Le printemps sort enfin ses premiers rayons de soleil. Gabriel (15 ans), Charlie (13 ans) et Alister (9 ans) en profitent pour jouer au foot, comme tous les frères. Sauf que Charlie vient prévenir sa maman : “Gabriel est beaucoup plus nerveux qu’avant, il frappe plus fort, c’est la testostérone, j’en suis sûr”.
Un "petit métier" de grand frère
Gabriel a une déficience génétique, le syndrome XXX-YY. Il a deux X en trop, c’est pour ça qu’il prend de la testostérone. Il a un léger retard mental, l’allure dégingandée, de grosses et hautes bottines adaptées, et puis la tête d’un adolescent de 15 ans. C’est l’aîné, mais Charlie, son cadet de deux ans, se sent souvent plus grand : “C’est un peu entre les deux mais c’est vrai que la plupart du temps, je suis le grand frère. C’est pas casse-pieds, c’est un petit métier que j’apprends et que j’ai l’habitude de faire maintenant”.
Charlie a donc son “petit métier”, celui de grand frère. Sa maman, Carole Denis, voit bien qu’il se sent très responsable : “Quand Charlie traverse, il met sa main devant lui, souvent il fait semblant de jouer avec ses frères juste pour les surveiller, le fait qu’il vienne me parler de la testostérone montre bien qu’il est attentif aux effets du traitement… C’est beaucoup pour un petit bonhomme comme lui. Pourtant, je lui dis qu’il ne doit pas être un second papa (on est séparés mais il est tout à fait présent) ou une seconde maman.”
Affronter le regard des autres
La première fois que Charlie s’est vraiment rendu compte de la différence de son frère (“mon fils est différent et c’est sa différence qui est handicapante”, dit Carole), c’est lors d’un de ses anniversaires, pense sa maman. “Il avait sept ans, se souvient-elle, il est venu me dire qu’il voulait jouer avec Gabriel mais que ses copains ne voulaient pas. Il m’a dit ‘je fais quoi ?’.”
Charlie, comme toute la famille, continue d’affronter le regard des autres. “Des fois c’est saoulant, raconte-t-il. Il se met à terre dans la rue pour mettre ses chaussures et tout le monde le regarde en disant ‘qu’est-ce qu’il fout ?'”
Une relation tendue
“Mais moi je m’en fous, poursuit Charlie, les cheveux bruns emmêlés, le regard franc, perçant et droit, je serai toujours là pour rentrer dans la bataille pour protéger mes frères, je le ferai toujours.” Et quand on lui demande si ça le blesse : “Non je m’en fous, c’est sa vie, c’est notre vie. S’ils s’amusent à regarder, c’est leur choix.”
Ça n’empêche pas Charlie d’être très dur avec son frère. Carole qualifie leur relation de “très tendue”, d’une ambivalence incroyable : “Il le rabaisse tout le temps. Il se compare à lui en disant qu’il court plus vite que Gabriel ne sait pas courir, etc. Je ne pense pas qu’il le fasse méchamment. Je crois qu’il a peur qu’on croit qu’il est comme son frère, qu’il a besoin qu’on lui dise qu’il n’est pas comme Gabriel.”
Il a besoin qu’on lui dise qu’il n’est pas comme Gabriel.
Ce qui énerve le plus Charlie, confie-t-il, c’est de ne pas arriver à comprendre Gabriel. Ou plutôt que Gabriel n’arrive pas à se faire comprendre. “On doit essayer de deviner et c’est casse-pieds. Il ne fait jamais d’efforts. Je voudrais avoir un frère comme les autres.”
La jalousie
Carole essaie comme elle peut de protéger ses trois fils, de les aider à grandir, de les accompagner. Elle se coupe en trois. Mais comment arriver à trois parts égales quand l’aîné prend tellement de temps ? Elle rame pour lui trouver un stage pour l’été. Elle doit sans cesse l’accompagner à des rendez-vous médicaux. Deux heures de trajet. Une demi-heure d’attente. Dix minutes de rendez-vous. La kiné trois fois par semaine (maintenant deux, ouf) après l’école. Goûter et devoir dans la voiture pour Charlie et Alister.
Alors la jalousie pointe le bout de son nez, régulièrement. “Un jour, Charlie avait 10 ans, il avait un rhume ou quelque chose comme ça et il m’a dit : ‘Moi je suis malade mais on va pas aller chez le médecin pour moi’”.
Sensibilité et empathie
Alister, le petit dernier, visage souriant et solaire, jalouse aussi le jus de fruit que Gabriel a reçu dans la salle d’attente du médecin, mais “il n’est pas plus dérangé que ça” selon sa maman. “Pour des enfants plus petits, ça apporte une sensibilité, une empathie incroyable. Un jour, en parlant d’un enfant turbulent de sa classe, il m’ a dit "je crois qu’il prend des médicaments donc ce n’est pas de sa faute.”
Alister lui-même, quand on lui pose la question de savoir ce que ça lui fait d’avoir un frère différent, résume : “Bah ça change un peu ma vie, mais ouais sinon y’a rien.”