Frank Vandenbroucke débloque 43 millions pour les infirmiers spécialisés : l’arbre qui cache la forêt ?

Frank Vandenbroucke débloque 43 millions pour les infirmiers spécialisés : l’arbre qui cache la forêt ? Photo d’illustration

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L’accueil réservé par les syndicats et les infirmiers à la volonté du ministre de la santé Frank Vandenbroucke (Voruit) de débloquer 43 millions pour les infirmiers spécialisés est mi-figue mi-raisin. Tous saluent un "premier pas" intéressant mais qui dit premier pas, dit deuxième, puis troisième… Bref, les 43 millions sont l’arbre qui cache la forêt… autrement dit la pénurie d’infirmiers sur laquelle il est urgent d’agir. Les syndicats déplorent par ailleurs le manque de concertation sociale.

La réforme IFIC

Le budget annoncé ce matin s’inscrit dans un contexte plus large de classification des fonctions des professionnels de la santé décidée sous le précédent gouvernement en affaires courantes, à l’époque où Maggie de Block était ministre de la santé. Il s’agit du modèle IFIC négocié de longue date par les interlocuteurs sociaux. Dans ce modèle, déjà appliqué dans le privé et bientôt dans le public, les soignants ne sont plus rémunérés en fonction de leur diplôme mais du travail effectué.

Si le principe "à travail égal, salaire égal" est louable, il a créé un malaise parmi les professionnels de la santé concernés. "Une infirmière spécialisée en soins intensifs et une infirmière sans spécialisation travaillant en soins intensifs ont le même salaire avec la réforme IFIC", dénonce la vice-présidente de la Fédération nationale des infirmiers de Belgique et cofondatrice du syndicat Union4U, Alda Della Valle.

143.000 € en moins sur une carrière ?

Le système présente d’autres failles pour la syndicaliste qui est par ailleurs infirmière en chef des urgences au centre Epicura d’Hornu : "Aujourd’hui, avec le système IFIC, une infirmière spécialisée en pédiatrie bénéficiera du barème 14 (3989€ bruts par mois, ndlr) si elle travaille dans le service pédiatrie et du barème 15 (4036€ bruts par mois, ndlr) si elle travaille en néonatologie… pour un même diplôme et une même spécialisation".


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Conséquence : la réforme est particulièrement intéressante pour les soignants en début de carrière, automatiquement intégrés au système IFIC, nettement moins pour les infirmiers et les infirmières avec plus d’années d’ancienneté. Un infirmier ou une infirmière spécialisés travaillant en unité de soins intensifs avec dix ans d’ancienneté perd, par exemple, quelque 143.000 euros brut sur l’ensemble de sa carrière, en passant de l’ancienne échelle barémique au nouveau système IFIC.

Un choix à faire, une lacune à corriger

Le nouveau modèle prévoit toutefois que les infirmiers avec de l’ancienneté puissent choisir entre l’ancien barème ou le modèle IFIC. Bref, les soignants sortent logiquement leur calculette et optent pour le système le plus intéressant alors que leurs rémunérations sont loin d’être attractives au regard de l’investissement fourni, pas seulement lors des derniers vingt mois de pandémie.

C’est là que s’inscrit la volonté du ministre de la santé de débloquer 43 millions d’euros pour les infirmiers spécialisés. Frank Vandenbroucke corrige en quelque sorte une lacune du système IFIC qui ne permettait pas aux infirmiers spécialisés de progresser financièrement tout au long de leur carrière "alors que la question des spécialisations se pose notamment dans les services d’urgence et de soins intensifs et que ces services jouent un rôle clé dans la pandémie", explique le ministre.

Concrètement, les 43 millions seront utilisés sous forme de forfait brut annuel de 2500 € alloués aux infirmiers spécialisés ayant un titre professionnel particulier et de forfait brut annuel de 833 € alloué aux infirmiers spécialisés ayant une qualification professionnelle particulière.

Mi-figue, mi-raisin

Les réactions des soignants et des syndicats sont en demi-teinte. Sur son site, l’Association francophone des infirmiers d’urgence (afiu), insiste sur le côté structurel de la prime annoncée par le ministre Vandenbroucke : "Cette mesure n’est pas un 'one shot', elle est structurelle […]. C’est une mesure d’urgence qui vient contrebalancer les effets délétères de l’entrée dans l’IFIC pour les infirmier(e) s spécialisé(e) s. Cela permet de garder un focus sur le fait que les spécialisations sont nécessaires pour la profession infirmière et qu’elles doivent être valorisées".


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Le vice-président de Siz-Nursing, l’association des infirmiers de soins intensifs, Arnaud Bruyneel, partage cet avis même si "la nouvelle prime ne constitue qu’un premier pas. Il y avait une discrimination avec les infirmiers spécialisés et il était temps de la corriger".

Et la concertation sociale ?

"C’est une bonne idée", réagit le secrétaire fédéral CNE non marchand, Yves Hellendorf. "Mais nous ne connaissons pas les modalités et, comme nous n’avons pas été consultés, nous devons vérifier que ces primes (l’enveloppe de 43 millions, ndlr) ne remettent pas en cause toute la réforme IFIC. Il ne faut pas que l’addition du forfait de 2500 € et du salaire soit plus importante que l’échelle barémique supérieure, ça n’aurait pas de sens".

La secrétaire fédérale Setca non marchand, Nathalie Lionnet, déplore également l’absence de concertation sociale sur ce sujet. "C’est incroyable que l’on apprenne ce genre d’information par la presse, déplore celle qui a négocié la réforme IFIC pour le syndicat socialiste. Nous le dirons au ministre Vandenbroucke ce vendredi après-midi lors de la réunion programmée pour parler de l’attractivité du métier d’infirmière".

Pénurie et attractivité

L’attractivité du métier, parlons-en. Pour les syndicats, c’est le vrai problème que traverse la profession alors que la pénurie d’infirmiers est une réalité d’autant plus criante que la pandémie de Covid-19 n’a pas respecté l’adage "Ne tirez pas sur le pianiste".

"Les 43 millions, ça ne répond pas à 90% du malaise du personnel soignant", poursuit Yves Hellendorf. "C’est un tout petit bout du malaise. Il est urgent de mettre en place un plan de sauvetage de la profession, de s’attaquer à la pénurie et de rendre le métier plus attractif". Même réaction du Setca non marchand : "La pénurie est dramatique".

Tout poste de travail abandonné aujourd’hui met en péril les soins envers les patients.

La vice-présidente de la Fédération nationale des infirmiers de Belgique et cofondatrice du syndicat Union4U, Alda Della Valle, n’y va pas non plus quatre chemins : "La proposition (du ministre, ndlr) est en réalité un os à ronger. Ce qu’il faut faire, c’est prendre le fond du problème à bras-le-corps. La profession ne demande pas une prime… Et quand on parle de profession, c’est l’ensemble des infirmiers, pas seulement les spécialisés… Il ne faut pas juste regarder les soins intensifs parce qu’ils sont la capacité réflexe de nos hôpitaux. Le vrai problème, c’est le sous-financement structurel des soins infirmiers. Il faut remettre du personnel qualifié dans les soins… en étant attractif".

La pénurie et l’attractivité du métier, ce sera le thème principal de la discussion que les interlocuteurs sociaux tiendront ce vendredi après-midi au cabinet du ministre de la santé Franck Vandenbroucke.

Sujet JT du 16 décembre 2021 : les revenus des infirmiers et infirmières spécialisés revalorisés

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