"C’est très répétitif, et on commence à avoir des phrases toutes faites. C’est comme si on devenait un robot, qui répète en boucle : ‘Vous pouvez vous asseoir, c’est désagréable mais pas douloureux’. Finalement on répète tout le temps la même chose toute la journée. Et puis, c’est un métier difficile car on est surqualifiés". Pour lui, le fait que ce geste doive être pratiqué par un infirmier fait pourtant sens. "N’importe qui pourrait faire un frottis, néanmoins il faut pouvoir répondre aux questions des gens, donner des conseils et faire de l’éducation à la santé". C’est dans le volet "éducation à la santé" qu’il trouvait un tout petit plaisir à pratiquer ce job. "J’ai pu expliquer à des parents démunis ce que cela signifiait pour eux que leur enfant soit positif. Je pouvais réexpliquer aux gens comment ils pouvaient se protéger du coronavirus".
Heureusement, personne ne fait vraiment le métier de "frotteur" à temps plein, nous a-t-on expliqué. "On a tous un vrai métier en milieu hospitalier à côté de ce travail", précise Wassyla Wauthier.
On est le punching-ball de gens très angoissés
Certains patients ont fait des files de 3 heures pour avoir accès à un geste qui dure 30 secondes. Ils ressentent un besoin urgent de savoir s’ils sont positifs. Dans ces conditions, la situation dégénère parfois. "Tout à l’heure je me suis fait engueuler par une personne qui avait le mauvais document, nous confie Wassyla. En réalité, elle avait juste un SMS car elle revenait de zone rouge, alors que j’ai besoin de la prescription du médecin généraliste. J’essaye de donner des explications mais les gens ne les acceptent pas forcément, donc c’est assez compliqué". Elle y voit l’effet d’un climat anxiogène qui règne depuis plusieurs mois. "Les gens sont tellement stressés par le Covid depuis début mars, que nous sommes parfois leur punching-ball".
Thomas Giot raconte des expériences similaires. "La personne qui vient se faire dépister, elle veut à tout prix savoir si elle est positive. On doit lui expliquer qu’il faudra attendre 2 ou 3 jours pour avoir ses résultats. Il y a toute cette angoisse de l’accessibilité des résultats parce qu’on sait qu’il y a déjà eu quelques couacs. J’ai d’ailleurs eu des altercations parfois violentes avec des patients qui voulaient le ‘tout et immédiatement’ de notre société, qui étaient surpris par le geste, énervés par l’attente".
Et, bien que formés à la gestion du stress et des conflits, les infirmiers sont parfois démunis. "En fait, on se retrouve dans un milieu exacerbé par rapport à l’hôpital, exacerbé par l’attente, l’inquiétude et le climat anxiogène".
Ils sont protégés, mais pas toujours suffisamment
Détendus, ils n’ont pas l’air de craindre ce contact constant avec la maladie. "Avec l’habitude je n’ai plus très peur, nous explique Thomas Giot. Durant la première vague j’ai travaillé aux soins intensifs où nous étions beaucoup plus proches de patients dits ‘contaminants'. Maintenant nous sommes protégés. Tout le monde porte un masque. Tous les infirmiers ont l’équipement de protection individuel pour faire les frottis (masque FFP2, blouses, etc). Donc nous sommes en sécurité".
Le sont-ils tous ? Vraiment ? Nous avons rencontré un frotteur qui n’avait pas de masque FFP2, il disposait d’un simple masque chirurgical pour le protéger du virus. "Ça arrive, c’est vrai, concède Thomat Giot, que les infirmiers doivent insister pour disposer de l’équipement nécessaire".
Ces jobs apparus spontanément disparaîtront tout aussi brutalement
Le job de frotteur n’est pas le seul à être apparu spontanément avec l’épidémie. Marie Loriaux peut en témoigner. Elle est support manager au service qualité aux Cliniques de l’Europe. Mais ces derniers mois, elle a été bombardée "coordinatrice chalets". Ça ne s’invente pas. Son travail consistait à coordonner les deux chalets de dépistage Covid où travaillent les frotteurs.