Si vous n’êtes pas allés au pôle nord la semaine dernière, coupé du monde dans un igloo, vous n’avez pas pu passer à côté de cette affaire relancée, par la parution du livre "Le consentement" écrit par la courageuse Vanessa Springora à paraitre ce 2 janvier. L’éditrice française y relate une relation sexuelle sous emprise avec l’écrivain de 50 ans, Gabriel Matzneff (83), alors qu’elle n’avait que 14 ans.
Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans les lycéennes et les minettes? Au-dessus de 20 ans, on voit que ça ne vous intéresse plus
Apologie de la pédocriminalité
Matzneff a publié plusieurs livres autobiographiques faisant l’apologie de la pédophilie. L'écrivain se vantait de son goût pour les mineures dans ses essais, en particulier "Les Moins de seize ans" (1974). Il n’y a pas si longtemps, on s’amusait dans les salons dorés des "penchants pédophiles" de l’auteur sous prétexte que la littérature pouvait transformer les scandales liés à la pédophilie en gentilles petites parties de jambes en l’air, comme l’atteste cet extrait de l’émission Apostrophe datant de 1990 qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux. Dans cette émission, donc, Bernard Pivot évoque d'un ton léger l'attirance de l'écrivain pour les mineurs. "S'il y a un véritable professeur d'éducation sexuelle, c'est quand même Gabriel Matzneff. Il donne volontiers des cours et en payant de sa personne", déclarait-il, avant d'interroger l'écrivain : "Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans les lycéennes et les minettes? Au-dessus de 20 ans, on voit que ça ne vous intéresse plus". Sur le plateau, personne ne semble s'insurger de la situation.
Sauf l’écrivaine et animatrice Denise Bombardier qui ne se pas se marre pas du tout. Elle réagit avec une justesse inouïe vu le contexte hostile. Elle qualifie Gabriel Matzneff de "pitoyable". La canadienne s'est d'ailleurs faite traiter de mal baisée à la sortie du plateau.
Je ne comprends toujours pas en quoi le fait de ne plus tolérer qu’un dandy pervers de 40 ou 50 ans mette son sexe dans la bouche d’une enfant de 13 ans ou exploite des petits garçons en Asie du Sud-Est est une menace pour la création littéraire
Bernard Pivot au cœur de la tourmente
Face à la polémique grandissante, Bernard Pivot s'est défendu sur Twitter où il est suivi par un million de personnes. "Dans les années 70 et 80, écrit-il, la littérature passait avant la morale ; aujourd’hui, la morale passe avant la littérature. Moralement, c’est un progrès. Nous sommes plus ou moins les produits intellectuels et moraux d’un pays et, surtout, d’une époque". Réponse cinglante du philosophe et homme politique Raphaël Glucksman "je ne comprends toujours pas en quoi le fait de ne plus tolérer qu’un dandy pervers de 40 ou 50 ans mette son sexe dans la bouche d’une enfant de 13 ans ou exploite des petits garçons en Asie du Sud-Est est une menace pour la création littéraire…". Pivot a également exprimé ses regrets de ne pas avoir eu les mots justes à l'époque dans un texte adressé au JDD, où il tient une chronique.
L'époque en cause
Pourtant, Pivot n’a pas vraiment tort. En 1977, une lettre ouverte, par exemple, est publiée dans le Monde, pour demander la clémence envers trois pédophiles qui ont abusé de mineurs. Les auteurs de cette lettre ouverte estimaient que " trois ans de prison pour des baisers et des caresses, cela suffit ". Au rang des signataires il y avait de très nombreuses personnalités: Louis Aragon, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Roland Barthes, Francis Ponge, André Glucksmann, Bernard Kouchner, François Chatelet, Patrice Chéreau, Philippe Sollers, Félix Guattari, Jack Lang, pour ne citer qu'eux. Au motif d'une libération des mœurs post-soixante-huitarde et d'une lutte, elle plus fondée, contre les abus de la détention provisoire, des gens fort honorables pouvaient engager leur nom sur une mauvaise cause. Le livre de Vanessa Springora dénonce surtout la tolérance sur ce sujet à l'époque.
Matzneff a reçu l’insigne d'officier des arts et des lettres, récompensant les personnes qui contribuent au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde.
Complaisance des institutions
En cette période de bilans de fin de décennie, les masques continuent à tomber. 2020 confirme que l’ère post MeToo est bien sur les rails. Cette affaire met surtout en lumière la complaisance des institutions avec Matzneff. D’abord littéraires (il est publié chez Gallimard, il a eu le prix Renaudot essai en 2013), ensuite médiatiques: c’ était un habitué des grandes émissions télé. Il y a enfin le soutien des institutions culturelles comme le Centre national des Lettres (CNL) qui lui verserait une allocation de 7.500€. Matzneff a reçu aussi l’insigne d'officier des arts et des lettres, récompensant les personnes qui contribuent notamment au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde. Les petits asiatiques apprécieront. C’est aujourd’hui aux institutions de tracer la limite entre l’artiste et l’œuvre car sans elles, sans leur soutien, il n’y aurait que l’homme et pas l’artiste.
MISE A JOUR 3/01/20
Moins de 24 heures après la sortie du livre de Vanessa Springora, le procureur de la République de Paris a annoncé que le parquet avait ouvert une enquête contre l’écrivain Gabriel Matzneff. Une enquête pour “viols commis sur mineur” de moins de 15 ans et confiée à l’Office central de répression des violences faites aux personnes (OCRVP). “Au-delà des faits décrits par Vanessa Springora”, les investigations “s’attacheront à identifier toutes autres victimes éventuelles ayant pu subir des infractions de même nature sur le territoire national ou à l’étranger”, a précisé M. Heitz.
@safiakessas