"Fragile", le tube Mandopop du rappeur Namewee qui dénonce le régime autoritaire chinois

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Par AFP

Vue plus de 30 millions de fois sur YouTube, la chanson "Fragile" a réussi un exploit : devenir un succès commercial tout en dénonçant les dirigeants autoritaires chinois.

Dans le secteur de la Mandopop, la pop chantée en mandarin, se moquer de Pékin peut briser une carrière. Le rappeur malaisien Namewee et la chanteuse sino-australienne Kimberley Chen, qui vivent tous deux à Taïwan, en ont fait leur argument de vente.

Quelques jours après la sortie de cette chanson aux allures de pop sirupeuse, le mois dernier, les censeurs de Pékin les ont chassés de l'internet chinois, les mettant à l'index sur le principal marché mondial en mandarin.

Mais le titre est devenu un tube ailleurs en Asie et dans la diaspora chinoise sur la planète.

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La volonté d'aborder des sujets tabous

Le rappeur Namewee, vivant à Taïwan, a assuré lundi n'avoir aucun regret après avoir été mis à l'index par Pékin.

"Je ne me pose jamais de limite et ne m'impose aucune auto-censure", a déclaré Namewee, 38 ans, aux journalistes lundi à Taipei, alors qu'il célébrait au champagne avec Chen le franchissement de la barre des 30 millions de vues pour le clip acidulé sur YouTube.

"Pour moi, les bonnes créations doivent venir du cœur, elles doivent être sincères", a-t-il ajouté.

Les vedettes sinophones, de la chanson, du cinéma ou autres, s'engagent rarement dans une polémique à propos de la Chine, connaissant l'habitude de Pékin de mettre sur liste noire ceux qui semblent critiquer son gouvernement.

Un mot de travers peut rapidement conduire à l'exclusion d'un artiste du premier marché en mandarin au monde et ruiner sa carrière.

Mais la volonté de Namewee et Chen d'aborder des sujets tabous a touché une corde sensible alors que la Chine s'affirme de plus en plus sur la scène mondiale sous la direction du président Xi Jinping.

Quelques jours après la sortie de la chanson, les réseaux sociaux chinois ont supprimé les comptes de Namewee et Chen, leur musique a été censurée et les médias d’État ont accusé le duo d'insulter le pays.

"Contenu illégal"

La Chine retire régulièrement des chansons jugées politiquement incorrectes de ses plateformes de streaming.

En août, le ministère chinois de la Culture a annoncé qu'il établirait une liste noire des chansons interdites pour "contenu illégal".

"Je pense que (les musiciens) devraient être libres de créer et c'est ce que tout créateur souhaite", a expliqué Namewee. "Je suis Malaisien et il y a beaucoup d'obstacles là-bas pour les films, la musique et d'autres oeuvres, dont mes albums."

Namewee a été au cœur de plusieurs polémiques en Malaisie, pays à majorité musulmane. En 2016, il a été arrêté car on lui reprochait d'avoir insulté l'islam dans une vidéo en partie tournée dans une mosquée.

Deux ans plus tard, il a été de nouveau interpellé pour insulte à l'islam, pour une vidéo de Nouvel an chinois mettant en scène des danseurs portant des masques de chien et réalisant des gestes suggestifs.

A 27 ans, Chen a grandi en Australie, mais a déménagé à Taïwan en 2009 pour se lancer dans la pop.

Elle a répondu à la fermeture de ses comptes sur les réseaux sociaux chinois en chantant des paroles modifiées du refrain de "Fragile", célébrant le fait qu'elle avait toujours accès à Facebook et Instagram, qui, comme YouTube, sont interdits en Chine.

Comprendre la chanson :

Voici les quatre manières dont les deux artistes se moquent de la Chine.

  • "Petit rose"

"Fragile" sonne comme une ballade à l'eau de rose mais les auteurs l'accompagnent d'un avertissement clairement politique: "fais attention si tu es un rose fragile".

Une référence à l'expression "petits roses" désignant en Chine l'armée de commentateurs nationalistes sur Internet qui font la guerre à tout ce qu'ils perçoivent comme un affront.

Le rose domine dans le clip, y compris pour les habits de Namewee et Chen. Un panda géant, référence explicite à la Chine, danse en salopette en imprimé treillis rose.

Le refrain entêtant demande pardon à une personne qui est fragile et n'accepte aucune critique.

  • NMSL

Dans une piscine vide rose, on voit Namewee se battre avec le panda géant et chanter "tu me dis NMSL quand tu te mets en colère".

L'acronyme, omniprésent dans les querelles en ligne entre nationalistes chinois et leurs cibles, vient de "ni ma si le" ("ta mère est morte" en chinois).

L'an dernier, il avait été détourné lors d'une bataille rangée sur le net entre Thaïlandais et Chinois après des propos d'une célébrité thaïlandaise sur le coronavirus. Des internautes thaïlandais avaient créé une série de memes viraux caricaturant les nationalistes chinois en automates tapant instantanément "NMSL" dès qu'ils repèrent un sujet de désaccord en ligne.

  • Pommes et ananas

Namewee explique que le personnage de sa chanson "avale la pomme et coupe l'ananas".

Le premier fruit se réfère  au journal hongkongais pro-démocratie Apple Daily, fermé après le gel de ses actifs et l'arrestation de ses dirigeants au nom d'une loi sur le sécurité nationale.

Le second fait allusion à la récente décision de Pékin d'interdire, à l'approche de la récolte, les importations d'ananas depuis Taïwan, île dotée de son gouvernement mais revendiquée par la Chine. Les consommateurs taïwanais et japonais ont pallié l'interdiction en achetant les surplus.

  • Soupe de chauve-souris

La chanson évoque les Chinois et leur "désir pour les chiens, les chats, les chauves-souris et civettes".

Le panda géant du clip offre à Namewee une marmite de soupe où flotte une chauve-souris en peluche, allusion transparente à l'idée, largement démentie, que la consommation de chauve-souris est à l'origine du coronavirus.

L'origine de la pandémie reste inconnue et a été plus difficile à cerner, selon l'Organisation mondiale de la santé, en raison de l'opacité officielle de la Chine.

Mais le cliché de la "soupe de chauve-souris" a souvent été utilisé contre les Chinois et les communautés asiatiques dans le monde pendant la pandémie, dans le cadre d'attaques et d'insultes racistes.

C'était l'un des éléments relevés par les médias d'État chinois quand cette chanson, jugée "malveillante" par le quotidien étatique Global Times, a été inscrite sur la liste noire.

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