Est-ce un scénario plausible pour l’Ukraine aujourd’hui ?
Tanguy de Wilde : La comparaison avec l’Ukraine est tentante mais elle a ses limites. D’abord la Finlande a préféré préserver sa souveraineté après une perte territoriale. L’Union soviétique s’était emparée à l’époque de la Carélie qui était une partie de la Finlande. On pourrait dire ici que, après avoir perdu la Crimée, l’Ukraine aurait la volonté de préserver ce qui lui reste de souveraineté en s’engageant à ne pas entrer dans une alliance. Ce n’est pas vraiment l’option qui est choisie par l’Ukraine parce que, au-delà de la perte de la Crimée, il y a aussi la situation de déstabilisation dans le Donbass, dans l’Est du pays. Contrairement à la Finlande de l’époque, la doctrine actuelle de l’Ukraine, c’est plutôt une volonté de récupérer le territoire perdu, c’est-à-dire la Crimée. Et pour ce faire, elle cherche plutôt des alliances. Donc, il n’y a pas de volonté de l’Ukraine de se "finlandiser". Mais il y a une volonté, du côté de Moscou, de facto, de voir une finlandisation de l’Ukraine, et aussi de la Géorgie. La finlandisation signifie bien plus le fait de ne pas entrer dans une alliance que le fait d’être neutre aux sens stricts.
Laetitia Spetschinsky : L’idée d’une neutralité imposée de l’extérieur par la Russie est une idée extrêmement sensible à bien des égards. La fin de l’Union soviétique a supposé l’émergence de la souveraineté ukrainienne qui a été confirmée par une série de traités à la fin de la guerre froide. Le but était d’ancrer cette souveraineté et l’intégrité territoriale dans le futur d’une Ukraine indépendante. Donc on est précisément en contradiction avec ces engagements-là. Ce n’est pas un scénario qui pourrait être choisi par l’Ukraine spontanément. C’est, cependant, quelque chose qui peut lui être imposé. Et puis on peut considérer aussi que ces engagements sur l’intégrité territoriale ou sur la souveraineté des Etats issus des démembrements de l’URSS sont déjà mis en cause puisque l’intégrité territoriale de l’Ukraine, comme celle de la Géorgie, sont déjà bouleversées. Si on demande : est-ce que l’Ukraine, elle-même, peut faire ce choix ? La réponse est non. Aucun Etat ne ferait librement le choix de placer ses décisions de politique étrangère et sa sécurité sous la contrainte ou sous la coupe d’un Etat extérieur, surtout quand cet Etat extérieur a été aussi celui qui a été l’élément dominant d’une politique de terreur pendant de nombreuses décennies.