Gamal Abdel Nasser et Assouan : du rêve au désastre

Alors qu’il était Premier ministre de Mahommed Naguib, premier Président égyptien, Nasser va avoir l’idée de ne plus dépendre des crues du Nil pour fertiliser le pays, l’eau devra être disponible toute l’année : c’est ainsi que naît le projet du grand barrage d’Assouan, à 6 km du premier, construit par les Anglais en 1902 pour réguler les crues du fleuve.

Pour le construire et le financer, l’homme d’État se tourne vers les États-Unis et la Grande-Bretagne… qui finiront par refuser. Pas de problème : les taxes de passage du Canal de Suez y pourvoiront, il suffit à Nasser de nationaliser la Société du Canal, déclenchant fin 1956, un conflit dont les retombées géopolitiques se font encore sentir aujourd’hui.

La construction du grand barrage d’Assouan débute en 1960 et causera la mort de 220 ouvriers. L’édifice sera haut de 40 m, long de 3800 m et large, à sa base, de près d’un kilomètre. La pharaonique construction donnera naissance au lac Nasser, retenue de près de 43 millions de mètres cubes d’eau. Quant à la centrale électrique du barrage, elle générera 2,1 gigawatts…

Avec son inauguration le 15 janvier 1971, l’Égypte dispose désormais d’eau à profusion et d’électricité. Le barrage sert aussi la renommée du régime nassérien, renforçant le pouvoir du Raïs et favorisant une certaine assise de l’URSS dans la région, le pays des Nikita Khrouchtchev, Brejnev et autre Kossyguine ayant financé un tiers des frais de construction, sans oublier les nombreux spécialistes délégués sur place…

La mise en eau du lac Nasser a entraîné le déplacement de la population nubienne qui vivait dans les 6500 km2 de sa surface. Devenu Président de la République, Nasser a contraint ces hommes et ces femmes à se fixer sur des terres plus éloignées, souvent désertiques et sans accès aux rives du Nil… Ce qui a mené à un véritable exode de nombre de Nubiens qui, refusant la proposition de l’État, sont aujourd’hui disséminés à travers le monde…

Le bouleversement des crues du Nil a mené au déséquilibrage de l’apport de limons, tandis que l’accroissement du débit du fleuve entraîne l’inexorable érosion de ses berges. Le tout a conduit le delta du Nil à se modifier géologiquement, par ailleurs, les terres qui lui sont proches ont vu leur salinité augmenter. Quant à la nappe phréatique, elle a tout simplement remonté !

Les limons étant moins nombreux dans le Nil, les fermiers se sont vus obligés de recourir aux engrais chimiques… En même temps, le fleuve s’évapore plus rapidement du fait de l’augmentation des surfaces d’irrigation. Le phénomène qui, au niveau de l’embouchure du canal de Suez, permettait autrefois à la faune de ne pas pénétrer en Méditerranée et en mer Rouge est amoindri, permettant le passage d’espèces invasives…

Le lac Nasser a englouti bien des sites historiques de la Nubie. Évidemment, les plus importants ont été déplacés par une équipe internationale d’archéologues et d’ingénieurs, sous la direction de l’UNESCO. Les deux temples d’Abou Simbel, construits par Ramsès II à sa gloire et celle de son épouse, Néfertari, ont été découpés et reconstitués de 1964 à 1968, à proximité immédiate de leur lieu originel, dans leur exacte orientation, permettant de perpétuer l’éclairage des lieux par Râ, dieu égyptien du soleil.

Certes, les temples de l’île de Philae ont été déplacés sur l’île d’Aguilkia, rebaptisée Philae… Pour autant, la forteresse de Bouhen, qui avait connu son apogée à partir du deuxième millénaire avant J.-C., constituait l’un des plus beaux exemples de fortification égyptienne antique, avec doubles murailles et douves. Elle est définitivement engloutie, comme la forteresse et la ville antique de Mirgissa et tant d’autres sites, témoins des temps anciens.

S’ils ont donné naissance à quelques avantages non négligeables pour l’Égypte, le grand barrage d’Assouan et son lac Nasser sont la cause de désavantages bien plus nombreux encore ! Une création à mettre au compte de celui qui, le 28 septembre 1970, mourra d’un arrêt cardiaque. Gamal Abdel Nasser qui, malgré le régime qu’il avait mis en place – et qui perdurera avec son successeur, Anouar el-Sadate – sera pleuré par des millions d’Égyptiens tandis que les grands de ce monde seront présents à ses obsèques.

" Nasser, du rêve au désastre ", à voir dans " Retour aux sources ", le samedi 10 juin à 20h35 sur La Trois et sur Auvio.