Françoise Levie, réalisatrice autodidacte, travaille depuis 60 ans dans l’audiovisuel et semble infatigable. Des tas de projets, des films et des livres en cours, une curiosité insatiable et une grande sérénité. Rencontre avec une femme passionnante et passionnée.
Nous retrouvons Françoise Levie chez elle, à Nivelles, dans une ancienne grange retapée en havre de paix. Dans le fauteuil Luigi, le chat adopté pendant le confinement, dehors les poules, derrière la baie vitrée un grand jardin qui reprend vie en ce presque printemps, sur la table deux cafés, face à nous une autrice calme et un peu fébrile à l’idée de se raconter elle, alors que son habitude est de raconter les autres…
Punie par mon écriture
Née en 1940, sa vie d’écriture de films et de livres a pourtant commencé par une trahison, une trahison par les mots. "J’avais 16 ans, j’étudiais à la Vierge Fidèle qui était une école pour filles extrêmement élitiste. J’étais déjà un peu rebelle et j’avais un journal intime." Sur les pages de son carnet, le récit d’un amour naissant. "Dans le tram 28, un garçon à qui je n’avais jamais parlé, dont je n’ai jamais su le nom. Pendant l’heure du déjeuner, j’avais laissé mon journal sur la table de la salle d’étude. Quand je suis revenue à 14h, les religieuses l’avaient pris."
Après avoir volé et lu le carnet les religieuses renvoient Françoise de l’établissement. "On m’a virée à cause de mes écrits, on a estimé que j’étais un élément indésirable." Cet événement loin d’être anecdotique deviendra fondateur. "Ça m’a empêché pendant des années d’écrire parce que j’avais été punie par mon écriture et par le fait que je parlais de moi."
Après avoir été mise à la porte, sa scolarité s’arrête, elle n’a pas de diplôme, mais apprend à taper à la machine "ce qui me sert maintenant pour l’ordinateur, c’est très bien", ajoute-t-elle en riant.
Elle postule à la RTBF. "Je voulais devenir speakerine, mais je suis rentrée comme scripte. J’étais au service enquêtes et reportages, c’était un service extrêmement intéressant et important. C’était encore l’époque où on envoyait les journalistes belges à l’étranger, on n’achetait pas aux agences."
Cette expérience lui ouvre les yeux sur le monde. "La Vierge Fidèle, c’était extrêmement étroit comme esprit, on vous disait ‘vous êtes parmi les 200 jeunes filles à marier les plus en vue de Belgique’ et ‘Faut pas faire ceci, faut pas faire cela’, donc brusquement tomber à la RTBF, ça été une ouverture incroyable."
Réalisatrice, "ce n’est pas un métier pour femmes"
Elle candidate pour devenir assistante à la réalisation. "J’ai envoyé une belle lettre au directeur de l’époque qui m’a dit : ‘ce n’est pas un métier pour femmes, il n’en est pas question.’" Ni une, ni deux, elle quitte la RTBF et commence à travailler pour son père, producteur de films. Elle devient assistante réalisatrice sur de grosses productions (Malpertuis, avec Orson Welles), Mont-Dragon (avec Jacques Brel), Préparez vos mouchoirs (avec Patrick Dewaere et Carole Laure). Au sein de la société de son père, elle développe le service documentaire, et peu à peu, réalise ses propres films.
Faire des films, c’est vivre plusieurs vies soi-même
Depuis les années 80, elle ne s’est plus jamais arrêtée, on peut entre autres citer Sans pays (1986) un documentaire sur les camps de réfugiés cambodgiens en Thaïlande, Les Gardiens de la nuit (1988) un film sur les phares pour Thalassa, Nylon blues (1991) sur l’histoire des bas nylons, Mémoires d'un Princesse des Indes (1997), le portrait de Gayatri Devi, veuve du dernier maharajah régnant, L’homme qui voulait classer le monde (2002) un documentaire sur Paul Otlet, le fondateur du Mundaneum, Panda Farnana, un Congolais Qui Dérange (2010) qui retrace la trajectoire de ce nationaliste congolais, Zénon l’insoumis (2019), un film sur Marguerite Yourcenar…