Félicien Kabuga, l’un des principaux accusés du génocide rwandais encore en fuite, a été arrêté près de Paris selon le parquet général français.
L'homme d'affaires rwandais Félicien Kabuga, considéré comme le financier du génocide de 1994 et activement recherché par la justice internationale depuis vingt-cinq ans, a été arrêté samedi matin en région parisienne, annonce le parquet général de Paris dans un communiqué.
"Âgé de 84 ans, il résidait sous une fausse identité dans un appartement d'Asnières-sur-Seine, grâce à une mécanique bien rodée et avec la complicité de ses enfants", a précisé le parquet.
A l'issue d'une procédure judiciaire devant la cour d'appel de Paris, Félicien Kabuga devrait être remis au Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux à La Haye, pour y être jugé pour crimes contre l'humanité, a-t-il ajouté.
Son arrestation montre que "les responsables de génocide peuvent être contraints de rendre des comptes, même vingt-six ans après leurs crimes", a commenté le procureur du Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI), Serge Brammertz, dans un communiqué.
Quand on a les moyens...
"Il s’est manifestement bien caché.", explique Filip Reyntjens, professeur de droit et de sciences politiques à l'université d'Anvers. "On a pensé pendant longtemps qu’il était au Kenya. Il est fort probable que dans la deuxième partie des années 90’s, il ait pu bénéficier de protection via certaines personnes dans la monde politique kényan. Ensuite, il a vraiment disparu des radars. Il est extrêmement riche avec d’énormes moyens. Cela explique donc en partie pourquoi il a pu se cacher si longtemps. Quand on a beaucoup d’argent, on peut acheter la complicité et la clandestinité." Ce qui l’étonne, par contre, c’est d’avoir été arrêté à Paris. "Il n’avait encore jamais été cité en France. Ce serait évidemment intéressant de connaître le tuyau – comprenez le renseignement – utilisé pour identifier, le localiser et l’arrêter Mr. Kabuga."
Qui est Félicien Kabuga ?
M. Kabuga, qui résidait à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) sous une fausse identité, est notamment accusé d'avoir créé les milices Interahamwe, principaux bras armés du génocide de 1994 qui fit 800.000 morts selon l'ONU. Il est visé par un mandat d'arrêt du Mécanisme international, la structure chargée d'achever les travaux des tribunaux internationaux pour le Rwanda (TPIR).
En mars 2019, Le Monde, faisait le portrait de Félicien Kabuga en le décriavnt comme "l’un des fugitifs les plus recherchés de la planète".
Dans la liste des fiches signalétiques diffusées par Interpol, sa "notice rouge" le présente comme étant né le 19 juillet 1935. Plutôt petit (1,67 m), cheveux courts, yeux marron, il parle français, allemand, anglais et, bien sûr, sa langue maternelle, le kinyarwanda. Ses crimes supposés, selon cette même fiche ? "Génocide, complicité, incitation et complot en vue de commettre un génocide, crime contre l’humanité".
Félicien Kabuga est le dernier "gros poisson" du génocide des Tutsi que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) n’avait pas réussi à arrêter : voilà vingt-six ans qu’il échappait à la justice internationale et aux Américains, prêts à offrir 5 millions de dollars (4,4 millions d’euros) pour le moindre renseignement susceptible de conduire à sa capture.
Des liens avec le président Habyarimana
En 1994, Félicien Kabuga dont une fille était marié à un fils du président rwandais Juvénal Habyarimana appartenait au cercle restreint de ce dernier, dont l'assassinat, le 6 avril 1994, allait déclencher le génocide.
Il présidait la Radio télévision libre des mille-collines (RTLM), qui diffusa des appels aux meurtres des Tutsi, et le Fonds de défense nationale (FDN) qui collectait "des fonds" destinés à financer la logistique et les armes des miliciens hutu Interahamwe, selon l'acte d'accusation du TPIR.
Il est également accusé d'avoir "ordonné aux employés de sa société (...) d'importer un nombre impressionnant de machettes au Rwanda en 1993", avant de les faire distribuer en avril 1994 aux Interahamwe.
Réfugié en Suisse en juillet 1994 avant d'être expulsé, Félicien Kabuga avait ensuite temporairement rejoint Kinshasa. Il avait été signalé en juillet 1997 à Nairobi, où il avait échappé à une opération destinée à l'arrêter, puis à une autre en 2003, selon l'ONG spécialisée TRIAL.
Il doit désormais être rapidement présenté au parquet de Nanterre en vue de son incarcération puis au parquet général de Paris dans les prochains jours.
S'en suivra une procédure d'extradition devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, qui décidera de sa remise au Mécanisme international à la Haye pour qu'il y soit jugé.