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Gaston Lagaffe, l’anti-héros qui a plus d’une fois échappé à son créateur

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Par Margot Dubuisson via

Un nouvel album de Gaston Lagaffe est prévu pour cet automne. Une annonce qui a de quoi effrayer les fans du héros né sous les doigts d’André Franquin. Et qui pose la question suivante : alors que son créateur a tout fait pour le protéger, l’anti-héros gaffeur ne lui aurait-il finalement pas un peu échappé ?

En plein Festival d’Angoulême, la maison d’édition Dupuis qui possède les droits de Gaston Lagaffe a annoncé qu’un nouvel album sortirait en octobre 2022. Son dessinateur, André Franquin, nous a pourtant quittés il y a plus de 25 ans. Cette lourde tâche a fatalement dû être confiée à un autre bédéiste. C’est Marc Delafontaine (Delaf), le dessinateur des Nombrils, qui va relever le défi.

Ce dessinateur a beau présenter un curriculum tout à fait honorable, l’annonce a fait l’effet d’une bombe. Cette reprise du personnage par un autre dessinateur que Franquin n’est pas pour ravir les fans de Lagaffe ni la famille de Franquin d’ailleurs, qui s’y oppose ouvertement.

Ça n’est pourtant pas la première fois que les traits du personnage sont repris par un autre auteur que son créateur. 

Du merchandising à gogo

Lorsque le personnage de Gaston Lagaffe a commencé à gagner en popularité, les publicités reprenant le personnage se sont rapidement multipliées. C’est ainsi que l’antihéros est apparu dans des petites bandes dessinées destinées à promouvoir la limonade Orange Piedboeuf, les piles Philips, l’appareil photo Kodak, les magasins Printemps, le Novotel, etc.

Outre des marques cherchant à surfer sur la popularité du personnage, on ne compte plus le nombre d’objets du quotidien sur lesquels a été apposée la tête du gaffeur : cartable, pot de moutarde, calendriers, bateaux gonflables, accessoires de papeterie etc. Cette utilisation du héros à des fins de merchandising ne dérangeait pas tellement son créateur. Ainsi, Franquait expliquait dans un entretien mené par Marc Carlot en 1993 que pour faire plaisir à l’éditeur ayant popularisé un personnage, "et aussi parfois pour se faire plaisir dans certains cas, on est tenté d’accepter" que la tête de ce dernier finisse sur des accessoires du quotidien ou dans des publicités.

Franquin opposé aux adaptations

Si la publicité ne lui posait pas de réel problème, il en va autrement des adaptations sur petit et grand écran. De son vivant, Franquin expliquait déjà que pour lui, le fait de porter un personnage de BD au cinéma ou la télévision pouvait mener à des catastrophes. Il dénonçait d’ailleurs cette façon qu’avaient les studios américains de créer des films qui manquaient de moyens, de motivation, et qui ne visaient qu’une chose : la rentabilité maximale au détriment de la qualité.

Lors d’une interview menée par Numa Sadoul en 1985, Franquin avouait clairement que voir son œuvre portée à l’écran n’était pas quelque chose d’alléchant pour lui. "Je pourrais mourir sans avoir vu ça, je n’en concevrais aucun regret. J’ai une tendance à remettre en question les personnages que j’ai créés et je ne suis pas convaincu qu’ils soient faits pour le dessin animé", disait le dessinateur.

Une série animée et deux films plus tard…

Et pourtant, il y en a eu, des adaptations de Gaston… Alors que Franquin était encore en vie, Gaston Lagaffe a eu droit à un dessin animé de "rien du tout", comme son créateur l’avait qualifié. Les éditions Dupuis, alors propriétaire d’un studio appelé T.V.A., voulaient faire de l’animation avec les personnages du Journal Spirou. Ils ont fait un essai avec Gaston, mais Franquin a refusé que cela aille plus loin, car pour lui, ceux qui se cachaient derrière cette adaptation "n’avaient rien compris au personnage de Gaston".

Bien plus tard, alors que Franquin était décédé, une série animée basée sur les gags du personnage voit le jour. En tout, 78 épisodes de 7 minutes chacun sortent du studio Normaal et sont diffusés sur France 3 dès la fin de l’année 2009.

Parallèlement à la télévision, le monde du cinéma veut, lui aussi, mettre le grappin sur les gaffes de Gaston. La première adaptation du personnage sur grand écran est un film de Paul Boujenah, intitulé "Fais gaffe à la gaffe". Une première adaptation pour laquelle il a fallu fortement insister auprès de son créateur. En effet, ce dernier ne croyait pas à ce genre d’adaptation au cinéma. "Je ne crois pas à ce genre de transposition en images réelles d’un monde de bandes dessinées", expliquait-il à Numa Sadoul durant l’interview réalisée en 1985. "Je crois qu’il y a dans un dessin des choses qu’on ne pourra jamais retrouver dans une photo de cinéma".

Autre argument avancé par le papa de Gaston : le côté caricatural du personnage. Si pour lui, Superman ou même les Schtroumpfs de son ami Peyo pouvaient sans problème faire l’objet d’une adaptation qui tienne la route, celle de Gaston Lagaffe était d’emblée rendue compliquée par le personnage en lui-même : un anti-héros qui enchaîne les gaffes, ça ne se transpose pas facilement sur grand écran.

Alors quand on lui propose ce film, Franquin refuse d’y prendre part et la préparation se fait sans lui. Il est d’accord avec l’idée qu’on adapte éventuellement des gags présents dans les planches de Gaston, mais concernant le personnage, il campe sur ses positions et continue à refuser. Quelques mois plus tard, "Fais gaffe à la gaffe" sort au cinéma, malgré le véto imposé par Franquin : celui de ne reprendre aucun des noms présents dans ses albums, y compris celui du "héros".

Quelques années après la sortie du film, il confiait que les producteurs et auteurs du film "avaient tout intérêt à se rapprocher du personnage", ce qu’ils ont d’ailleurs fait, au point que l’affiche elle-même reprenne tout des codes vestimentaires du gaffeur et même, "en douce", son nom, qui est présent dans le titre. Sorti le 1er avril 1981, le film n’a pas franchement rencontré son public, ce que Franquin avait anticipé. Pour lui, le genre comique était l’un des plus difficiles à transcrire au cinéma : "le comique ne souffre pas la demi-mesure : il faut le réussir ou changer de genre ", expliquait l’artiste.

Franquin a d’ailleurs confié après la sortie du film qu’il se rendait compte qu’il avait eu une attitude un peu hypocrite en essayant de ne pas mêler son personnage à un film qu’il anticipait comme mauvais. Car in fine, le lien avec le personnage de Lagaffe était évident – le nom de Franquin apparaissait même au générique – et a forcément souffert de la comparaison avec la BD.

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En 2018, est sortie une nouvelle adaptation cinématographique, considérée comme tout aussi ratée que la première. Le film, dont le titre "Gaston Lagaffe" ne laissait cette fois planer aucun doute avec le personnage de Franquin, avait fortement déplu à l’entourage du dessinateur, et globalement déçu les critiques.

On l’aura compris, les adaptations sont nombreuses et ont été des navets absolus. L’arrivée d’un nouvel album de Gaston Lagaffe signé par un autre dessinateur que Franquin laisse tout aussi pantois. N’aurait-on pas pu faire plus pour protéger cette œuvre et ainsi suivre la volonté de son créateur ?

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