédoise aujourd’hui âgée de 18 ans a réussi à se faire une place au sein des débats et à interpeller les politiques de manière percutante et accessible à tous. "Comment osez-vous ?", avait-elle lancé à l’ONU en 2019 le visage crispé rouge de colère. Ou encore "Il n’y a pas de planète B. Il n’y a pas de planète bla. Bla bla bla", dit-elle en dénonçant 30 années de discussions qui ne mènent à rien de concret.

Adélaïde Charlier à gauche et Anuna De Wever à droite, les deux activistes incarnent la lutte contre les changements climatiques en Belgique.

 

 

Tout aussi jeunes mais plus proches de nous : Anuna De Wever et Adélaïde Charlier. Les deux activistes ont pris la tête des cortèges Youth for Climate dans les rues des différentes villes de Belgique depuis 2019. Des visages féminins ? Pas tout à fait puisque la Flamande se décrit comme non-binaire mais accepte que l’on parle d’elle au féminin.

Vandana Shiva milite depuis de nombreuses années pour une agriculture qui respecte les écosystèmes.

 

Plus âgée, Vandana Shiva porte son message depuis de nombreuses années. Cette Indienne a réussi à rassembler dans son sillon les porteurs d’une agriculture plus respectueuse des écosystèmes. Elle dirige également la Fondation de la recherche pour la science, les technologies et les ressources naturelles (Research Foundation for Science, Technology and Natural Resource Policy).

Si la lutte contre le changement climatique a également d’autres visages (féminins comme masculins), ceux cités ci-dessus sont particulièrement emblématiques. Mais aucun d’entre eux ne fait partie des pouvoirs décisionnels. Et pour cause, si l’écart tend à se résorber, les femmes restent minoritaires dans les assemblées.

33% de présence dans les organes décisionnels

Des rapports publiés en octobre montrent d’ailleurs que les hommes sont encore surreprésentés dans les groupes de décisions de la COP26. "Les femmes déléguées du gouvernement occupent, en moyenne, 33% de tous les postes des corps constitués en 2021. Cela était aussi le cas en 2020 et 2019. Cela dénote une absence de progrès significatif en matière de représentation féminine au sein des corps constitués", explique le secrétariat pour le changement climatique des Nations-Unies sur son site internet.

Et quand bien même chaque sexe est présent à égalité dans certaines délégations, ce sont les hommes qui prennent davantage la parole. Parole qu’ils gardent pendant les trois quarts du temps.

Quand il y a autant d’hommes que de femmes présents dans les discussions, les premiers parlent les 3/4 du temps.
Quand il y a autant d’hommes que de femmes présents dans les discussions, les premiers parlent les 3/4 du temps. © unfccc.int

"Donc, même quand les femmes sont présentes, elles parlent moins." Alba Saray Pérez Teràn est chargée de plaidoyer climat chez Oxfam. Elle est aussi membre de la coalition climat et est présente à Glasgow pour la COP26. "Elles se trouvent aussi dans des postes qui n’ont pas beaucoup d’influence. Ça veut dire que les femmes n’ont pas vraiment la possibilité de participer à la vie politique et que l’on rate une certaine perspective dans les décisions politiques, notamment en termes d’inégalités basées sur le genre."

Les femmes davantage touchées par les effets du changement climatique

Pourtant, différents rapports montrent que les femmes sont les premières touchées par les effets du changement climatique. Dans l’hémisphère sud d’abord. "Dans les pays africains, la plupart des personnes qui travaillent dans l’agriculture sont des femmes, explique la chargée de plaidoyer. En cas de changement climatique, leurs revenus sont donc impactés plus rapidement. Certaines se tournent alors vers la prostitution."

En cas de sécheresse, ces femmes qui travaillent aux champs sans machines agricoles sont également plus impactées. "Elles sont davantage exposées au soleil. Elles iront donc aux champs plus tôt ou plus tard, ce qui allonge la journée de travail."

Qui dit changement climatique dit également davantage de catastrophes naturelles. Et là aussi, si les hommes sont impactés, les femmes le sont encore davantage, explique la chargée de plaidoyer.

"Quand il y a des catastrophes dues au changement climatique, il y a parfois trois fois plus de violences basées sur le genre. Concrètement, ce sont des violences physiques, psychologiques mais aussi la charge de travail basée sur le soin qui augmente. On constate aussi que s’il manque des ressources alimentaires, ce sont les femmes qui se privent en premier lieu pour que d’autres membres du foyer se nourrissent."

Les catastrophes climatiques poussent également à changer de pays or les femmes sont rendues particulièrement vulnérables sur la route de la migration. "Elles risquent davantage de se faire violer", précise Alba Saray Pérez Teràn.

Un plus grand risque de précarité

"Ce sont des exemples choquants, extrêmes mais il existe aussi des violences plus systémiques", continue la chargée de plaidoyer. C’est le cas chez nous, dans les sociétés occidentales, notamment sur la question de la précarité énergétique.

La transition énergétique risque en effet de faire encore augmenter les prix de l’électricité ce qui risque d’impacter davantage les ménages les plus pauvres. Or, chez nous, les ménages avec un plus grand risque de précarité sont les familles monoparentales qui sont pour la plupart des mères seules avec enfants. Et elles sont nombreuses : en Wallonie, elles représentent 12% de la totalité des ménages selon les derniers chiffres de l’Iweps.

Ce sont les familles monoparentales, en grande majorité des mamans seules, qui ont le plus grand risque d’être pauvre, d’être touchés par la précarité énergétique.
Ce sont les familles monoparentales, en grande majorité des mamans seules, qui ont le plus grand risque d’être pauvre, d’être touchés par la précarité énergétique. © Iweps

"C’est d’autant plus important en Belgique car nos politiques pour lutter contre le réchauffement climatique vont être axées sur l’énergie car la plupart des émissions viennent de cette consommation", ajoute Alba Saray Pérez Teràn.

Pas le temps de discuter, il faut aller chercher les enfants à l’école

Mais pourquoi les femmes participent-elles moins au processus décisionnel alors qu’elles sont les plus impactées ? Deux raisons selon la chargée de plaidoyer : le plafond de verre et les tâches auxquelles elles sont traditionnellement assignées.

"D’un côté, les barrières pour arriver à certains postes de pouvoir existent encore. Il ne suffit pas d’être sur les listes et élue. Il y a aussi le mécanisme interne des partis. Parfois il faut avoir fait ses preuves sur certaines thématiques mais on ne t’a pas donné l’opportunité pour cela. Les femmes sont aussi davantage exposées aux insultes lorsqu’elles osent prendre la parole. On l’a vu avec Greta Thunberg. On l’a traitée de folle, c’est un ancien mécanisme", illustre Alba Saray Pérez Teràn.

"D’un autre côté, les personnes nées filles sont davantage éduquées à prendre soin des autres, de la communauté et ce qui est autour de soi. Elles apprennent beaucoup moins les codes de compétitivité présents dans le monde politique", continue la chargée de plaidoyer. Ce sont en effet encore majoritairement les femmes, partout dans le monde, qui se chargent des tâches de soin dans les foyers. En Belgique, 42,7% soit près de la moitié des travailleuses le sont à temps partiel contre seulement 12,6% des travailleurs. Pour un quart d’entre elles, ce sont les soins aux enfants qui constituent la principale raison de travail à temps partiel.

Autrement dit, le temps consacré à s’occuper des enfants, de la famille mais aussi de l’environnement, de la maison empêche les femmes d’être également présente dans des postes de pouvoir.

Et pourtant, c’est ce soin, ce "care", qui pourrait nous aider à lutter contre les changements climatiques. C’est en tout cas ce que soutiennent certains courants écoféministes.

"Soigner" son environnement

"L’éthique du care, c’est l’idée de porter attention, prendre soin d’autrui, de la planète", explique Pascale Vielle, professeure à l’UCLouvain. Elle s’intéresse aux liens entre genre et enjeux climatiques. Nous la rencontrons à l’occasion d’un colloque à l’UCLouvain avec comme invitée d’honneur, Joan Tronto, une politologue américaine. Pour la féministe invitée, la logique capitaliste privilégie les désirs aux besoins, et détruit les écosystèmes. L’Américaine reste nuancée : elle ne s’oppose pas au "marché libre pour allouer certaines ressources ".

Nous faisons partie d’un monde vulnérable

Pascale Vielle précise cette pensée. "On est dans un monde vulnérable caractérisé par notre interdépendance. Si l’un des maillons cède, on est tous impliqués et tous concernés." C’est le principe des écosystèmes.

"L’écologie est une science de liens, d’interdépendance", complète Charlotte Luyckx. Elle est chargée de cours invitée à l’UCLouvain et chercheuse indépendante. Philosophe de formation, elle s’intéresse aux enjeux philosophiques de la crise écologique, ce qui l’a menée à s’intéresser à l’écoféminisme.

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"Le concept même d’écosystème nous invite à nous focaliser sur les liens, les interactions entre les éléments d’un système et pas seulement sur les éléments isolés. Il est alors possible de voir le monde d’une tout autre manière, plus unitaire, moins fragmentée. Les écoféministes vont se réapproprier cette capacité à lier, cette sensibilité au lien traditionnellement associée aux femmes."

Attention aux raccourcis, ça ne veut pas dire qu’en mettant des femmes au pouvoir, on réglera la question. Ni qu’elles sont par essence tournées vers le soin aux autres. C’est plutôt la façon dont nos cultures ont défini les rôles féminins. On apprend davantage aux petites filles à s’occuper des autres plutôt qu’à être costaude par exemple. "Historiquement, notre culture occidentale a associé (et dévalorisé) les qualités relationnelles, l’affect, le sentiment et la nature au féminin", détaille Charlotte Luyckx.

La nature n’est pas juste un décor

"On peut considérer qu’une des racines de la crise écologique est l’exacerbation de la logique assignée au masculin : celle de la coupure avec la nature, de la mise à distance, du découpage rationnel de la réalité, de l’efficacité et de l’objectivation", continue la philosophe.

Comme si notre monde n’était qu’un ensemble de ressources à notre disposition, une "chose utile". Pour les écoféministes, mais aussi pour les penseurs de l’écologie profonde, cette instrumentalisation est une des causes de notre perte.

Encore une fois, il ne s’agit pas ici de dire que tous les hommes se fichent des écosystèmes. Mais plutôt de constater que l’exploitation de la nature se fait dans une logique que nos sociétés définissent comme "masculine", plus viriliste basée sur la loi du plus fort.

"En réalité, la nature n’est pas un objet à l’extérieur de nous, réagit Charlotte Luyckx. Elle n’est pas un décor pour nos activités humaines. Nous devons renouer des liens avec une nature vivante et prendre conscience de sa valeur pour pouvoir adéquatement en 'prendre soin'".

Cette instrumentalisation de la nature est alors vue comme le reflet d’une triple domination : celle de l’humain sur la nature, de l’homme sur la femme et celle du nord sur le sud. Aborder la COP26 d’un point de vue écoféministe, c’est donc refuser de séparer les différentes formes de dominations, c’est considérer qu’en refusant les dominations entre les genres ou les sociétés, on refuse aussi la domination de l’humain sur la nature. L’idée est de les aborder ensemble, et donc changer profondément de regard.

Une vision associée au féminin mais plein d’hommes ont cette capacité

Et cela passe, notamment par une valorisation du "care", de tous ces soins dont nous bénéficions, de ces tâches que nous transférons à d’autres, parfois à l’autre bout du monde, ainsi que des services rendus par la nature et qui rendent possible notre existence. "L’humain est un être marqué par l’interdépendance et par la vulnérabilité, malgré l’illusion d’autonomie et de toute puissance dont se targuent les puissants. Il conviendrait de placer cette vision au centre des politiques notamment climatiques", explique la philosophe néo-louvaniste.

"Cette éthique du 'care' part du postulat que si on remet le soin aux autres au centre plutôt que le contrôle, la gouvernance par les nombres, les objectifs quantifiés, on va pouvoir gérer nos rapports à l’environnement de manière différente", ajoute Pascale Vielle. Pour elle, il est important de partir de l’expérience des femmes sur le terrain pour penser les politiques.

Et de conclure : "L’écoféminisme, c’est ça, c’est se reconnecter à une manière plus sensible de regarder la réalité, une vision associée au féminin mais plein d’hommes ont cette capacité." Et l’auront encore davantage si on les autorise à avoir cette sensibilité.

Images du 20 août 2020 :

Berlin: Adelaïde Charlier, Anuna De Wever et Greta Thunberg rencontrent Angela Merkel ce 20 août

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