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Fureur, colère et tristesse au Parlement européen après les soupçons de corruption de plusieurs députés

Eva Kaili

© Eric VIDAL / EUROPEAN PARLIAMENT / AFP

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Par Jean-François Herbecq avec O. Hanrion et A. Capelle

Les perquisitions au Parlement européen et aux domiciles de plusieurs eurodéputés secouent cette institution. Des soupçons de corruption liés aux intérêts du Qatar ont déclenché une vaste enquête. Le week-end dernier, la vice-présidente sociale-démocrate grecque du Parlement européen Eva Kaili ainsi que trois autres personnes ont été placées sous mandat d’arrêt.

Le Qatar aurait transféré d’importantes sommes d’argent pour influencer les décisions du Parlement européen. Des sacs contenant des sommes d’argent très importantes auraient ainsi été trouvés dans l’appartement d’Eva Kaili.

Au Parlement européen réuni cette semaine en session plénière à Strasbourg, l’affaire est débattue lundi soir lors d’une réunion des présidents de groupe et fait évidemment l’objet de tous les commentaires, dont voici ceux recueillis par nos envoyés spéciaux sur place.

 

La démocratie européenne est attaquée

"La démocratie européenne est attaquée" : la présidente du Parlement européen Roberta Metsola a fait part de sa "fureur, colère et tristesse". Officiellement le sujet n’est pas à l’ordre du jour mais l’affaire est tellement grosse, que Roberta Metsola n’avait pas d’autre choix que d’ouvrir la séance par une déclaration solennelle tout en veillant à ne pas empiéter sur l’enquête en cours.

La présidente du Parlement a aussi promis qu’elle allait lancer une procédure pour mettre fin au mandat de vice presidente de la Grecque Eva Kaili. La négociation sur la libéralisation des visas qatariens est reportée. Et puis la présidente du parlement l’a promis : rien ne sera mis sous le tapis, on ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé. Elle promet de réformer en profondeur les règles de transparence de son institution.

 

Des menaces qataries pour Nathalie Loiseau

Nathalie Loiseau, eurodéputée française du groupe libéral Renew, se dit "très choquée et très en colère parce que le comportement absolument condamnable de quelques-uns jette l’opprobre sur toute une institution. C’est insupportable."

L’ancienne ministre française souligne que ceux qui ont essayé d’influencer le Parlement européen ont échoué car c’est "l’effet boomerang. On n’a jamais autant parlé des droits de l’homme au Qatar… Et le Parlement européen n’a pas varié dans ses positions".

"Mais ça veut dire que la démocratie en Europe est attaquée", dénonce l’eurodéputée française qui a publié un livre sur le sujet "La guerre qu’on ne voit pas venir" et qui cite la Russie, la Chine, la Turquie, le Qatar. 

Nathalie Loiseau souhaite des règles bien appliquées et de la transparence. Elle dit avoir été menacée par des lobbyistes qatariens lui expliquant que ses questions et préoccupations auraient de fâcheuses conséquences sur les relations avec le Qatar.

"Et ces conséquences, c’est qu’on en parle aujourd’hui devant un micro. C’est un peu l’arroseur arrosé". L’élue libérale précise qu’elle publie son agenda de rendez-vous sur les réseaux sociaux et refuse de voir ceux qui ne souhaitent pas apparaître.

Nathalie Loiseau
Nathalie Loiseau © AFP

Nathalie Loiseau constate que les députés européens d’extrême droite répètent depuis des années les positions de Vladimir Poutine : "Soit ils le font parce qu’ils ont des convictions, soit parce qu’ils ont des comptes en banque. Et ça maintenant, il faut qu’on le sache".

La députée Renew estime qu’une autorité indépendante doit voir le jour et espère une commission d’enquête sur tous les pays qui tenteraient d’une manière ou l’autre les positions du Parlement européen. "Qu’aucun soupçon ne soit pas clarifié".

 

Les sociaux-démocrates sur la sellette

Les sociaux-démocrates sont les premiers visés par ces soupçons de corruption. La cheffe de groupe S&D réagit en annonçant vouloir mettre le point à l’agenda de la conférence des présidents de groupe et en souhaitant remplacer sa vice-présidente grecque.

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La député européenne belge Marie Arena (PS), dont l’une des assistantes fait l’objet d’une enquête sur ces faits de corruption, a annoncé qu’elle suspendait temporairement ses fonctions de présidente de la commission parlementaires des droits de l’homme.

Pas de "fast food législatif" pour Assita Kanko

Assita Kanko, élue belge de la N-VA, juge aussi que l’affaire est "extrêmement grave" : "le Parlement n’est pas sous influence, mais des députés le sont".

Pour la députée du groupe des conservateurs et réformistes européens, il faut clarifier la situation en toute transparence, pas derrière des portes closes.

Assita Kanko dit avoir été approchée à de multiples reprises, par mail, invitée par des ambassades, accostée dans les couloirs du Parlement, abordée par des démarcheurs "très assertifs" à la porte de son bureau. Elle voit que les lobbyistes visent surtout les jeunes eurodéputés.

"J’ai un principe : je ne rencontre pas les lobbyistes". L’élue refuse les textes et les amendements tout faits, "ce fast food législatif", au contraire, elle tient à faire son travail elle-même, "nuit et jour". Elle juge que les outils de contrôle existent mais il faut les appliquer.

Pour la LFI Manon Aubry, "on n’achète pas un élu comme un club de foot !"

La présidente groupe de la gauche au Parlement européen, la députée La France Insoumise Manon Aubry ne cache pas sa colère dans ce tweet aux références footballistiques.

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Philippe Lamberts (Ecolo) : "Estomaqué"

Chez les Verts, pour Philippe Lamberts (Ecolo), c’est le choc : "Estomaqué, comme la plupart des collègues", malgré la position de certains socialistes qui s’étaient opposés à une résolution sur le Qatar et avaient tout fait pour que le langage en soit le moins sévère possible.

"Toute structure de pouvoir est perméable à la corruption", rappelle Philippe Lamberts qui félicite aussi la police et la justice belge "qui a fait son boulot". Il dit aussi ne jamais avoir été approché par des corrupteurs, mais avoir dû décliner des invitations de l’ambassade du Qatar.

Pour les Verts, "ces règles de transparence de lobbying doivent être renforcées". L’Ecolo pense à une haute autorité éthique indépendante sur le modèle français pour vérifier les patrimoines, les voyages, les conflits d’intérêts, empêcher le "pantouflage".

L’élu vert allemand Daniel Freund craint qu'"on n’est pas soit pas encore à la fin, que d’autres députés aient fait pareil". Il souhaite donc une bonne enquête pour éviter que cela se reproduise. Il se félicite que l’Etat de droit fonctionne et pense qu’il n’a jamais été abordé par des corrupteurs "car ils savent que j’irai directement à la police". Pour lui, les pays tiers comme le Qatar doivent être catalogués comme lobbyistes.

Daniel Freund, ancien de l'ONG Transparency International, préconise une liste de mesures strictes à prendre. "Il faut montrer qu'il n'y a pas de culture de l'impunité" dans l'Union.

 

Viktor Orban rit sous cape

Enfin, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, choisit de se moquer du Parlement européen, toujours prompt à dénoncer les atteintes à l’Etat de droit en Hongrie. "Bonjour au Parlement européen !", a-t-il lancé sur son compte Twitter.

"Et là, ils ont dit qu’ils étaient vivement préoccupés par la corruption en Hongrie", ironise le dirigeant hongrois avec la photo de 1981 des anciens présidents américains Ronald Reagan et George Bush riant aux éclats. Une pique qui intervient alors que la Hongrie est sous la menace du gel de plusieurs milliards d’euros de fonds de l’Union européenne, pour cause de réformes jugées insuffisantes contre la corruption.

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Et avec ce tweet, un élu du Fidesz dénonce l’hypocrisie de ses adversaires.

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"En résumé, le groupe de l’alliance progressiste a monté de toutes pièces des mensonges sur la corruption en Hongrie depuis des années, et maintenant leur figure de proue […] est impliquée dans le plus gros scandale de l’histoire de l’UE", a commenté sur Twitter Balazs Hidveghi, un eurodéputé du parti d’Orban. "Un bel exemple d’hypocrisie".
 

Sur le même sujet : JT du 11/12/2022

Parlement européen / 4 personnes sous mandat darrêt

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