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Flavien Berger revient avec "Dans cent ans", une exploration de l’occulte, entre futur, rêve et science-fiction

© Isabella Hin

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Par Aline Glaudot

A l'occasion de la sortie de son nouveau disque, "Dans cent ans" sur le label Pan European ce vendredi 17 mars, on a eu la chance de taper la discu avec le fabuleux Flavien Berger. Cinq ans après "Contre-temps", il revient clore magistralement sa trilogie initiée en 2015 avec dix titres naviguant entre passé, présent et futur. Dix petits exercices pop comme dix petits talismans, témoins intemporels et précieux du passage de ce grand artiste sur terre.

Rencontre avec ce drôle d'oiseau...

Salut Flavien Berger ! "Dans cent ans", ton nouveau disque vient clore magistralement une trilogie commencée avec "Léviathan" en 2015… Tu avais conscience à l’époque de construire un cycle ?

J’avais l’intuition que ça allait être trois disques, même si entre ces disques j’en ai sorti d’autres. On dit album car ce sont des albums studios, on prend le temps d’en parler, de faire des tournées, c’est une mise en branle un peu industrielle où on se dit qu’on met toutes les billes de notre côté.

C’est vraiment un exercice pop, dans le sens populaire, c’est ma trilogie pop.

Pas sûr d’en avoir eu conscience quand j’ai fait mon premier album mais je savais à peu près que j’allais avoir trois grandes thématiques : la musique comme entité tentaculaire, monstrueuse, qui relie l’humanité, ce Léviathan. Si on donnait une forme à la musique ça serait peut-être un grand monstre. Le deuxième album "Contre-temps", c’est la matière, c’est l’ADN de la musique elle-même, c’est le temps. A quel point un disque peut-être une machine à voyager dans le temps puisque les morceaux nous renvoient à des moments, nous rappelle des choses. Et là, "Dans cent ans", c’est l’occulte, c’est une projection vers l’avenir, vers l’inconnu, à la fois vers le futur et à la fois en nous-même. On connaît si peu de choses de notre cerveau, comme on ne connaît rien de ce qui constitue nos abysses, nos océans… Comme on ne connaît rien du temps. On balbutie, ce sont des explorations vers des projections qui sont presque de la science-fiction. Ma musique comme genre musical qui serait entre la fantaisie et la science-fiction avec des thèmes qui sont ceux de la pop, des sentiments, l’amour, la mort…

Quel rapport tu entretiens, toi, avec le temps qui passe ?

Bien, j’ai la chance de laisser de petits bouts de moi gravés dans des vinyles, donc du plastique, un truc qui va rester longtemps et voyager dans le futur même après ma mort… Enfin je ne dis pas que ça sera toujours écouté mais si les brocantes existent encore il y aura toujours de mes disques. Donc le temps qui passe, ça va, c’est cool. Je ne suis pas trop sujet aux crises de décennies. C’est un sujet, mais je n’ai pas d’angoisses. J’ai des angoisses de mort mais ça se règle de plus en plus.

Justement la chanson "D’ici là", si on analyse bien les paroles, ça parle plus de la mort en filigrane que d’une histoire d’amour…

Carrément, je la tutoie la mort dans cette chanson, c’est une chanson à sous-texte. C’est un peu la première fois que je fais ça, où je me prends un peu pour un intello, où je dis quelque chose en pensant à une autre. C’est une manière de vivre avec la mort, d’accepter qu’elle fait partie de nous, qu’on s’approche d’elle de plus en plus. Ici j’utilise le champ lexical de l’histoire d’amour mais ce n’est pas tant l’histoire d’amour que le duo ou le couple. La mort ce n’est pas une entité fixe, elle est partout, en potentialité tout le temps… Comment on accepte le fait qu’elle puisse surgir à tout moment ? Comment on accepte le fait qu’on aille vers elle implacablement ? Je pense que ma pratique de la musique aide vachement à ça, je dois m’y confronter. C’est un peu comme l’analyse, plus on travaille et plus on fait du chemin pour accepter les choses qu’on avait mises sous silence et qui pourraient exploser.

Le thème de l’amour est cependant toujours omniprésent : l’amour qui dure, l’amour sur la longueur et les questions qu’il pose, l’amour nostalgique, retomber en amour… De quel amour tu te nourris pour écrire ?

J’essaye de ne pas être trop romantique ; dans le sens où j’essaye de ne pas me satisfaire d’une idée de mélancolie, de nostalgie, juste parce que c’est beau, parce qu’on a été habitué dans notre histoire littéraire et artistique à ce que le romantisme ça soit bien, à se laisser aller à être triste de sentiments disparus ou de gens. Je pense qu’il y a un petit renversement politique ces dernières années auquel j’ai fait attention. Attention de savoir comment je racontais les choses, comment c’était facile pour moi de les raconter, à qui je m’adressais, qui j’incluais dans mes chansons et qui je n’incluais pas sans avoir à faire attention. Parler de sentiments c’est essayer d’apprendre à mieux s’aimer, ce n’est pas juste parler de choses difficiles. Dans le morceau " Dans 100 ans ", je dis qu’on s’aimera mieux qu’avant, ça rejoint ce que je disais sur la mort : si on prend le temps de parler de choses qui sont importantes pour nous, qu’on trouve belles, qui sont positives et font avancer notre éducation sentimentale, moi je m’y retrouve. Chérir une chose que j’ai entrevue, qui n’est pas grand-chose mais qui est en fait une plus importante que plein d’autres choses évidentes.

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Il y a un petit prélude à la chanson éponyme de l’album, "Dans cent ans", une petite fable asiatique qui introduit le thème du rêve…

J’ai vécu une sorte d’aventure en septembre 2021, un grand bivouac d’aventuriers et d’aventurières qui se retrouvaient dans un lieu secret. Au cours de cette aventure, un crieur le soir lisait des mots qui avaient été écrits exprès pour être criés et ce petit interlude est un extrait de la toute dernière. C’est la retranscription d’un poème mandarin de Tchouang-Tseu, c’est un peu un poème populaire qui parle d’un état de conscience : c’est un poète qui se réveille un jour et qui est papillon et puis il ne sait pas s’il est papillon qui rêve qui l’a été poète ou si c’est le poète qui rêve qu’il est papillon et qui se réveillera de nouveau poète…

Le rêve c’est aussi finalement une manière d’appréhender le temps ?

Ce disque je le prends comme une exploration de l’occulte, dont l’occulte de l’inconscient, qui m’intéresse le plus, c’est quelque chose qu’on ne maîtrise pas. Moi quand je fais de la musique il y a des choses que j’envoie, que je génère et dont je n’ai pas conscience et le rêve c’est un outil assez important pour l’analyse… Ce disque parle un peu de ça. Moi j’ai commencé une analyse il y a deux ans, c’est forcément une manière de réfléchir sur soi qui a imprégnée le disque.

Le rêve, ce sont les différentes couches d’un autre monde qui n’appartient qu’à nous et je cherche comment l’investir pour en faire une chanson.

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Tu t’amuses aussi dans tes textes, ça parle de polysémie des sens, des mots, si on prend "Pied-de-biche" par exemple, où en allant en chercher des plus farfelus "Feux-follets", "Berzingue", d’où ça part cette envie de mettre ce vocabulaire en chanson ?

C’est une collecte en fait, je collecte des mots avec lesquels on peut jouer. On peut faire des jeux de mots mais on peut aussi jouer avec les mots, ce n’est pas exactement pareil, on peut s’amuser des mots. "Berzingue", c’est marrant, ce n’est presque plus du français, il y a des sonorités dedans. Un Z au milieu, "zing" c’est presque une onomatopée. C’est un mot qui a été bringuebalé dans les siècles, moi je peux l’utiliser tous les jours mais le replacer dans un contexte, c’est lui donner peau neuve. Il y a une prise de recul sur des mots que je peux presque mettre dans un vivarium et attendre quelques années ou quelques mois pour voir comment ils réagissent, voir comment ils s’adaptent au contexte de la chanson que je leur donne. "Pied-de-biche" c’est un morceau très premier degré qui s’adresse vraiment à un mot que j’aime, c’est dans un élan d’admiration pour un objet, comme j’ai pu être admiratif de la fête foraine.

"Dans cent ans", c’est en le prononçant tout haut que je me suis rendu compte qu’il y avait la notion de temps et puis la notion de "danse" aussi…

Ce n’est pas vraiment fait exprès mais pour moi c’est important dans mes albums d’avoir des rendez-vous avec des étendues musicales : où on part d’un point et on arrive à un autre et où on a traversé, si ce n’est des genres, en tout cas des tons. A l’image d’un film, si les morceaux étaient des séquences ou des chapitres, ce morceau de 15 minutes serait l’épine dorsale, le morceau de bravoure qui ferait traverser des endroits.

Je pense que l’énergie de danse elle est présente dans ma musique à différents endroits, c’est presque une fête païenne ce morceau, qui célèbre le fait que la musique nous dépasse. Je ne dirais pas qu’elle nous survit car ce n’est pas à moi d’en décider mais c’est quelque chose qui nous relie avec le passé et le futur. C’est le rôle de l’art en général et de la musique en particulier, car on la chante, on l’écoute… On baigne dans des musiques qui nous ont précédées et qui nous succéderons. "Dans cent ans", c’est ça… Et si ça passe par la danse alors c’est une manière différente de partager, par un autre langage que celui de la voix.

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C’est également un de seuls morceaux où l'on retrouvent des instrus "organiques"…

Oui fort organiques, ce sont des instruments à vent, des cuivres. Dans ma trilogie d’album avec "Léviathan" et "Contre-temps", il y a toujours un long morceau avec des instruments qui sont dits "académiques", la musique qui est là depuis longtemps. Des instruments qu’on respecte parce que c’est de la musique sérieuse avec un passé qui leur donne leur lettre de noblesse. J’aime bien investir ça, comme un élève.

Mes albums sont un peu des exercices pop, c’est la contrainte que je me suis donnée : essayer de faire de la musique qui soit accessible, au travers de laquelle je peux expliquer des choses qui me sont personnelles mais dans un écran lisible, qui s’apparente à la musique qu’on écoute aujourd’hui.

Pour moi dans la pop, il y a aussi la musique académique, c’est-à-dire les violons, les orchestres, les quatuors, les instruments à cordes, à vent, le basson, les clarinettes basses.

Organique, le mot est drôle aussi parce que finalement, ce sont des sons qui sortent de moi puis qui sont retranscrits par des arrangeurs, qui eux-mêmes vont les faire jouer à d’autres humains avec leur interprétation, leur libre arbitre… Finalement c’est le truc le moins organique ! C’est quelque chose que je ne contrôle plus et que j’accepte, c’est une fenêtre vers autre chose. Pour moi les instruments acoustiques qui résonnent dans l’espace, ce ne sont pas forcément les plus organiques : les circuits imprimés par lesquelles passent mes idées, l’électricité qui se balade dans les circuits électriques pour moi c’est plus organique que quelqu’un qui souffle dans des instruments en cuivre.

Comment tu qualifierais ton évolution musicale de 2015 à 2023 ?

Franchement je n’ai aucune idée… Je n’ai aucun recul !

Est-ce que tu te sens plus en phase avec ce que tu fais maintenant qu’avant ?

Oui et non, dans le sens où on a tous nos complexes, des complexes productifs qui servent à avancer.

Je n’ai pas l’impression d’être un musicien dans le sens où la définition que je me suis donné d’un musicien, ce n’est pas ce que je fais tous les jours. Je ne joue pas d’instrument, je ne sais pas lire la musique, je ne reconnais pas un accord. Mes complexes peuvent naître de ça mais j’ai l’impression d’essayer de faire une musique qui me ressemble et de créer moi-même mes lignes esthétiques…

En tout cas j’aime travailler et c’est ce que je fais le plus, j’ai une pratique d’atelier en fait. Il y a beaucoup de musique que je fais sans savoir sur le moment à quoi elle va servir jusqu'au jour où ça devient évident. Même si j’ai beaucoup de cahiers des charges et que je cadre énormément les choses, par des trilogies, des rendez-vous similaires au sein des mêmes albums ... Mais au fond je n’ai pas plus d’ambition que ça. J’ai la chance de faire des disques et déjà ça me met bien quoi !

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