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Fontaines D.C. : "Sur ce nouvel album, on passe du deuil au triomphe"

Fontaines D.C.

© - Sarah Louise Bennett

Par Renaud Verstraete via

On ne les présente plus. Véritable phénomène mondial, Fontaines D.C. est sans doute un des groupes les plus importants et les plus influents de sa génération. Les 5 lads irlandais signent un retour aux affaires fracassant avec le sulfureux "Skinty Fia", leur 3e disque en 3 ans ! Entre deux dates de la tournée européenne, nous avons eu la chance de rencontrer Conor Deegan, dit Deego, le bassiste du groupe. Il revient avec enthousiasme sur la genèse de cet album, les évènements qui l’ont inspiré et raconte comment un accordéon traditionnel s’est invité sur le disque. Rencontre.

Vous venez de débuter votre tournée européenne. Comment ça se passe sur la route ?

Deego : Ça se passe bien. On est en Suisse aujourd’hui, on joue à Düdingen ce soir (ndlr : Deego en profite pour nous faire visiter le tourbus et nous offrir une vue splendide sur les montagnes suisses). On vient d’enchaîner les 4 premières dates, et on se sent super bien. On a eu l’occasion de tester de nouveaux en live. Hier soir à Zurich, je ne sais pas ce que les Suisses avaient mais ils n’arrêtaient pas de crier pour qu’on joue "Liberty Belle" (rires).

Vous êtes de retour avec un nouvel album, "Skinty Fia", quel était votre état d’esprit au moment d’entamer l’écriture de ce nouveau disque ?

Deego : Je pense que nous étions dans une période assez sombre pour être honnête. On était tout le temps sur la route, isolés, on cherchait un peu le sens de nos vies. On était loin de l’Irlande aussi. On est partis vivre à Londres et on essayait de se faire à l’idée d’être des Irlandais dans la capitale britannique.

Vu le succès du précédent album, avez-vous ressenti une certaine pression ?

Deego : Pas du tout. On avait un peu de pression au moment d’écrire le deuxième mais on a enchaîné directement. Une fois qu’on avait écrit le premier morceau, on savait que si on parvenait à en écrire un deuxième, le reste allait suivre. Ici pour ce troisième disque, on a vraiment pris le temps avec le Covid. On a eu le temps de le peaufiner et on est fier du résultat. Je pense qu’on aura sans doute un peu de pression pour le 4e si celui-ci marche bien (rires).

De gauche à droite : Tom Coll (batterie), Carlos O’Connell (guitare), Grian Chatten (chant), Conor Curley (guitare), Conor Deegan III (basse).
De gauche à droite : Tom Coll (batterie), Carlos O’Connell (guitare), Grian Chatten (chant), Conor Curley (guitare), Conor Deegan III (basse). © – Fontaines D.C.

Ce nouvel album est sans doute le plus cohérent de votre discographie. Comment le décrieriez-vous ?

Deego : On voulait obtenir un son spécifique et cohérent pour cet album et je pense qu’on y est parvenu. On voulait que la batterie sonne un peu plus comme la musique jungle et avec certaines influences de la musique électronique. Pour la basse, je voulais réellement être Kim Deal (ndlr : la bassiste des Pixies) ou sonner comme My Bloody Valentine. Les deux guitaristes ont beaucoup écouté Primal Scream et je crois que le son de cet album s’est façonné comme ça.

Selon moi, cet album sonne comme quelqu’un qui serait parvenu à faire la paix avec ses démons et qui transformerait ses côtés sombres et négatifs afin de les mettre en valeur. Cela m’évoque mes lectures du Marquis de Sade et de ses personnages ambivalents, influencés par les vies horribles qu’ils ont vécues. Peut-on juger quelqu’un qui est un peu mauvais quand il a grandi dans un environnement cruel ? Cet album évoque ce questionnement. Nos premiers albums étaient plus absolus, plus juvéniles et sans doute plus idéalistes.

Dans les ambiances également, cet album est plus sombre. Quelle a été l’influence de votre producteur de longue date, Dan Carey, sur le son de cet album ?

Deego : C’était incroyable de pouvoir travailler avec lui une nouvelle fois, c’est de mieux en mieux ! On a essayé d’expérimenter plus et de transformer les guitares pour qu’elles ne sonnent plus comme des cordes par moments. D’une certaine manière, je pense que c’est à la fois l’album le plus joyeux qu’on ait fait mais aussi le plus sombre et le plus industriel. Quand on écoute le disque, il y a plein de petits sons qui t’attrapent l’oreille dans le fond. C’est un truc que Dan Carey fait tout le temps. J’écoutais le nouvel album de Wet Leg récemment et je me disais "Ça, c’est encore un coup de Dan" (rires).

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L’album s’ouvre avec "In ár gCroíthe go deo", un morceau prenant, presque spirituel avec vos voix en harmonie. Quelle est l’histoire derrière ce titre en particulier ?

Deego : C’est le premier morceau que l’on a composé pour le disque. Il a été inspiré par un fait divers local qui s’est déroulé à Conventry, en Angleterre. Une femme irlandaise y a vécu toute sa vie et est malheureusement décédée. Pour lui rendre hommage, sa famille voulait écrire sur sa tombe une épitaphe en gaélique "In ár gCroíthe go deo", ce qui se traduit par "Dans nos cœurs pour toujours". Mais le conseil de la ville a décidé qu’il était trop politique d’écrire un message en gaélique sur une tombe… Ils ont dit que ça rappellerait les souvenirs de l’IRA, que c’était ouvertement nationaliste et républicain alors que c’était simplement une manière pour la famille de commémorer leur proche décédé. Je pense que ça en dit long sur la manière dont les Irlandais sont toujours considérés aujourd’hui en Angleterre. On voulait écrire cette chanson, pas uniquement pour cette famille, mais pour tous les gens qui vivent des situations similaires.

Vous aviez déjà commencé à écrire la musique avant d’entendre cette histoire ? Ou est-ce que cela s’est fait dans l’autre sens ?

Deego : Je me souviens qu’on a entendu cette histoire juste avant de rentrer dans notre local de répétition. On était tous retourné. On n’a même pas touché nos instruments et on s’est mis à chanter comme dans une chorale avec une harmonie mineure. On a grandi en Irlande en allant à des messes Catholiques. D’un coup, Curley (ndlr : un des deux guitaristes) et moi avons eu l’impression de redevenir des enfants de chœur. C’est ce qui donne cet effet de souvenirs fantômes de l’église et on a construit le morceau autour de ça.

Ce qui est vraiment intéressant c’est qu’à la fin du morceau, ces harmonies sinistres s’ouvrent sur une fin remplie d’espoir. Est-ce que c’était un parti pris de travailler ce côté clair-obscur sur le disque ?

Deego : Oui absolument. Sur cet album et sur ce morceau en particulier, on passe du deuil au triomphe. C’est quelque chose qu’on aime bien faire. On le fait également sur d’autres morceaux comme "Chequeless Reckless" ou "A Hero’s Death". C’est quelque chose qu’on a choppé en étant plus jeune. On a beaucoup écouté de "surf music", on était à fond dans les Beach Boys et les Ramones. Je pense qu’on a ce sens des harmonies en nous maintenant.

Sur chacun de vos albums, vous vous essayez à l’écriture d’une balade. Sur ce nouveau disque, "A Couple Across The Way" transpire la musique traditionnelle avec cet usage de l’accordéon. A quel point êtes-vous influencés par votre tradition ?

Deego : On en est très fier. Quand on était plus jeune, la musique traditionnelle était quelque chose qui nous paraissait d’un autre temps et que l’on regardait un peu avec dédain. En grandissant et en habitant tous ensemble à Dublin, on s’est rendu compte que c’était l’élément culturel le plus fort qui nous unissait entre Irlandais. Ce morceau « A Couple Across The Way », Grian l’a écrit avec un accordéon qu’il a reçu de sa maman pour Noël. Il a appris à en jouer et a essayé d’écrire un morceau. Il habite désormais à Londres avec sa fiancée, et en face de chez eux, vit un vieux couple que Grian a pris l’habitude d’observer de sa fenêtre. Soit ils se disputaient, soit ils rigolaient ensemble aux éclats. Il s’est demandé si lui et sa fiancée allaient un jour leur ressembler. Ce qui est super avec ce morceau, c’est que l’on ne sait pas si le texte parle du jeune qui se projette dans le futur ou s’il s’agit plutôt du vieux couple qui se remémore son passé, les deux s’entremêlent.

J’ai cru comprendre que vous aviez en tête de sortir un album de musique traditionnelle, c’est toujours dans les plans ?

Deego : On a enregistré quelques ballades traditionnelles pour "Skinty Fia". J’imagine que certaines d’entre elles verront sans doute la lumière du jour à un moment donné. Il y a quelques morceaux qui sont vraiment bien honnêtement. Mais c’était peut-être un projet trop ambitieux de sortir un album de musique traditionnelle (rires).

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"Skinty Fia" est un album centré sur votre relation avec l’Irlande mais ses thèmes sont universels et peuvent parler à tout le monde. Est-ce que quelque chose à laquelle vous êtes sensible ?

Deego : On a toujours essayé de faire ça, depuis le début. Il y a une citation de James Joyce, un poète irlandais, qui dit qu’à travers le spécifique on perçoit l’universel. Et je pense que c’est vrai. James Joyce a quitté Dublin quand il était un jeune homme et est parti en Suisse et en Italie. Mais il écrivait toujours à propos de Dublin lorsqu’il était là-bas, parce qu’il se disait que s’il pouvait connaître le cœur de Dublin alors il pourrait atteindre le cœur de chaque ville. On essaie de faire la même chose parce que les gens sont tous les mêmes partout finalement.

J’étais à Dublin il y a quelques mois et je me souviens être passé devant un pub qui jouait votre musique tellement fort qu’on l’entendait depuis la rue. Ça fait quoi de savoir que les gens apprécient toujours votre musique à Dublin ?

Deego : C’est super. Je suis un peu soulagé d’entendre ça parce qu’il y a un phénomène irlandais assez bizarre qui fait que les gens se tournent contre vous lorsque vous avez du succès. Il n’y a qu’à voir les graffitis dans les toilettes à propos de U2. Vous ne croiriez jamais les choses que les gens disent ici contre Bono. Cela n’a aucun sens (rires). C’est sans doute la rançon du succès, j’imagine. En tout cas on a beaucoup de chance, pour le moment on a l’air de l’éviter. C’est une bonne chose !

La scène rock irlandaise est en pleine ébullition avec des groupes comme Just Mustard, The Murder Capital, Odd Morris, Silverbacks… Quel regard portez-vous sur le développement actuel de cette scène ?

Deego : Je pense que c’est incroyable, oui c’est vraiment incroyable. Au début de notre carrière, on jouait au Workman’s Club à Dublin. C’était le club de notre manager et j’ai seulement réalisé il y a quelque temps à quel point c’était pathétique (rires). Les seuls concerts que l’on arrivait à trouver étaient dans le club de notre manager. Cela en dit long sur le niveau qu’on avait à l’époque (rires). Mais il nous a donné une chance de devenir meilleur et c’est la chose la plus importante. Il a fait ça avec de nombreux groupes. C’était une chouette période pour nous. On se pointait et sur l’affiche il y avait nous, Bank Holiday Weekend, Silverbacks, The Murder Capital, The Altered Hours, Just Mustard, Odd Morris… On était tous potes. On terminait le concert, on choppait nos 50 balles de cachet, on allait au bar du coin dépenser les 50 balles et on sortait tous ensemble. C’est vraiment génial de voir que tous ces groupes commencent à décoller. J’en suis très heureux !

"Skinty Fia" est une manière de jurer en gaélique que l’on pourrait traduire par "la damnation du cerf".
"Skinty Fia" est une manière de jurer en gaélique que l’on pourrait traduire par "la damnation du cerf". © Fontaines DC

"Skinty Fia" le nouvel album de Fontaines D.C. est sorti le 22/04 chez Partisan Records. Fontaines D.C. sera en concert à Rock Werchter le 30/06.

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